Entre nos innombrables obligations familiales et professionnelles, nos divers loisirs et projets personnels, les différentes tâches domestiques ainsi que les nombreuses sources de distraction (médias, publicités, écrans, etc.) qui croisent notre chemin voire nous accompagne au quotidien, ne rien faire, ne serait-ce que quelques minutes par jour, peut paraître impossible. Pire encore, dans une société et à une époque où l’on prône et valorise la productivité, le multitasking, l’ascension des échelons, la collection des diplômes, des honneurs et des prix, ne rien faire pourrait être pris pour de la fainéantise, un manque d’ambition et une perte de temps. On craint aussi l’ennui, comme si c’était un mal en soi, un mal à éviter à tout prix. Alors on fait en sorte, inconsciemment ou pas, que chaque minute de notre existence soit occupée, du réveil au coucher. Notre liste de choses à faire est tellement longue qu’il ne faudrait surtout pas perdre une minute. Et puis la vie est tellement courte qu’il serait dommage de pas remplir chacun de nos instants éveillés pour en profiter “pleinement”.
Même pour nous détendre nous avons besoin de faire ou de planifier quelque chose de significatif, de constructif, de productif : faire du sport, lire, regarder un film, créer, être au contact de la faune et de la flore, échanger avec des ami·e·s, etc. On parle souvent de l’importance d’être plutôt que d’avoir, mais qu’en est-il de l’importance d’être plutôt que de faire ? C’est une question qui me semblait intéressante à aborder dans le cadre de l’éco-défi Gérer son temps de manière durable.
Dans cet article, le neuroscientifique et psychologue cognitiviste Daniel Levitin explique l’impact d’une sollicitation constante de notre attention sur notre cerveau, notre productivité, notre créativité et notre forme de manière plus générale. Notre cerveau comprend deux réseaux attentionnels : le réseau « centré sur la tâche » et le réseau « par défaut ». Le premier s’active lorsque nous sommes concentré·e·s sur une seule et même activité, sans distraction aucune, et le second se met en route lorsqu’on est en mode rêverie, qu’on laisse notre esprit vagabonder. C’est dans ces moments-là – quand on ne fait rien qui ne nécessite une attention particulière (se doucher, se promener, faire des courses, patienter dans une salle d’attente, etc.) – que nos différentes idées et pensées se connectent, nous permettant ainsi de résoudre des problèmes, de trouver des réponses, d’être plus créatif·ve·s et perspicaces. Par ailleurs, ces moments où l’on ne sollicite pas notre réseau « centré sur la tâche » sont biologiquement réparateurs puisqu’ils réduisent la fatigue et améliorent nos fonctions cognitives ainsi que notre vigueur.
Se laisser le temps de ne rien faire et permettre à notre cerveau de vagabonder serait donc essentiel à notre bien-être, à notre productivité et à notre efficacité. Personnellement, j’ai pendant longtemps pensé que je ne profitais peut-être pas assez de mon temps libre voire même que j’étais fainéante. Quand je voyais les personnes à l’arrêt de bus rivées sur leur téléphone, les autres patient·e·s de la salle d’attente d’un cabinet médical plongé·e·s dans un livre ou un magazine, les cyclistes/conducteur·trice·s/piétons écouter des podcasts/des livres audio/de la musique, alors que moi, j’ai plutôt tendance à ne rien faire d’autre que d’attendre, marcher ou pédaler dans ces moments-là, j’avais le sentiment de ne pas savoir profiter pleinement de ces instants dépourvus d’obligations. En même temps, je suis tellement bien ainsi, tout simplement debout ou assise, immobile ou en mouvement, à attendre ou à pédaler, à laisser mes pensées vagabonder. Je sens bien que ces minutes inoccupées me sont bénéfiques puisqu’elles me permettent de faire du tri dans mes pensées, de mettre certaines idées au clair, de trouver des réponses à des questions. C’est d’ailleurs généralement dans ces moments-là que me viennent de nouvelles idées d’articles, d’activités pour mes cours ou encore de recettes ! Comme l’explique le neuropsychologue Francis Eustache dans cette vidéo (1), ces pauses que l’on s’accorde répondent généralement à une intuition (encore faut-il s’avoir s’écouter !) et permettent à notre cerveau non seulement de faire la synthèse des différentes informations qui traversent notre esprit mais aussi de mieux les assimiler et les mémoriser.
J’ai donc cessé de culpabiliser de ne rien faire dans certaines circonstances, lorsque consciemment ou pas, j’ai simplement envie de me poser (pauser). Au contraire, j’ai appris à considérer ces moments comme de véritables opportunités pour recharger, réinitialiser et entretenir mes batteries mentales. J’apprécie donc ces instants où j’attends un·e ami·e parce que je suis à l’avance ou qu’iel est en retard à notre rendez-vous, où je dois faire la queue, où j’attends un train, un bus ou un tram. J’apprécie aussi de faire la vaisselle, cuisiner et prendre une douche dans le silence, ou plutôt avec le bruit de mes pensées. Il m’arrive également de faire une pause dans mes activités lorsque je suis chez moi ou au lycée et de regarder dans le vide ou par la fenêtre, sans occupation ni intention particulière.
Je pense que c’est au cours de mes séjours chez des peuples qui possédaient matériellement peu de choses et dont le quotidien était rythmé par les saisons, la lumière du jour et leur environnement naturel que j’ai pris goût à et inconsciemment réalisé les bienfaits de ces moments dépourvus d’occupations particulières. Je me souviens avoir passé de longs moments assise à l’ombre d’une tole, dans le désert Mauritanien, auprès d’Imraguens qui, entre leurs diverses occupations (la pêche, la cuisine, le soin des enfants, etc.), pouvaient passer beaucoup de temps ensemble, assis·e·s, à ne rien faire de particulier, sans parler. Même chose chez les Kalin’as en Guyane Française et les Kunas des îles San Blas. Au début, je trouvais cela terriblement ennuyant. Et puis petit à petit, j’ai commencé à chérir ces instants propices au relâchement, à la contemplation, au repos de l’esprit et tout ce je percevais comme de l’ennui au départ est finalement devenu une nécessité pour moi.
Il est vrai que je pourrais profiter de plusieurs moments dans mes journées pour lire des articles ou des livres passionnants, écouter des émissions ou des podcasts instructifs, répondre à des messages ou envoyer quelques nouvelles express à mes proches. Pourtant, je n’ai pas le sentiment de perdre mon temps lorsque pendant 2, 5, 10 ou 30 minutes, je ne fais absolument rien. Au contraire, ces pauses propices à la rêvasserie et au vagabondage des pensées me semblent indispensables pour être pleinement présente et tirer le meilleur de ces moments où j’ai besoin d’être attentive et concentrée.
(1) Cette vidéo intitulée “Cerveau en mode avion” (6 min) est le 7e épisode de la série (Tr)oppressée qui nous invite à réfléchir à notre rapport au temps, aux nouvelles technologies, à la consommation, etc. Je vous recommande vivement les 10 épisodes qui durent entre 6 et 7 minutes chacun.
J’ai tellement hâte de ne rien faire pendant 4 jours durant le long weekend de Pâques! 😇
Alors moi par contre je pense que j’aurais du mal à ne rien faire pendant 4 jours 😉 !
Rien faire est une façon de parler! C’est impossible de je rien. Dormir, c’est faire quelque chose, déjà. 😃
Je viens de passer deux semaines à travailler des heures impossible alors un weekend au ralenti, à juste ressentir et faire ce dont jlai envie, c’est du bonheur. 🤪🤩
Ta réflexion est très intéressante! et ça me donne très envie de faire un peu plus comme toi, parce qu’au fond je suis convaincue qu’il y a plein de choses qui se passent quand on ne « fait rien »!!!
Aucun doute, il se passe tout plein de choses lorsqu’on ne fait rien, de même que lorsqu’on dort d’ailleurs 🙂
Réflexion très intéressante…..j’y re-penserai. Merci
🙂
C’est une activité à laquelle je me livre quotidiennement ; je ne suis d’ailleurs plus du tout dans le « faire » depuis des années, mais plutôt dans « l’être ». Merci pour les liens des vidéos, je vais aller voir.
Bonne journée.
Je trouve que cette petite série met très bien en avant certaines sources de mal être et de déséquilibre de notre sociétés et de notre époque.
Depuis la lecture d’un de tes précédents articles, c’est une question que je me pose: essayer, quand il y a des petits trous dans mon emploi du temps, de ne rien faire du tout. Je le faisais très souvent étant enfant, et on me l’a pas mal reproché (« Eve, tu rêves!? »)
J’aime l’idée de mettre mon cerveau sur pause. Malheureusement, assez souvent des pensées angoissantes en profitent pour arriver, ce qui me fait redouter ces moments et essayer de les combler avec de la radio, une lecture…
La prochaine étape, je pense, c’est de vivre ces émotions désagréables au lieu de les masquer: si ça se trouve, elles ne sont pas si terribles que ça!
On m’a également souvent laissé entendre que j’étais perdue dans mes pensées – mais ce n’est pas vraiment un reproche, juste une constatation du genre « Tu as l’air bien pensive ». Il est vrai que j’ai tendance à m’échapper très facilement et rapidement dans ma tête, surtout lorsqu’une situation m’ennuie, me stresse, qu’il y a trop de monde/de bruit autour de moi.
Laisser nos idées vagabonder n’est effectivement pas synonyme de pensées agréables.
Cela dit, je crois qu’il est important de laisser à nos diverses pensées l’opportunité d’être entendues, d’être ressenties… sinon elles risque de s’accumuler et de générer un vrai mal-être ancré sur le long terme. Personnellement, depuis que je fais une place à ces pensées négatives, que je leur accorde mon attention, j’ai le sentiment de pouvoir m’en débarrasser plus rapidement et de manière durable surtout. Avant, quand quelque chose n’allait pas, j’avais tendance à fuir mes pensées, à vouloir me changer les idées – ce qui est important par moments évidemment, mais pas indéfiniment.
Une de mes passions dans la vie, c’est… rêvasser. Et je suis vraiment très malheureuse quand je ne peux pas le faire. D’ailleurs, quand j’écoute des podcasts ou autre, il y a toujours un moment où je sature, où je n’ai plus envie de mettre des idées dans ma tête et d’être ainsi constamment occupée. D’où l’utilité aussi de mettre son téléphone en pause régulièrement, car avoir les yeux rivés sur un écran au moindre petit moment d’attente empêche complètement de profiter de ce temps si doux où l’on ne fait rien. Merci pour cet article, Natasha, et bonne rêvasserie ! 🙂
Quelle jolie passion 💚 (Moi je rêvasse de vacances dans la campagne vosgienne depuis hier 😉 !)
Je te rejoins complètement sur l’importance et l’intérêt de savoir éteindre/mettre sur silencieux/ranger son téléphone régulièrement, ou au moins désactiver toute notification.
Merci pour cet articles et pour les liens.
Il me semble que ce rapport au temps est également le fruit de notre éducation (elle-même fortement influencée par un contexte social). Combien de fois étant enfant/ado je me suis entendue dire que j’étais quand même un peu feignante sur les bords, qu’avec mes capacités j’aurais pu mettre mon « temps à ne rien faire » à profit pour travailler plus, apprendre plus, faire plus. J’ai culpabilisé toute ma vie durant et à la naissance de mon fils j’ai du coup mis chaque minute à profit pour investir de l’énergie dans quelque chose tant il fallait être productive partout….jusqu’à ce que je craque et que je réalise c’était une grave erreur et que moi qui m’étais toujours sentie un peu nonchalante mais très efficace quand je m’y mettais j’étais devenue hyper stressée, crevée tout le temps, submergée et du coup plus si efficace que ça. Ce rapport au temps n’est évidemment pas le seul en cause mais je sais désormais que ces temps où rien n’est prévu et où je ne fais rien ou pas grand chose sont un moment essentiel pour me recentrer, j’ai donc besoin d’un ou 2 jours dans la semaine de « pause ».
Le truc c’est qu’on a quand même l’impression que l’être humain occidental nait avec un milliard de possibilités et qu’il n’arrive pas à en choisir une….on est pressé en permanence comme si on devait « tout » faire. Je suis convaincue que nous devons apprendre à faire moins et à choisir.
Merci pour ton témoignage Coralie ! Ton expérience montre combien la pression sociale peut être déstabilisante et délétère…
Comme toi, je pense qu’il est important de faire des choix, d’accepter qu’une vie ne sera jamais suffisante pour « tout » faire. Selon moi, la réussite de notre vie, notre bonheur et notre bien-être ne dépendent pas du nombre de choses accomplies, apprises, réussies mais plutôt de notre capacité à en profiter pleinement, à ressentir de la satisfaction à chaque instant (ou presque évidemment !).
Je suis totalement d’accord avec ce que tu dis !! J’adore prendre le train pour cette raison-là, et je déteste conduire car cela m’empêche de rêvasser. J’ai également remarqué que ces moments de pause me permettent de me souvenir de choses importantes que je devais faire, ou de choses que j’avais promis à une personne en particulier, mais que je n’avais pas pris le temps de noter. Le reste du temps, mes pensées sont trop désordonnées pour me souvenir de quoi que ce soit. J’ai remarqué également que ce sont les seuls moments où je suis calme, et non agitée/stressée.
Et je suis heureuse de savoir que je ne suis pas la seule personne « bizarre » qui n’écoute jamais de musique en déplacement. Je ne possède même pas de musique sur ordinateur ou téléphone portable, ni même d’ipod.
Vive la rêverie !!
Oh que je suis contente moi aussi de savoir qu’il existe d’autres personnes qui apprécient le silence et qui n’ont même pas de musique sur l’ordinateur ni le téléphone… J’ai pourtant beaucoup écouté de musique à la radio quand j’étais adolescente et j’apprécie la musique quand j’en entends, mais je n’y connais rien à vrai dire et je n’ai pas du tout le réflexe d’en mettre ! Les seuls moments où j’écoute de la musique, c’est quand mon mari en écoute sans son casque (il le met la plupart du temps car la musique a plutôt tendance à me déranger si je travaille ou bien si je me sens stressée/fatiguée) ou quand je vais à un concert 🙂
J’ai la chance de travailler à mi temps (pour le moment) je fais donc 4 petites journées de 5h et le reste de la semaine je fais quelques tâches obligatoires puis souvent je ne fais rien, je lis, je joue, je traine, je me promène ou je reste vautrée dans mon canapé. Au début je culpabilisais maintenant je profite. D’ailleurs tes articles m’aident énormément au quotidien, merci pour ça 🙂
C’est super que tu arrives désormais à profiter de ces moments à ne rien faire et je suis vraiment heureuse de savoir que mes articles puissent t’aider 🙂
J’ai toujours eu et j’ai encore ces moments de rêvasseries où le regard fixe je « décroche » totalement. Ce qui peut parfois perturber mon entourage car comme tu l’as si bien fait remarquer la tendance est au remplissage d’activités intensif. Ces moments me sont absolument nécessaires pour me ressourcer, pour me connecter avec moi-même. Merci à toi pour cet article qui ose en parler.
Je t’en prie 🙂
C’est drôle que je lise justement cet article aujourd’hui parce que la nuit dernière j’ai eu une insomnie et j’en étais ravie!
Ça m’a soulagée d avoir un moment libre pour ne « rien » faire et sans être sollicitée par qui que ce soit (même si je n aime pas l admettre, accompagner un enfant, ça me mobilise beaucoup de temps et d énergie mentale donc en journée il m’est difficile d avoir un « vrai » moment à moi).
Et je ne mets pas beaucoup de musique alors que je suis au foyer – j’aime pourtant la musique mais j’aime aussi beaucoup le son du « calme » – je ne dis pas « silence » parce que les oiseaux, le vent, le feu qui crepite, c’est aussi du son.
Et je commence seulement – au bout de 8 ans à l étranger – à écouter de temps en temps un podcast en français.
Et je désactive très souvent les données mobiles de mon téléphone sinon c’est comme une ampoule allumée qui maintient mon esprit alerte et je réalise que ça me tend.
Bref, tout ça pour dire que je te comprends 🙂
Effectivement, le calme, ce n’est pas la même chose que le silence – d’ailleurs, je ne pense pas qu’il soit possible d’être dans le silence total, à moins d’être dans une pièce insonorisée (j’avais vu un reportage sur la question il y a quelques années et j’avais trouvé cela fou de réaliser combien nous vivions dans un environnement « bruyant » !). En tout cas, j’espère que tes problèmes d’insomnies ne vont pas perdurer 🙂
J allais te dire que je n’ai pas de problème d insomnie et que c était ponctuel… alors que je me trouve au beau milieu d’une insomnie de nouveau 😁 mais je la mets à profit pour lire tes derniers articles donc j appellerais ça une insomnie joyeuse 😉
Mince pour l’insomnie qui revient ! N’est-ce pas plus difficile de se rendormir après avoir regardé un écran ? Heureuse en tout cas que mon blog puisse te « divertir » à toute heure 🙂 !
Merci beaucoup pour cet article. Je viens de découvrir ton blog qui est très sympa et surtout j’ai regardé trois vidéos de (Tr)oppressés, qui est d’une excellente qualité. J’aime beaucoup Arte pour ces documentaires. J’ai compris beaucoup de choses sur plusieurs sujets.
Perso, je suis de nature à penser en permanence, ce qui me joue des tours. Ces temps-ci étant au chômage, je peux facilement me faire des films négatifs par moments et cela m’épuise. Je vais apprendre à un peu plus avoir de vrais moments de pause. J’y arrive en temps normal…. mais aujourd’hui c’était extrême. J’ai dû faire de la sophrologie pour me calmer alors merci beaucoup. 🙂
Belle soirée à toi et à bientôt !
Contente de savoir que la série (Tr)oppressés te plaît 🙂