Herveline fait partie de ces lectrices avec qui j’ai le plaisir d’échanger dans le groupe Facebook des éco-défis. Ses contributions, pleine de bienveillance, de réalisme et de bon sens m’inspirent beaucoup. Son blog, Sortez de vos conaps est également une véritable mine d’idées et d’astuces pour allier vie de famille, consommation raisonnée, alimentation bio et végétale. Son dernier article, Le bio est-il réservé aux riches ?, est d’ailleurs particulièrement intéressant.
Maman de 2 enfants de 3 et 5 ans ayant opté pour un mode de vie végane grâce à son mari il y a quelques mois, je lui ai posé quelques questions pour en savoir plus sur son cheminement…
Herveline, tu as commencé par supprimer la viande chez toi il y a 18 mois et tu dis avoir un peu bataillé… quelles étaient tes motivations, comment cela s’est-il passé ?
Nous avons commencé à réduire la viande en avril 2013. On en mangeait…beaucoup. Nous connaissions déjà la cuisine végétarienne, nous aimions bien cette cuisine mais on ne voyait aucune raison pour arrêter la viande. À l’époque on était pris dans l’ignorance de la condition animale, et la conviction que l’homme avait besoin de produits animaux pour sa santé. Le végétarisme en tant que cuisine, au même titre que la cuisine chinoise ou mexicaine, ok, en tant que régime alimentaire, ou pire, en tant que mode de vie, non merci.
En avril 2013, nous nous sommes lancés dans un projet immobilier. Financièrement c’était plutôt assez juste, aussi nous avons mis au point un plan drastique de maitrise du budget, de tous les budgets naturellement, mais surtout du budget alimentaire. C’est alors que j’ai proposé de réduire la viande. Mon (futur, à l’époque) mari a accepté car rationnellement c’était la meilleure chose à faire, mais il s’en plaignait à qui voulait bien l’entendre. Avec humour bien sûr, mais du coup lorsqu’on était invités les gens faisaient très attention à nous proposer de la viande, et beaucoup, pour nous faire plaisir. Et cela nous faisait plaisir, d’ailleurs.
Et puis quelques temps après, mon mari a fait un burn-out, cela a été une période bien sombre pour nous à différents niveaux. Il a été placé en arrêt maladie, et cet arrêt s’est prolongé pendant un an et demi. À la fin des 3 premiers mois, la subrogation a pris fin, on a donc connu une perte de salaire et ses revenus sont devenus assez aléatoires. Il a donc fallu, afin d’assumer le quotidien et de mener à bien le projet immobilier pour lequel on ne pouvait plus reculer, contrôler encore plus nos finances : c’est alors que j’ai proposé de supprimer totalement la viande à la maison. C’était en septembre 2013.
Mon mari a eu des réticences, des vraies, il se sentait privé de quelque chose qu’il aimait. Mais cela faisait des mois qu’on ne mangeait plus de viande qu’à l’extérieur ou presque, et il savait bien que supprimer les trois derniers repas de viande sur la semaine ne changerait finalement pas grand-chose à son quotidien, il a donc accepté.
Ton mari a fini par complètement supprimer la viande de son alimentation (en janvier 2014) ainsi que les produits d’animaux (en mars 2015), même à l’extérieur. Quel impact ont eu ces changements sur toi ?
Effectivement, cela paraît sans doute étonnant mais c’est mon mari qui est devenu le premier végétarien, en janvier 2014.
En fait, chacun dans notre coin, on s’est sensibilisés de plus en plus sur la question de la viande, par le biais de recherches et de groupes de discussion Facebook. De mon côté, j’étais de plus en plus interpellée par la condition des animaux d’élevage et il me semblait important de ne pas financer ce système à travers mes courses alimentaires. Mon mari quant à lui était très sensible aux conséquences environnementales catastrophiques de la surproduction industrielle et de la surconsommation de la viande. Il avait déjà beaucoup réduit sa consommation de viande fin 2013, il ne consommait plus, même à l’extérieur, que de la viande issue de producteurs locaux, viande qu’il estimait « traçable » et non industrielle.
Et puis il lui est apparu important d’agir très concrètement, vis-à-vis de cette industrie mais aussi vis-à-vis de la société en adoptant une position claire et aussi pédagogique à l’extérieur : être végétarien, à part entière.
J’ai moi-même été surprise par cette décision, je l’avoue. D’autant plus que je n’y étais pas prête moi-même, même si ma consommation était minime. Sa décision a forcément eu un impact sur nos sorties, puisque les gens, nos proches, ont été amenés à s’adapter. Soit on ramenait quelque chose, soit ils se sont montrés curieux d’apprendre ce qu’ils pouvaient lui proposer. Je me suis retrouvée avec un choix à chaque fois, une option végétarienne et une option carnée. Petit à petit, j’ai de plus en plus choisi l’option végétarienne mais finalement je n’ai jamais sauté le pas, je ne me suis jamais sentie végétarienne.
Comme je suis pleine de contradictions, bien que « même pas végétarienne », j’ai supprimé de ma cuisine en août 2014 le reste des produits animaux. En réalité, plus j’étais renseignée sur les conditions des animaux d’élevage, plus je comprenais que la viande, les produits laitiers ou les œufs, c’était la même chose au regard de la souffrance et de l’exploitation animale. C’est sans doute pour ça que je ne me suis jamais sentie végétarienne. Dans ma tête, il n’y a toujours eu que deux catégories de personnes par rapport à ça, indépendamment de tout jugement : ceux qui mangent des produits animaux, et ceux qui n’en mangent pas.
À cette époque, je mangeais encore l’un ou l’autre épisodiquement, je me sentais donc omni. Omni, refusant de donner mon argent à cette industrie, donc n’achetant ni ne cuisinant aucun produit animal, mais omni quand même.
Cependant, à partir du moment où on a cuisiné végétalien pour notre quotidien, mon évolution a été plus nette. Ma réflexion sur l’exploitation animale s’est exportée sur tous les autres domaines de ma vie et il y a un moment où j’ai réalisé que je ne souhaitais plus cuisiner de produits animaux, tout simplement, ni pour moi, ni pour personne, où je ne souhaitais plus emmener mes enfants au zoo, où j’ai su que la question « vegan » serait toujours présente à mon esprit pour tout achat, cosmétique, entretien, ou tout autre.
Mais c’est encore mon mari qui a sauté le premier le pas du végétalisme « officiel », juste après notre mariage, il y a donc 2 mois. Là par contre, je l’ai suivi, immédiatement et à 100% puisque moi-même je me sens, comme lui, végane. Des bébés végan, avec encore des situations à apprendre à éviter et des dernières difficultés à lever, mais végan sans aucune ambiguïté et sans retour en arrière envisageable.
Son passage au végétalisme est très motivant pour moi, car il est beaucoup plus résistant à la tentation concernant les derniers produits que j’ai du mal à me voir lâcher pour toujours, ainsi que dans les situations où l’option végane semble improbable au premier abord.
En quoi le fait de passer à une alimentation 100% végétalienne a-t-elle influencé l’éducation de vos enfants ?
Dans l’éducation des enfants, je ressens un virage à 180°, et c’est vraiment quelque chose que me tient à coeur. Avant, on était clairement pris dans le schéma éducatif classique concernant la nourriture…
Le schéma qui dit qu’un enfant a besoin de tout pour grandir, y compris viande, produits laitiers, œufs, poisson, and co.
Le schéma qui imprègne l’être humain moderne aussi : on cageole un chat ou un chien, mais on tue et on mange un mouton ou une vache ou un poulet, pour nous ces animaux sont faits pour ça. « Et d’ailleurs… on a bien besoin de manger, c’est la chaine alimentaire… »
Le schéma qui enseigne que chaque animal a une utilité pour l’humain et que sa condition est définie en fonction de ça, et que la vie des animaux destinés à la consommation humaine n’a pas d’importance, qu’il est normal de les exploiter et de les tuer, même en nombre faramineux.
Bien sûr je n’analysais pas les choses de la sorte à l’époque. D’ailleurs je n’analysais rien du tout, et on m’aurait dit ça, j’aurais répondu que la réalité était bien plus simple et bien moins cruelle que ça : une question de besoin, de santé, de survie.
Mais au-delà du rapport de l’homme à l’animal, cette culture spéciste, puisque c’est de cela qu’il s’agit, engendre tout un système qui formate notre vision de la vie et de la mort, ainsi que notre vision de la hiérarchie, non seulement entre les espèces, mais aussi par extension entre les humains, entrainant des discriminations et des privilèges. Tant que nous inculquerons aveuglément et volontairement des principes fondamentalement discriminatoires entre des êtres vivants plus forts et des êtres plus faibles, entre des êtres sensibles doués de langage et d’autres qui ne le sont pas, entre des êtres vivants dits plus intelligents et d’autres définis comme moins intelligents, j’ai bien peur qu’il ne soit pas possible d’espérer un modèle social humain égalitaire.
Enfin bref. Il n’est plus question pour nous de véhiculer ce schéma. Mais nous avons également à cœur de ne pas entraver l’intégration de nos enfants dans la société. S’intégrer ou pas à un modèle sociétal doit être un choix personnel qu’ils ne sont pas en âge de faire. Je ne veux pas les mettre mal à cause de choix que nous avons opéré à leur place et qu’ils sont obligés d’assumer pour nous.
Ainsi donc, ils sont libres à l’extérieur de manger ce que bon leur semble.
Nous faisons le choix de leur expliquer, clairement, pourquoi nous ne mangeons plus de produits animaux. Mon fils pose énormément de questions, car notre évolution s’est faite à un âge où il était capable de saisir le changement. Autant que possible on essaye de lui expliquer pourquoi les autres (puisque pour nos enfants, il s’agit de tous les autres !) pensent d’une autre manière et on lui rappelle qu’il est normal et possible de vivre avec plein de gens qui pensent d’une autre manière.
Parce que manger de la viande, ou raisonner de manière spéciste, ne fait pas des « autres » des êtres cruels ou méchants. Ils sont juste pris dans ce que la culture véhicule très fortement particulièrement depuis le 20e siècle, et nous l’étions nous aussi jusqu’à il y a peu. Je veux que mes enfants prennent la mesure de cela, pour évoluer en paix dans une société qui fonctionne différemment d’eux. Ce n’est pas parce qu’on est bienveillant envers l’autre qu’on perd sa force de conviction… bien au contraire.
Pour ton mariage, raconté en détail sur ton blog, toi et ton mari avez réussi à proposer un repas 100% fait maison et végétalien- quelles ont été les réactions de votre entourage par rapport à ce choix ?
Les réactions de mon entourage ont été diverses.
Pour les amis que nous côtoyons très régulièrement, cela leur a semblé complètement normal, même si eux ne sont pas végétariens.
Pour les amis que nous voyons (beaucoup) moins souvent, on ne les a pas spécialement prévenus, mais il n’y a eu aucun souci lorsqu’ils ont compris qu’ils ne mangeraient pas comme d’habitude, au contraire !
Ma famille en revanche a eu une réaction étonnante. Mes parents ne sont pas végétariens, mais ils mangent souvent chez nous, ils n’ont jamais eu à se plaindre, ni à avoir faim. Ils ont toujours cuisiné pour nous en respectant nos choix alimentaires.
Mais quand il a été question d’un mariage végétarien, et encore plus quand nous avons décidé que le buffet serait végétalien, j’ai eu droit à des remarques telles que « mais il va bien falloir les nourrir tes invités pour qu’ils tiennent toute la nuit ! » ou « mais tu vas imposer tes choix alimentaires à tes invités ? Tu vas les prévenir quand même ? ». Je ne compte plus les propositions récurrentes pour faire des moules frites, ou du poulet, ou même pour qu’ils payent un buffet « normal » et que je fasse « quelques trucs végé à côté ». Ou encore, quand ma mère s’est proposée de faire le tour des traiteurs pour évaluer le coût d’un buffet végétarien, et que je lui ai dit de bien préciser sans poisson ni crustacés, elle m’a répondu, un peu perplexe mais très sérieusement : « Mais tu vas pas leur servir que des carottes ? »
… Comme s’il m’était arrivé une seule fois de ne servir que des carottes à des invités !
Bon, on a tenu, gentiment, mais fermement, il m’a fallu un peu puiser dans ma patience, je ne comprenais pas vraiment leurs réticences alors que cela faisait des mois que notre évolution ne leur posait aucun souci particulier…. Bien sûr, ils ont été comme tous les invités satisfaits de ce qu’on leur a proposé à manger. Et les choses ont repris leur cours normal quelques temps après le mariage !
Je crois qu’au-delà du repas végétalien, le côté « tout maison » a contribué à stresser énormément mes parents. Ça leur semblait si énorme, alors que moi, c’est mon truc, je connais mes limites et je sais donc quand ça passe. Et là ça passait très largement…. Mais ma maman a stressé jusqu’au dernier jour.
Aujourd’hui manger 100 % végétalien à l’extérieur te semble compliqué… pourquoi ? Est-ce l’un de tes objectifs à court ou à long-terme ?
Autant je maîtrise la cuisine quand je reçois, autant concilier végétalisme et sorties a été pour moi très difficile. Car j’ai conscience que pour des personnes qui ne sont pas habituées à cuisiner végétalien, enlever la viande du menu est déjà un casse tête, alors les œufs, et les produits laitiers… Cela leur demande un très gros effort. J’ai conscience également que l’effort peut paraître dissymétrique : eux s’adaptent à nous, mais nous, nous ne nous adapterons plus à leur régime alimentaire. Jamais je n’achèterai aucun produit animal pour une personne venant manger à la maison.
Et puis, question d’éducation, j’ai eu énormément de mal à m’imaginer refuser de manger un plat que des gens auraient la gentillesse de cuisiner pour nous en pensant bien faire. Pendant longtemps, j’ai eu du mal à tenir une position claire à ce sujet, sans culpabiliser, sans avoir l’impression de manquer de respecter au cuisinier, et j’ai (lâchement) profité de la détermination de mon mari.
Mais le temps passe et au fil des invitations je me rends compte que les gens ne se sentent pas si mal que ça de nous inviter. En fait, la plupart de nos amis et famille cuisinent même volontiers végétalien, et ce qui fait encore plus plaisir, c’est qu’ils ne nous font pas un plat à part mais cuisinent comme ça pour toute la tablée.
Il reste quand même quelques situations qui me mettent en difficulté.
Quand on est invités chez des personnes qui ne nous connaissent pas bien, qui ne savent pas, qui ne souhaitent pas faire cet effort ou qui font un blocage psychologique sur la question. À nous de nous débrouiller pour que la soirée se passe nickel pour nous comme pour tout le monde : manger avant, amener une partie de la nourriture…. Bref, anticiper. Et ne pas oublier que ce qui est le plus important, c’est l’amitié, au-delà de divergences de points de vue et de mode de vie. En définitive, on apprécie énormément quand nos amis font l’effort de cuisiner pour nous, mais il n’est pas question de l’imposer à tous. Quand nos amis s’adaptent à notre mode de vie, c’est vraiment confortable, mais dans le cas contraire, c’est à nous de nous adapter à leurs réticences. Quand on va au restaurant, il faut qu’on apprenne à appeler le resto pour négocier une option végane, ou mieux choisir le resto.
Et dernière situation mais non la moindre : il s’agit de mon addiction au fromage-cracra-fondu du type de ceux qu’on trouve dans les paninis au fromage….. C’est le dernier truc qui me reste de ma vie d’avant, et qui surgit parfois en cas de gros coup de mou, en cas de grosse fatigue, flemme ou contrariété : la facilité de la junk food à emporter et le réconfort apporté par la texture fondante du sandwich, on est complètement dans la comfort food. Comme tout le reste, il suffirait que je commande autre chose… Mon mari le fait bien, lui !
J’avoue que si on se marie, ce serait mon rêve de faire un buffet maison ET végéta*ien (et médiéval, en toute simplicité/minimaliste… il faudrait faire un choix je pense ^^) !
Je découvre avec plaisir le parcours d’Herveline et de son mari: ça fait du bien de lire que, parfois, ce sont les hommes qui distillent le changement 😉 J’ai été également impressionnée par son budget mensuel !
Bref, je passerai régulièrement chez elle car beaucoup de sympathie et de bons conseils se dégagent de son blog 🙂
Merci à vous deux pour ce partage intéressant !
Merci Emilie !
Mais pourquoi faire un choix? je suis sure que tout peut se combiner 😉
Herveline <3 et des bisous à vous 2 😉
lol Résé !
Des bisous à toi aussi !
Super témoignage! Ce serait un rêve de pouvoir proposer un buffet végéta*ien si je me marie un jour =)
Bienvenus à Veganland Herveline et la famille. Très intéressant témoignage. Merci. K&M