Au cours des 15 dernières années, j’ai été professeure de français langue étrangère (FLE) dans un collège-lycée en Angleterre, puis professeure de littérature et de FLE dans un lycée international au Canada et je suis présentement professeure d’anthropologie sociale et culturelle dans un lycée international en Allemagne. Être au contact d’élèves de la 6e à la Terminale est à la fois un privilège et une énorme responsabilité : quel privilège de côtoyer des jeunes d’horizons variés, aux personnalités et aux histoires diverses et quelle responsabilité de les accompagner au quotidien pour leur transmettre des connaissances et des compétences qui leur permettront éventuellement d’obtenir un diplôme dans une société où notre degré et notre type d’éducation influence notre mobilité sociale et professionnelle.
SENSIBILISER SES ÉLÈVES À DES SUJETS ENGAGÉS
Ce privilège réside également dans le fait d’être au contact d’élèves généralement très ouvert·es d’esprit, curieux·ses de découvrir d’autres manières de faire et de penser et désireux·ses d’échanger pour mieux comprendre les facettes complexes de notre société ; d’après mon expérience, il est plus facile et enrichissant d’échanger avec des jeunes qui cherchent à se construire plutôt qu’avec des personnes qui pensent déjà tout savoir. En tant que professeure de français puis d’anthropologie, j’ai toujours cherché à tirer profiter de ce contact privilégié avec ces esprits curieux pour intégrer à mes cours des thématiques auxquelles il me semble indispensable d’être sensibilisé·e afin de lutter contre les injustices et violences de la société : racisme, sexisme, homophobie, transphobie, dérèglement climatique, etc. Suivant la matière et le programme que l’on enseigne ainsi que le contexte, aborder de tels sujets de société dans le cadre de nos cours peut exiger plus ou moins de créativité ; pour ma part, j’ai toujours eu la chance d’avoir beaucoup de liberté dans mes classes. Ainsi, à travers l’étude d’articles, d’images médiatiques, d’œuvres littéraires ou d’ethnographies choisis avec soin, je trouve aisément le moyen d’aborder toutes sortes de sujets d’actualité.
Par ailleurs, dans les trois établissements scolaires où j’ai enseigné jusqu’à présent, j’ai eu la possibilité de traiter différents sujets autour de l’écologie, de la santé, du racisme, etc., au cours d’évènements extracurriculaires initiés par moi-même ou intégrés au programme pédagogique global du collège/lycée. Ainsi, suivant les établissements, j’ai pu proposer :
- Un atelier de création suivi d’un défilé de mode upcyclée
- Une présentation des problématiques liées à l’usage de protections hygiéniques conventionnelles et des alternatives plus saines et écologies
- Une présentation sur l’impact sanitaire et écologique des cosmétiques conventionnels suivi d’une discussion sur les alternatives
- Un séminaire sur les zoos humains
- Des séminaires sur le véganisme
- Un séminaire sur l’appropriation culturelle
- Des séminaires sur l’éducation « alternative ».
INVITATION DE L’INSTITUT FRANÇAIS DE BUDAPEST
Ces interventions extracurriculaires offrent de précieuses opportunités de sortir des contraintes du programme scolaire et d’amener les élèves à réfléchir à des sujets qui les concernent de près ou de loin et à les sensibiliser à des problématiques dont iels n’ont parfois jamais entendu parler. Il ne s’agit pas de responsabilités qui figurent dans mon contrat de travail mais cela fait pourtant partie de celles qui font le plus de sens pour moi et qui m’apportent le plus de satisfaction. C’est pourquoi, quand l’Institut Français de Budapest m’a contactée pour me proposer d’imaginer et de diriger un projet autour de l’écologie dans des classes francophones de trois collèges-lycées en Hongrie, j’ai saisi cette opportunité sans hésiter [1] !
Pour ce projet, l’Institut souhaitait mettre en place un projet qui s’étalerait sur quelques mois, de novembre à mars, avec des interventions en ligne et en personne. Après discussion, nous avons décidé de centrer ce projet sur le thème de la mode. L’écologie étant une thématique très vaste, il me paraissait important de choisir une problématique précise par laquelle les élèves se sentent directement concerné·es et sur laquelle iels puissent agir.
LES 4 ÉTAPES DU PROJET
Le projet s’est déroulé en 4 étapes : deux conférences, un atelier puis un défilé.
1. Conférence sur les bases de l’écologie
Pour la première conférence en ligne qui a réuni près de 200 élèves francophones des 4 coins de la Hongrie, j’ai présenté ce que je considère comme étant les piliers d’un mode de vie écologique, suivant la première partie de mon livre 21 éco-défis pour prendre soin de soi et de la planète : être bienveillant·e, devenir minimalisme, choisir des produits biologiques, choisir des produits équitables, choisir des produits locaux, épargner et protéger les animaux et réduire ses déchets. Cette première rencontre en ligne a permis d’expliquer aux élèves, de manière très générale, les problèmes environnementaux, sanitaires et sociaux liés à nos modes de vie, de leur donner quelques exemples concrets d’actions individuelles à impact positif, tout en leur expliquant l’importance de s’investir dans des actions collectives afin de bousculer les structures en place et d’avoir un impact significatif.
2. Conférence sur l’impact de l’industrie textile
Pour la seconde conférence en ligne, nous nous sommes intéressé·es au sujet principal de ce projet : l’industrie textile et la mode upcyclée. En une heure, j’ai expliqué aux élèves divers faits et chiffres leur permettant de comprendre l’impact environnemental, sanitaire et social de l’industrie textile, je leur ai présenté les bases de la mode éthique et donné des clés concrètes et accessibles pour une garde-robe plus responsable. Pour conclure et introduire les ateliers à venir, j’ai présenté le concept de l’upcycling. Pas évident d’aborder une si vaste problématique en si peu de temps mais à partir de quelques faits et chiffres percutants, ainsi que de schémas clairs, j’ai pu donner aux élèves un aperçu de l’impact du cycle de vie d’un vêtement, depuis l’extraction des matières premières jusqu’à son élimination.
3. Ateliers créatifs de vêtements upcyclés
Après ces rencontres en ligne, je me suis rendue en Hongrie pour la mise en place des ateliers de création de vêtements upcyclés. Les élèves de chaque établissement s’étaient organisé·es en amont pour réunir des vêtements et textiles usés/inutiles ainsi que du matériel de couture de base – certains établissements avaient même emprunté des machines à coudre pour l’occasion. Pour démarrer ces ateliers de 3 heures, j’ai commencé par montrer aux élèves différents exemples de créations textiles upyclées, aussi bien par des grand·es couturier·ères que par des amateurices, afin de leur donner des exemples de possibilités de transformation aux complexités variées. Plusieurs des élèves avaient déjà réfléchi à ce qu’iels souhaitaient créer avant mon arrivée et les plus motivé·es avaient même déjà commencé à transformer leurs textiles chez elleux !
Alors qu’iels n’avaient aucune expérience en design ou en couture, toustes ce sont lancé·es avec enthousiasme dans ce projet. Par petit groupe de 2 à 4, iels ont fouillé la pile de textiles à leur disposition, choisis ceux qui leur plaisaient et réfléchi ensemble aux différentes manières de les transformer pour en faire une tenue à leur goût. Certain·es ont pris la peine de faire de jolis croquis, d’autres se sont immédiatement lancé·es dans la découpe des tissus, d’autres encore ont longuement discuté et hésité et chacun·e y est allé·e à son rythme, dans une ambiance à la fois studieuse et joyeuse. Quelques élèves ont pu finir leurs créations au cours de l’atelier mais la plupart ont dû les ramener chez elleux pour les terminer.
4. Défilé de mode upcyclée à l’Institut Français de Budapest
Quelques semaines plus tard, les élèves des trois établissements participants se sont rendu·es à l’Institut Français de Budapest pour présenter leurs créations au cours d’un défilé. Je n’y étais pas mais l’équipe m’a envoyé des photos et vidéos de l’événement où j’ai pu découvrir les différentes créations des élèves – combinaison transformée en robe, jeans à dentelles, pantalon bicolore, cropped tops… il y en avait pour tous les goûts et de toutes les couleurs !
BILAN
C’est avec beaucoup d’enthousiasme et de curiosité que les élèves, les professeur·es impliqué·es ainsi que de l’équipe de l’Institut Français se sont investi·es dans ce projet. À titre personnel, j’y particulièrement apprécié le fait de pouvoir allier mes compétences pédagogiques ainsi que mes connaissances sur l’industrie textile pour créer un projet à la fois éducatif et créatif. En présentant aux élèves des informations percutantes sur le cycle de vie des objets de leur garde-robe et sur les marques qu’iels portent et consomment toustes au quotidien, il a été très facile de capter leur attention.
Par la suite, en explorant l’upcycling comme alternative de consommation, les élèves ont non seulement pris conscience de la quantité de textiles inutilisés stockés dans leurs placards et ceux de leurs proches mais iels ont également réalisé qu’en activant leur fibre créative, iels avaient la capacité de transformer des vêtements usés, pas à leur goût et/ou pas à leur taille en de nouvelles pièces uniques qu’iels prendraient plaisir à porter. Consciente que ce type d’activité créative n’est pas forcément du goût de toustes, j’ai demandé aux élèves de travailler par petit groupe de 2 à 4 afin que chacun·e puisse contribuer au projet à sa manière : design, couture, coiffure/maquillage, mannequin pour le défilé, etc. Ainsi, en réunissant leurs différentes compétences et sensibilités, chaque équipe a pu créer une ou plusieurs pièces upcyclées et chaque membre a pu se rendre utile à sa manière.
Mon souhait, à travers ce projet, est d’avoir motivé les élèves à se poser quelques questions avant d’acheter une nouvelle pièce, à explorer des habitudes de consommation pour une garde-robe plus durable et à donner une seconde vie à leurs vêtements plutôt que de s’en débarrasser. J’espère également leur avoir donné envie d’initier et de s’investir dans des actions collectives pour participer à la transformation d’une des industries les plus destructrices au monde, aussi bien sur le plan social qu’environnemental.
Dans tous les cas, ce fut une expérience très enrichissante pour moi et je remercie sincèrement l’équipe de l’Institut Français de Budapest pour sa confiance, sa gentillesse et son accueil ! Merci également aux professeur·es qui ont pris la peine de d’intégrer ces conférences et ateliers à l’emploi du temps de leurs élèves – je sais combien c’est un casse-tête de bousculer l’emploi du temps habituel et d’obtenir la permission de le faire quand on a un programme à suivre et bien d’autres contraintes ! J’espère que ces ateliers ne seront ni les premiers ni les derniers dans ces écoles et que j’aurai la possibilité de renouveler ce genre d’expérience dans d’autres établissements scolaires [2].

[1] Je précise que j’ai bien entendu été rémunérée par l’Institut Français de Budapest pour ma participation à ce projet mais pas pour la rédaction de cet article que je publie de ma propre initiative.
[2] Toute personne intéressée peut me contacter via mon formulaire de contact.
Pour aller plus loin :
- Le livre noir de la mode d’Audrey Millet
- Mes articles de la catégorie « Garde-robe »
Bravo !! j’aurais adoré participer à un tel atelier. Les établissements français manquent de cours pratiques. Une de mes professeurs de terminale en plein Paris, nous avait appris à changer une roue de voiture. Trente ans après je me souviens plus de ces petites pépites pratiques que de l’enseignement théorique. Moi qui était plutôt littéraire j’avais pris l’option physiques au Bac car elle nous faisait étudier les polymères à travers une installation d’Ernest Pignon Ernest au Jardin des Plantes. Mes plus beaux souvenirs de terminale.
Merci pour ton intérêt pour ce partage Virginie !
En effet, c’est vrai que le programme scolaire français est très théorique… pourtant, jusqu’en fin de primaire, je trouve qu’on fait encore beaucoup de travaux pratiques mais dès la 6e, ceux-ci sont relégués au second plan puis deviennent même des « options ». De toute façon de manière générale nous vivons dans une société qui valorise davantage les professions dites « intellectuelles » plutôt que les celles faisant appel à des compétences pratiques (qu’elles soient artistiques ou non) et cette hiérarchisation se met en place au sein-même de l’école…
Génial, merci pour ce retour qui met le sourire aux levres! C’est tellement beau de voir les jeunes s’intéresser á ces thématique et de savoir que ce genre d’évènements sont organisés pour eux.
Avec plaisir Kellya !
C’est vraiment pas évident, quand on est prof, de mettre en place des projets extra-scolaires… donc c’est vraiment chouette de voir que certain·es font autant d’efforts pour proposer de tels projets éducatifs à leurs élèves 🙂
Bonjour Natasha, ça a dû être une expérience très enrichissante! Merci de la partager avec nous.
Avec plaisir Eva !
Merci pour ton partage de cette expérience qui, on le sent, a été enrichissante à tout point de vue !
J’aurais adoré avoir ce genre d’atelier ! Il y a si peu d’aspects pratiques pendant la scolarité, surtout comme déjà dit plus haut, à partir du collège. Une fois adultes, on y revient mais quel dommage de ne pas a^^rendre plus tôt !
Avec plaisir Amélie ! Il semble y avoir tant de choses que beaucoup d’entre nous auraient aimé apprendre enfant… même si on peut en partie se rattraper devenu·es adultes, on ne dispose plus du tout d’autant de temps pour se consacrer à l’apprentissage de nouvelles connaissances et compétences malheureusement.