Pour ce 2e volet de mes favoris lecture, je vous présente 5 livres qui m’ont beaucoup plu : un roman complètement dépaysant qui m’a conduite au cœur de l’Arctique, une enquête édifiante, sous forme de roman graphique, qui permet de comprendre l’impact environnemental et sanitaire du chlordécone dans les Antilles françaises, un essai qui explique pourquoi le féminisme peut tuer, un manuel d’action qui offre des clés pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles et enfin un essai passionnant sur la charge maternelle.
De pierre et d’os
de Bérangère Cournut
Résumé : « Embarquez à nouveau à la découverte d’Uqsuralik et de la terre inuit. Dans ce monde des confins, une nuit, une fracture de la banquise sépare une jeune femme inuit de sa famille. Uqsuralik se voit livrée à elle-même, plongée dans la pénombre et le froid polaire. Elle n’a d’autre solution pour survivre que d’avancer, trouver un refuge. Commence ainsi pour elle, dans des conditions extrêmes, le chemin d’une quête qui, au-delà des vastitudes de l’espace arctique, va lui révéler son monde intérieur. »
Mon avis : Comme j’ai toujours du mal à l’idée de lire des histoires d’autres peuples racontées par des personnes n’étant elles-mêmes pas issues de cette culture, je me suis un peu renseignée sur l’autrice avant de m’aventurer dans cette lecture. Le travail de recherche qu’elle a mené pour imaginer cette fiction m’a quelque peu rassurée sur ses intentions et les précautions qu’elle a prises pour respecter au mieux les histoires et mythes des peuples inuits lui ayant inspiré cette histoire. Néanmoins, je pense qu’il reste important, lorsqu’on lit ce roman, de garder en tête qu’il a été écrit par une autrice occidentale portant un regard extérieur et possiblement ethnocentrique sur les peuples inuits et qu’il ne peut, en aucun cas, être considéré comme un reflet authentique de leur réalité présente ou passée. Ayant souvent personnellement été choquée par les récits stéréotypés de l’Inde par des auteurs.rices étranger·ères à ce pays, il me semblait important de partager cette réflexion avant de vous en dire plus sur ce roman qui m’a fait frissonner autant qu’il m’a dépaysée. Au fil des pages, j’ai suivi avec émotion le chemin et les rencontres d’Uqsuralik dans un environnement à la fois hostile et vivant. J’ai souvent eu le cœur serré mais j’ai aussi perçu de puissants moments de chaleur et d’amour tout au long de sa vie. Par ailleurs, le récit, dans un style unique mêlant à la fois descriptions et chants traditionnels donne un rythme inhabituel à l’histoire et permet de comprendre toute la place de la mystique dans la vie d’Uqsuralik et de son peuple. Ce livre m’a profondément émue et fait partie des rares romans que je garde dans ma bibliothèque pour le relire.

Tropiques toxiques
de Jessica Oublié
Résumé : « La banane. L’un des principaux fleurons de l’économie des Antilles françaises. Afin d’en assurer le rendement, un pesticide – le chlordécone – a été utilisé très largement entre 1972 et 1993. Aujourd’hui, en Guadeloupe et à La Martinique, les terres sont contaminées pour des centaines d’années et la molécule est présente dans les corps des 800 000 personnes qui y vivent. Scandale environnemental ? sanitaire ? d’État ? Les débats sur cette molécule passionnent et opposent régulièrement, politiques, producteurs de bananes, chercheurs, avocats et acteurs de la société civile. Si la question de la responsabilité doit encore être tranchée devant les tribunaux, les Antillais doivent, eux, résoudre une question tout aussi essentielle : comment vivre dans un environnement à jamais pollué ?
Mon avis : Ce n’est qu’il y a environ 2 ans, grâce aux réseaux sociaux, que j’ai entendu parler du chlordécone pour la première fois et ce roman graphique m’a permis de mieux comprendre l’usage et l’impact de ce pesticide sur l’environnement et les habitant·es des Antilles françaises. Il m’a aussi grandement éclairée sur les différents enjeux politiques et économiques ayant facilité son usage répandu bien après les révélations de sa dangerosité et qui font, qu’aujourd’hui encore, les personnes ayant joué un rôle dans sa fabrication ou son autorisation d’usage aux Antilles dénigrent toute responsabilité face à ce désastre sanitaire et environnemental d’envergure majeure. À travers cette enquête longue et minutieuse, l’autrice donne la parole à une diversité de personnes concernées par cette affaire et permet ainsi d’en comprendre toute la complexité.
Pour aller plus loin :
- L’épisode #120 du podcast Bouffons : « Derrière nos bananes françaises, le scandale du chlordécone »

La terreur féministe
d’Irene
Résumé : « Le féminisme n’a jamais tué personne. » Cette phrase est brandie depuis des décennies par le discours féministe majoritaire. Comme si les féministes cherchaient à rassurer un patriarcat pétri d’angoisse, ou à appuyer l’idée – déjà bien répandue – qu’une femme ne peut pas faire peur, qu’une femme ne peut pas être dangereuse. Mais est-il vrai que le féminisme n’a jamais tué personne ? Elles s’appellent Maria, Noura, Judith, Diana, Christabel. Elles ont fait usage de la violence contre le patriarcat. Elles ont touché au grand tabou. Pour nourrir une réflexion sur la place de la violence dans la lutte contre le patriarcat, Irene nous raconte l’histoire de ces femmes violentes.
Mon avis : Cette lecture fut, pour moi, le déclenchement d’une réflexion sur les différentes formes de violence, leur rôle et leur perception suivant le contexte. Elle m’a permis de réaliser que dans une société patriarcale où les victimes de violences sexistes et sexuelles ne sont ni défendues ni protégées par la justice, leur recours à la violence face à leurs agresseurs est, bien souvent, leur unique bouclier, leur seul moyen d’atténuer/de mettre fin à leurs souffrances, voire leur seule chance de survie. À travers les histoires de femmes victimes de violences patriarcales à différentes époques et dans différents coins du monde, Irene démontre que « la violence féministe est une violence défensive et non pas oppressive » et que la misandrie n’est pas l’opposé de la misogynie mais qu’il s’agit d’un positionnement et d’une réponse inévitables face à une société où les femmes et minorités de genre sont encore largement victimes de violences patriarcales systémiques, structurelles et symboliques au quotidien. Ce livre fait à peine 107 pages et pourtant, il est d’une richesse incroyable, de par les exemples qu’Irene décortique, les faits qu’elle constate et les réflexions qu’elle partage.
Pour aller plus loin :
- Le compte Instagram d’Irene

En finir avec les violences sexistes et sexuelles
de Caroline De Haas
Résumé : En France, 250 femmes sont violées chaque jour. 32 % ont été victimes de harcèlement sexuel au travail. 1,2 million sont la cible d’injures sexistes chaque année. 6, 7 millions de personnes ont subi l’inceste. Ces violences que subissent en France et dans le monde les femmes et les enfants ne sont pas une fatalité. Ce livre est un manuel d’action. Il donne à chacune et à chacun des outils pour que les violences sexistes et sexuelles s’arrêtent.
Pour de bon. Tout simplement. Est-ce une utopie ? Non. Chacune et chacun d’entre nous a un immense pouvoir : celui de parler, de convaincre et d’intervenir pour faire cesser les violences. Et si nous sommes des milliers, voire des centaines de milliers à agir, nous pouvons les faire reculer. Ce superpouvoir, pour être activé, nécessite de connaître la réalité des violences (les chiffres, les définitions…), de comprendre les mécanismes et de disposer de techniques et d’outils pour agir dans nos familles, notre entourage, au travail, dans la rue.
Identifier, comprendre, agir : trois étapes pour changer le monde. Avec pédagogie et humour, Caroline de Haas propose des outils clés en main, accessibles à toutes et tous.
Mon avis : Cette lecture m’a éclairée autant qu’elle m’a secouée. Elle m’a éclairée, parce qu’elle m’a permis de mettre des mots sur bien des maux. Elle m’a aidée à identifier différentes formes de violences et à en comprendre les mécanismes. Elle m’a permis de réaliser que nombre de comportements auxquels les femmes font face quotidiennement – dans le cadre du travail, dans l’espace public et dans la sphère privée – sont illégaux. Elle m’a permis de comprendre les limites des lois et du système judiciaire et carcéral français. Elle m’a secouée parce que pour chaque exemple de violence, ou presque, j’aurais pu nommer une personne de mon entourage… ou me prendre pour exemple. La section sur les violences psychologiques dans le cadre familial et la notion de co-victime en particulier ne m’ont pas laissée indifférente et m’ont permis une véritable prise de conscience. En refermant ce livre, j’ai eu envie de le mettre entre les mains de toustes – il s’agit d’un condensé clair et accessible qui permet, à la fois, de comprendre l’ampleur des violences sexistes et sexuelles et de s’approprier une diversité d’outils pour lutter contre ces violences dans divers contextes. Des violences qui blessent, qui détruisent des vies, qui tuent. Tous les jours. Et dont aucune femme n’est épargnée.
Pour aller plus loin :
- Le compte Instgram de Caroline de Haas
- Le compte Instagram de Nous Toutes, le mouvement de lutte contre les violences sexistes et sexuelles lancé par Caroline de Haas

Lâchez-nous l’utérus ! En finir avec la charge maternelle
de Fiona Schmidt
Résumé : On n’est pas vraiment femme avant d’être mère. T’as que 30 ans, tu vas changer d’avis. T’as déjà 30 ans, faut te dépêcher ! Y a un père ? À quand le deuxième ? T’es sûre, un troisième ? Ah bon, tu allaites ? Ah bon, tu n’allaites pas ? Être mère à 20 ans, c’est irresponsable, être mère à 40 ans, c’est dangereux. Tu veux pas d’enfant : t’es féministe ? T’es lesbienne ? Je peux toucher ton ventre ? Au départ, il y avait cette question : pourquoi le fait que je ne veuille pas d’enfant pose-t-il un problème à tout le monde, sauf à moi ? J’ai trouvé la réponse : parce que je suis une femme en âge d’en avoir qui coche 100% des cases du bingo procréatif. Même 50 ans après la légalisation de la pilule et de l’avortement en France, être une femme, c’est être une mère : être nullipare, volontaire ou plus souvent, involontaire, c’est donc être reléguée en D2 de féminité. Pourtant il ne suffit pas d’être mère pour qu’on vous fiche une paix très relative – oh non… Encore faut-il être une « bonne » mère, selon des normes procréatives et éducatives de plus en plus nombreuses, rigides et contradictoires. Résultat : la plupart des mères, celles qu’on ne voit pas à la télé ni sur Instagram, sont de plus en plus épuisées tout en se sentant de moins en moins légitimes (capables ?). Tant que l’on considèrera que la maternité n’est pas une option mais une preuve de la féminité, tant que la parentalité restera d’abord une affaire de femmes, donc que c’est à elles de concilier leurs douze journées, les inégalités persisteront, non seulement entre les femmes et les hommes, mais aussi et avant tout entre les femmes. À nous de décider qu’elles ne sont pas une fatalité.
Mon avis : Quelle personne dotée d’un utérus – qu’elle soit parent·e ou non – n’a jamais reçu d’injonctions ou de questions franchement indiscrètes sur la (sa) parentalité ? Dès l’enfance, bien souvent, les filles sont déjà encouragées par diverses institutions sociales à se projeter dans la (leur) maternité et à développer toutes les compétences qu’il leur faudra pour être une bonne mère (et une bonne épouse et une fée du logis et une excellente cuisinière et… j’en passe !). Et une fois qu’on est mère ou perçue comme étant « en âge » de le devenir, plus les injonctions et les questions – de proches, de collègues, de professionnel·les de la santé ou encore d’inconnu·es – fusent. Personnellement, c’est surtout à partir du moment où je me suis mariée que les interrogations sur mon désir de maternité se sont faites plus présentes et m’ont beaucoup pesé… En particulier au cours de la période où notre désir d’enfant était freiné par mon infertilité (causée par l’endométriose), elles sont devenues insupportables (avant, je pouvais répondre par un simple « je ne sais pas » pour esquiver une question que je considère profondément intime – parce qu’y répondre peut obliger les personnes concernées à dévoiler des problèmes très personnels – mais ensuite je ne souhaitais pas parler de mon infertilité avec n’importe qui et n’importe quand !). Plutôt isolée et entourée d’ami·es sensibles et bienveillant·es, j’ai par la suite été épargnée du flot de remarques et conseils non-sollicités que j’aurais pu recevoir sur mon choix d’accoucher à domicile, l’allaitement, le portage, l’alimentation de notre enfant, son sommeil, etc. mais je n’y ai pas complètement échappé non plus… D’après mon expérience en tant que femme puis mère, j’ai le sentiment que la maternité est un sujet où, contrairement à bien d’autres pans de notre vie et de nos choix personnels, tout un chacun se sent libre et légitime de s’immiscer et de mettre son grain de sel. Au-delà d’enfermer les personnes dotées d’un utérus dans un rôle (qu’elles ne souhaitent pas forcément tenir), ces injonctions et questions indiscrètes sont la cause de nombreuses inégalités (au travail, au sein des couples, des familles, etc.) et une source de culpabilité, de doutes et de remises en question constants, voire même d’humiliation pour les nullipares, les parent·es ou futur·es parent·es… C’est de tout cela – et bien plus encore – que Fiona Schmidt parle dans son ouvrage où la notion de charge maternelle prend tout son sens. En décryptant les diverses injonctions liées à la maternité, l’autrice met en lumière les inégalités et les souffrances qui en découlent et propose quelques pistes pour qu’on nous lâche enfin l’utérus… C’est un essai extrêmement dense, riche en exemples, en chiffres et en analyses permettant de réaliser l’ampleur de la charge maternelle.
Pour aller plus loin :
- Le compte Instagram de Fiona Schmidt
- Bordel de mères, le compte Instagram créé par Fiona Schmidt

À (re)découvrir
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- Mes 25 favoris lecture de l’année 2021
Bonjour Natasha,
Merci pour cette revue. Depuis un an, je me plaie beaucoup à lire des sujets de société au format BD. C’est vraiment plus accessible que nombre d’essai et ça peut être des portes d’entrée pour creuser ensuite le sujet plus en profondeur. Du coup Tropique Toxique me tente bien, car je connais depuis peu, comme toi grâce au réseaux sociaux, ce problème.
L’autre qui me tente beaucoup, c’est « lâchez-nous l’utérus ». Mais après la lecture de « le chœur des femmes », j’avoue être très remuée à chaque fois que se présente ce type de sujets. Donc ce sera plutôt une lecture de journée et pas du soir !
Bon dimanche,
Mélanie
Bonjour Mélanie,
Comme toi, j’apprécie beaucoup les romans graphiques sur différents sujets de société – c’est un format qui rend accessible des sujets lourds et complexes, de comprendre les bases de certaines problématiques et de se confronter à une diversité de réalités. J’ai découvert les romans graphiques grâce à « Persepolis » qui faisait partie du programme de Français que j’enseignais il y a près d’une dizaine d’année (déjà !) et depuis je me suis ouverte à tout genres de romans graphiques, pour mon plus grand bonheur. Je trouve aussi ce format agréable pour les jours où j’ai envie de lire mais que je me sens trop fatiguée pour me plonger dans un roman ou un essai.
« Le chœur des femmes » me tente bien également.
Bon week-end à toi !
Merci Natasha de nous faire découvrir tes lectures ! Elles ont l’air toutes très intéressantes. Je suis particulièrement intéressée par le roman « De pierre et d’os », et aussi le manuel de Caroline de Haas.
Je te souhaite une belle journée !
Myriam
Avec plaisir Myriam !
N’hésite pas à venir partager ton avis sur ces livres si tu les lis.
Bon week-end à toi.
J’ai fait exactement les même recherche en lisant de Pierre et d’os ! Et j’ai beaucoup aimé aussi 😊
Ce qui me fait penser : aurais tu des lectures à me recommander, se passant en Inde ? J’ai aimé ´Grand Père avait un éléphant’ (éditions Zulma donc traduction de qualité) et un très long thriller (Sacred Games) mais je ne pense pas en avoir lu d’autres. En 10 ans et 500 livres lu d’après mon compte goodreads 😬. Mais ce n’est pas évident de trouver des recommandations de lectures qui soient non occidentales (ou alors je ne connais pas les bons influenceurs lecture 😭). Bref j’aimerais m’améliorer sur ce point donc je prends toute recommandation !
Bonjour,
Mes connaissances d’auteurices indien·nes sont malheureusement très limitées et c’est d’ailleurs un pan de ma culture littéraire que je souhaite développer cette année. Je peux toutefois te recommander quelques titres très connus si tu ne les as pas déjà lus :
– « Le dieu des petits riens » d’Arundhati Roy
– « L’équilibre du monde » de Rohinton Mistry
– « Les enfants de minuit » de Salman Rushdie
Je viens d’acheter « Les veuves de Malabar Hill » de Sujata Massey ; il m’avait été recommandé par une lectrice il me semble. J’ai hâte de m’y plonger.
Si tu lis l’anglais, pour découvrir des livres d’auteurices d’autres horizons, je te recommande le blog de Sabrina likes to read.
Merci pour ces recommandations ! Ma bibliothèque en a déjà deux, youpi !
Et je vais découvrir avec attention ce blog 🙂
Bonjour, je recommande aussi Arundhati Roy dont Le dieu des petits riens est très poignant. On est très, très loin de l’Inde fantasmée par les Occidentaux…
Et le Pakistan, ça compte ? J’ai lu Notre-Dame d’Alice Bhatti de Mohammed Hanif, c’était très chouette…
Sinon, d’un écrivain indien, Vikram Seth, Un garçon convenable m’a complètement emballée.
Merci pour toutes ces pépites partagées, toujours très pertinentes !
Avec plaisir !