Crédit photo : Cyrill Durigon
C’est à l’occasion du Festival Everyday Heroes de Lyon, en octobre 2017, que j’ai rencontré Julien Vidal. C’est avec intérêt que je l’avais écouté parler de Ça commence par moi, un défi qu’il s’était lancé en 2016 afin de tester et d’adopter chaque jour pendant un an une nouvelle éco-action favorable au développement d’une société aussi respectueuse de l’environnement que des humain·es. Une aventure qu’il a partagé sur son site internet Ça commence par moi et plus récemment dans un livre éponyme. Son expérience démontre que chacun·e d’entre nous peut faire bien plus qu’éteindre les lumières en sortant d’une pièce, que fermer l’eau du robinet en se brossant les dents et que recycler ses déchets pour réduire son empreinte écologique de manière considérable, sans pour autant se prendre la tête ni renoncer au confort. Bien au contraire, le récit enthousiaste de Julien est la preuve que des centaines d’éco-alternatives sont à la portée de chacun·e et que les adopter peut être plus libérateur, enrichissant et impactant qu’on ne pourrait l’imaginer !
Pour une fois que je croise le chemin d’un homme engagé pour un quotidien plus écologique, j’avais très envie de mettre son travail en avant sur le blog en lui posant quelques questions…
Que t’a apporté ton projet “Ça commence par moi” ?
De la compréhension, de la confiance en moi et une sensation de bonheur inégalée. Ça commence par moi, c’est en fait un défi que je me suis lancé à moi-même parce que j’en avais marre de ne pas tenir mes résolutions jusqu’au bout. À 30 ans, je me suis senti suffisamment adulte pour décider enfin de mettre en cohérence mes valeurs et mes actes.
Et puis le sujet écocitoyen me préoccupait grandement. Je lisais de plus en plus de choses sur la chute de la biodiversité, le dérèglement climatique, la pollution des sols, l’épuisement des ressources, l’effondrement de nos sociétés… j’avais besoin de vivre ces notions dans ma chair pour comprendre par l’expérimentation ce que ça pouvait impliquer dans mon quotidien. En testant et en adoptant tous les jours pendant un an une nouvelle action écocitoyenne, j’ai enfin eu l’impression que je reprenais le contrôle de ma vie. J’arrêtais de suivre des modes et des avis qui n’étaient pas les miens et je me mettais enfin à penser et à décider par moi-même.
Enfin, j’ai pris conscience de l’importance du vivant dans sa globalité et j’ai commencé par me respecter moi-même. Nous avons tellement de chance d’être en vie que je fais désormais tout mon possible pour explorer mes talents et mes passions pour les vivre pleinement, mais aussi pour prendre le temps d’être avec ceux que j’aime et continuer à me mettre au service des autres.
D’après Footprint, ton empreinte écologique est de 1,2 ha, soit 4 fois moins qu’un·e Français·e moyen·ne… quels changements en particulier t’ont permis de réduire ton empreinte de manière aussi significative ?
C’est vrai que mon empreinte écologique a été considérablement réduite depuis que j’ai adopté des alternatives écocitoyennes dans toutes les facettes de mon quotidien ! J’ai même divisé par 10 la taille de ma poubelle et par 6 ma consommation d’eau… mais le chiffre qui parle sans doute le plus aujourd’hui c’est que si tout le monde vivait « à la sauce Ça commence par moi » nous consommerions les ressources de 0,8 planète (contre 3 planètes actuellement si l’humanité entière vivait comme des Français).
Tout ça pour dire que oui, ce sont des changements significatifs en matière d’impact sur le vivant dans sa globalité. Et à la fois, si les lecteurs de ce blog me croisaient dans la rue, je suis sûr qu’il n’y verrait que du feu. Je continue à vivre normalement, à sortir avec mes amis, à partir en weekend, à bien manger, à m’amuser… bref une vie comme tout le monde.
En fait, là où j’ai radicalement changé les choses c’est dans la compréhension de l’impact écologique de mes habitudes et dans la constance de l’adoption d’alternatives vertueuses. J’ai identifié clairement les posts les plus polluants et dangereux dans mon quotidien et j’ai dit stop (manger de la viande, acheter des vêtements qui viennent de l’autre bout de la planète, surconsommer les objets technologiques inutilement, prendre la voiture pour un oui ou pour un non, consommer de la nourriture provenant de l’agriculture intensive, gâcher l’énergie et l’eau chez moi en utilisant les machines avec parcimonie, etc…). Et ce qui est incroyable c’est que renoncer à tous ces réflexes est une libération. J’ai plus de temps pour faire les choses qui nous font vraiment du bien. Surtout, je les fais en conscience et prends plus le temps pour le moment présent. Des constats qui sont à mille lieux de l’a priori punitif de l’écologie présente dans le discours classique depuis des dizaines d’années.
Et puis, à l’échelle individuelle, la source la plus importante d’émission de CO2, c’est le fait de prendre l’avion… là aussi j’ai décidé de changer mes habitudes et désormais, je ne prends l’avion qu’une fois tous les trois ans, avec l’objectif de rester au moins un moins sur place pour vraiment profiter d’un tel luxe.
Listées comme ça, toutes ces actions peuvent paraître énormes, mais en fait, en les adoptant au fur et à mesure dans son quotidien, cela devient vite très naturel.
Quels sont les engagements auxquels tu trouves le plus difficile de te tenir au quotidien et pourquoi ?
Aussi bizarre que cela puisse paraître, rien n’est vraiment difficile. Dans l’ensemble, tout a été facile car j’y suis allé en douceur en m’essayant toujours à une nouvelle pratique qui me semblait être à mon niveau. Je pense que c’est ça le secret. Plutôt que de buter sur l’adoption d’une alternative qui nous frustre (parce que c’est trop éloigné géographiquement, trop cher, trop long ou qu’on a l’impression de s’isoler socialement) mieux vaut agir dans des domaines qui nous plaisent ou se lancer un défi à notre portée. D’ailleurs je préconise toujours à ceux qui me demandent par où commencer de débuter par leur passion (que vous soyez fou de technologie, baba de voyages ou accro de shopping). C’est un excellent moyen de lier votre démarche écocitoyenne naissante avec une notion de plaisir qui est essentielle si vous voulez tenir dans la durée.
Et puis, autre chose, il faut accepter que nous ne serons jamais parfaits. Personnellement, il me reste encore beaucoup de progrès à faire, notamment en arrivant à être plus rigoureux dans ma pratique de la méditation et en adoptant un régime alimentaire le plus végane possible.
Ah si, il y a bien quelque chose dont je n’arrive pas à me défaire, c’est l’éponge pour faire la vaisselle. J’ai essayé les brosses mais je ne trouve pas que ça soit la même chose et mon petit côté maniaque n’est pas satisfait par cet outil zéro déchet, du coup je continue à jeter une éponge à la poubelle de temps en temps….
De plus en plus de personnes s’engagent à changer leur manière de vivre et de consommer au quotidien… or, nous savons bien qu’aujourd’hui, faire sa part de colibri n’est pas suffisant, qu’il est impératif d’encourager des changements structurels à l’échelle nationale/mondiale pour véritablement préserver la planète. Quels changements en particulier aimerais-tu voir le gouvernement français implémenter dans les années à venir ?
En ce moment, j’entends beaucoup que les petits pas ne fonctionnent pas. Ça me hérisse, parce que par petits pas, on comprend éteindre la lumière et couper l’eau quand on se brosse les dents. Je trouve que c’est paresseux de les limiter à ça. Effectivement, les petits pas sont des petits gestes, mais plus on avance et plus ils aboutissent à de plus grands pas. Éteindre la lumière ça déclenche des tas des choses : passer chez Enercoop, déposer son argent au Crédit Coopératif, préférer voyager en France ou devenir végétarien. Mis bout à bout, ces pas m’ont permis de diviser par 5 mon empreinte carbone et par 10 la taille de ma poubelle !
Ceci étant dit, il est vrai que face aux 100 entreprises les plus polluantes qui sont responsables de 70% d’émissions de CO2 dans le monde chaque année, nous ne sommes qu’une goutte d’eau qui donne l’impression d’une opposition de David face à Goliath. Finalement, je me demande si nous ne nous trompons pas de question quand nous comparons action individuelle vs action collective. Car agir à son échelle citoyenne, oui ça permet (un petit peu) de réduire son empreinte écologique, mais ça donne surtout la possibilité d’expérimenter l’écocitoyenneté dans sa vie de tous les jours, de comprendre son rôle, de cerner ses limites, de chercher ses passions, pour être suffisamment droit dans ses baskets pour savoir ce que chacun d’entre nous peut ensuite apporter dans le pot commun pour contribuer à la lutte contre le dérèglement climatique. Car cette bataille n’est pas un sprint mais un marathon et il va falloir être sacrément solide pour inverser la tendance en entraînant avec nous les gouvernements et les grandes entreprises qui sont, pour l’instant, encore à des années lumières d’assumer leurs responsabilités en la matière.
Concernant le gouvernement, je crois que tant que nous n’aurons pas changé de « boussole » nationale, nous n’arriverons pas à prendre des décisions d’ampleur pour aller dans le bon sens. Notre président mesure son succès en tenant compte uniquement de la croissance du PIB. L’évolution du chômage et le niveau d’insécurité reviennent aussi souvent dans les débats. Pourquoi ne parlons-nous pas de bonheur ? Pourquoi le fait que les français soient le peuple le plus pessimiste au monde ne choque personne ? Pourquoi le fait que 74% des français gâchent leurs talents ne préoccupent pas plus nos dirigeants ?
Si on change cette mentalité, le reste suivra, j’en suis persuadé…
L’été dernier, dans mon article “Où sont les hommes engagés pour un quotidien plus écolo ?”, je partageais mes préoccupations concernant le manque d’initiatives des hommes dans la sphère privée. Que t’inspire la lecture de cet article ?
Je fais le même constat. J’anime souvent des ateliers et les 2/3 des participants sont des participantes. Il y a très (trop) peu d’hommes qui se posent la question de l’action écocitoyenne individuelle.
Tu le dis très bien dans ton article, ce n’est pas que les hommes ne sont pas intéressés par ces questions, c’est que le rôle dans lequel la société nous a mis nous rend plus imperméable à ce genre de sujets. Nous sommes poussés à chercher le pouvoir, la domination, l’admiration des autres et tendre vers une vie plus écocitoyenne ne va pas encore vraiment dans ce sens !
À la fois, je vois aussi que c’est en train de changer et que, parmi les plus jeunes, s’intéresser au respect du vivant est de moins en moins une question de sexe. Nous avons également la chance d’avoir des penseurs masculins qui prônent cette frugalité heureuse et je pense qu’ils peuvent servir d’exemple pour faire pencher la balance vers plus d’égalité.
Enfin, quelles sont tes sources d’espoir et d’inspiration pour un avenir plus éthique et plus écologique ?
Les écocitoyens engagés que nous sommes avons tellement la tête dans le guidon qu’il est parfois difficile de prendre du recul. J’ai très souvent l’impression que les choses vont trop lentement. J’aimerais que le gouvernement arrête de reculer sur le glyphosate ou les objets à usage unique en plastique. Mais en même temps, c’est dingue comme les choses changent en l’espace de quelques années. Ces dernières semaines, la pétition de l’Affaire du Siècle est devenue la plus soutenue de l’histoire en France avec plus de 2 millions de signataires. Cela montre que l’enjeux climatique a fait sa place dans les soucis des français au point de devenir la préoccupation n°1, et ce n’est pas rien.
Les français se soucient également de plus en plus de leur consommation, ils consomment moins à tel point que la France est entrée en « déconsommation » en 2018 et ils consomment mieux en privilégiant de plus en plus les produits bio, équitables et le « made in France ».
Maintenant, quand on voit que même l’ONU nous alerte au sujet de l’urgence climatique en nous disant que nous avons jusqu’à 2020 pour vraiment inverser le cours des choses, je me dis qu’il est plus que jamais temps de se retrouver les manches et que ça tombe bien puisque l’humanité n’est jamais aussi capable de se retrousser les manches que quand elle est au pied du mur.
Pour en savoir plus :
☛ Plus d’infos et 430 actions écocitoyennes sur Ça commence par moi
☛ Le livre Ça commence par moi : soyons le changement que nous voulons voir dans le monde
☛ Retrouvez les podcasts de l’émission “Ça commence par moi” pour découvrir des dizaines d’acteurs du changement (aussi disponibles sur iTunes)

Merci pour cet article! Je ne connaissais pas du tout son parcours mais je trouve ça très inspirant! Je transfère ton article à mon conjoint et je pense lui proposer d’écouter le podcast ensemble pour en discuter 🙂 Je pense aussi proposer le livre à mon club de lecture pour avril!
Un grand merci donc pour cet article qui encore une fois m’inspire plein de bonnes choses, comme très souvent!
Bonjour Natasha, et merci pour cet entretien qui montre encore une fois que faire autrement est possible – et finalement facile – dans ce monde qui semble parfois cynique ou décourageant… J’ai aussi regardé les liens, juste une petite remarque sur celui qui dit que la France est le pays le plus pessimiste au monde, là encore l’enquête semble concerner uniquement les niveaux de revenus, comme le dit Julien je pense vraiment qu’il serait temps de voir d’autres indicateurs. Et puis en lisant ton article je suis retournée faire un tour sur son site, je me disais que je mettais déjà en application la plupart des alternatives, et oups je m’aperçois que je ne suis toujours pas passée (pour mon compte courant, car d’après ce que je sais la NEF n’en fait pas) à une banque plus éthique (pour l’épargne, à l’époque où j’en avais :-), je la mettais chez Terre de Liens, un super projet de préservation des terres agricoles que tu dois connaître!), ça fait longtemps que je remets ça à plus tard oups, je m’en occupe aujourd’hui! Voilà, encore une petite goutte dans l’océan du changement, un grand merci encore pour tous tes articles qui inspirent de grandes et belles choses tout en douceur!
« Finalement, je me demande si nous ne nous trompons pas de question quand nous comparons action individuelle vs action collective. Car agir à son échelle citoyenne, oui ça permet (un petit peu) de réduire son empreinte écologique, mais ça donne surtout la possibilité d’expérimenter l’écocitoyenneté dans sa vie de tous les jours, de comprendre son rôle, de cerner ses limites, de chercher ses passions, pour être suffisamment droit dans ses baskets pour savoir ce que chacun d’entre nous peut ensuite apporter dans le pot commun pour contribuer à la lutte contre le dérèglement climatique. »
J’ai souri en lisant ça car c’est en grande partie ce qui va me préoccuper pendant ma thèse ! On parle parfois de « pratique préfiguratives » (en anglais prefigurative politics, on a pas de très bonne traduction) pour désigner ces expérimentations qui s’inscrivent dans une logique de changement plus globale. On a en effet besoin de penser tout ça au delà de la dichotomie individuel/collectif je pense. Reste que chacun n’a pas les mêmes possibilités de se lancer là dedans ni même de militer, donc sans grille de lecture politique, je suis pas très optimiste quant au changement qui peut en résulter
Bonjour.
Je suis entièrement d’accord avec Julien, les changements commencent par soi même, et individuellement et collectivement nous pouvons faire changer nos chers politiciens, soyons des consommateurs responsables.
Restons positifs pour nos chers petits enfants. Le flambeau c’est nous qui le portons.
Merci Julien tu nous portes avec toi dans tes actions .
Les gens ne se rendent pas compte que le moindre geste est capable d’apporter de sauver la planète. Il ne faut pas y aller d’un coup, mais faire de simples actions petit à petit !
Bravo pour cet article ! Les initiatives individuelles sont toutes bonnes à encourager, effectivement il faudrait que les plus gros pollueurs s’engagent mais je rencontre encore beaucoup trop de personnes qui se réfugient derrière ça et je refuse de baisser les bras !
je viens d’acheter ce livre et sa présentation est à la fois agréable voire même amusante histoire de rendre le passage à une consommation plus responsable: il m’apporte d’autre piste à explorer ! c’est partie pour améliorer ma contribution à l’environnement
Bjr Natasha,
Merci pour cette passionnante interview. J’avais découvert son site sur un blog écolo et j’y vais de temps à autre. Le genre de personne qui montre que chaque action est importante même en cas de découragement.
On entends souvent dire que ce n’est pas de sa faute si l planète va mal, que c’est la faute des grosses entreprises, et que c’est à elle qu’il faudrait s’adresser. Je ne suis pas d’accord avec ce point de vue, qui se base essentiellement sur le fait qu’il faudrait ne pas culpabiliser les gens dans leur implication dans le changement climatique. Cet argument est assez absurde, lorsque ces mêmes gens voudrait donner la faute à d’autres… Cela fait donc vraiment plaisir de voir découvrir des livres et des personnalités comme Julien Vidal. Bien que je n’ai même pas encore lu le livre, il faudrait le recommander à toutes les personnes qui pensent qu’elles ne font pas le poids. C’est vrai que la France est un pays assez pessimiste, mais il ne faut pas non plus être pessimiste face à cette idée. L’important est d’y aller en douceur, comme le dit Julien. Les gens ont souvent peur de devoir faire un changement brutal, alors que cela n’est nullement nécessaire. Ce qui compte, c’est le résultat final.