Cela fait plusieurs années que je suis Irène sur son blog et son compte Instagram La Nébuleuse où elle partage ses réflexions politiques autour du féminisme, de la cause animale, de l’écologie et d’une diversité de luttes sociales. Elle fait partie des quelques personnes qui m’ont aidée à prendre conscience de l’importance de l’engagement collectif et à développer mon esprit critique. Au travers de ses articles riches en informations, Irène soulève des questions de société importantes, elle propose des pistes de réflexion très enrichissantes et des pistes d’actions pour lutter contre certains des maux de notre époque. Malgré la complexité des sujets abordés, Irène a l’art de rendre ses écrits et réflexions accessibles au plus grand nombre et c’est toujours un plaisir d’échanger avec elle.
Après avoir interviewé Béné il y a quelques semaines, je suis très heureuse d’avoir pu recueillir les réponses d’Irène pour le 2e volet de cette série de portraits engagés et que je vous laisse découvrir sans attendre…
De quel(s) collectif(s) fais-tu partie et comment leur apportes-tu ton soutien ?
Je suis actuellement militante à l’Union communiste libertaire (UCL), une organisation politique qui porte un projet de société libéré du capitalisme et des dominations, et qui défend des pratiques de démocratie directe et d’autogestion (pour en savoir plus : https://www.unioncommunistelibertaire.org/ ). À côté de ça, je suis aussi syndiquée et je m’investis au sein de ma faculté (sciences sociales) dans l’association qui représente les doctorant·es et les chercheur·euses précaires. Mais en ce moment, je suis plutôt en pause militante, car mon travail de thèse me prend beaucoup de temps et d’énergie. J’ai frôlé le burn out militant au printemps dernier, et je me suis depuis désengagée d’un certain nombre de missions. Mon objectif, c’est d’être toujours militante dans 20 ans, alors d’ici là, je vais tâcher de me ménager et de penser mon engagement sur le long terme !
Qu’est-ce que je fais concrètement avec l’UCL ? Pour le comprendre, il faut déjà avoir quelques points de repère sur le fonctionnement de l’organisation. L’UCL a un fonctionnement fédéral, c’est-à-dire que les groupes locaux constituent l’échelon fondamental où ont lieu les discussions, où s’organisent les actions etc. Les congrès et les coordinations fédérales sont des moments où ces groupes locaux votent sur les grandes orientations à donner à l’organisation, qui vont en retour engager les groupes locaux. À l’échelle fédérale, différentes commissions permettent le bon fonctionnement de l’UCL (relations intérieures, relations internationales, formation, journal Alternative libertaire…), mais aussi de réfléchir et de proposer des initiatives sur des sujets et des luttes données (antipatriarcat, écologie…).
Lorsque j’ai décidé de rejoindre l’UCL, j’ai d’abord pris contact avec un des groupes locaux parisiens. J’y ai été accueillie et je me suis investie progressivement, d’abord en accompagnant sur des collages d’affiche, des organisations d’évènements comme des apéro-débats mensuels, des actions de soutien à des luttes en cours (lorsqu’on souhaite adhérer, un temps de réflexion de quelques mois est laissé, pendant lequel on peut participer et voir si on se sent en phase avec le fonctionnement et ce qui est défendu.) Puis j’ai déménagé assez loin de Paris, tout en y revenant régulièrement le week-end… C’est alors qu’est arrivé le mouvement des gilets jaunes, et une période de mobilisation assez intense. J’ai fait plusieurs manifestations à Paris, pendant lesquelles nous diffusions par exemple des tracts explicatifs avec des conseils pour organiser des AG et réunions démocratiques, qui évitent la prise de contrôle par des petits chefs. Cela donnait lieu à des discussions très enrichissantes, c’était généralement bien reçu. En fait, il s’agissait pour nous non pas de chercher à orienter ce qui se passait, encore moins de prendre le pouvoir de façon informelle, mais bien de défendre au sein de ces mobilisations des pratiques démocratiques et autogestionnaires, ainsi qu’une ligne politique claire avec des revendications qui ne laissent pas de place à l’extrême droite et aux récupérations politiciennes. Voilà un exemple de la façon dont j’ai pu m’investir avec un groupe local. Bien sûr, les actions militantes vont forcément varier selon les réalités locales et les périodes.
Par la suite, j’ai quitté le groupe local puisque je n’habitais plus à Paris ou à proximité, et pendant une période d’un an environ, je n’avais plus de groupe de l’UCL avec lequel m’investir. Mais j’ai trouvé d’autres manières de m’impliquer, notamment en participant à distance au journal, Alternative libertaire (relecture des articles, trouver des rédacteur·trices, etc.) et à différents groupes de travail. Entre temps, un groupe local s’est formé près de chez moi, et j’espère pouvoir y participer plus activement dans les années qui viennent ! Les enjeux seront différents de ceux de la région parisienne : moins de militant-es, des mobilisations plus modestes, un ancrage local à construire… Mais c’est tout aussi important. Les choses ne se passent pas seulement à Paris.
Quels ont été les jalons les plus importants de ton parcours militant jusqu’à présent ?
C’est toujours intéressant de réfléchir à cette question, en partant de la situation actuelle et en remontant le temps… C’est toujours une histoire qu’on réécrit a posteriori, mais je pense pouvoir identifier quelques étapes.
Pour commencer, je pense que j’ai été sensibilisée assez tôt, bien que de façon peu politisée, aux inégalités sociales, à l’écologie… Et que j’ai eu assez tôt aussi l’envie et la volonté de peser pour que ça change. C’est important de souligner que ce sentiment qu’on sera en mesure de faire une différence, ça ne coule pas de source. C’est une chose d’être en colère de ce qu’on vit ou de ce qu’on sait que d’autres vivent (déjà deux chose différentes), mais ça ne se transforme pas automatiquement en volonté de s’engager, encore moins en ayant cette forme de confiance dans le fait de participer au changement. Je pense que c’est inégalement réparti, car les enfants des classes supérieures et de milieux diplômés grandissent davantage en entendant des discussions politiques et des discours sur ce qu’il faudrait faire ou pas… et avec un sentiment de légitimité à exprimer des opinions plus grand. Et à partir d’un certain âge, ielles assimilent beaucoup plus souvent l’idée que leur avenir professionnel se jouera aussi dans des cercles de décision, politiques et économiques (en bref, ielles feront partie de l’élite diplômée qui passera des concours, ira dans des grandes écoles, etc.). En tout cas, l’avenir est ouvert, toutes les possibilités sont là. En simplifiant un peu, les un·es n’ont que leur colère devant l’injustice subie, les autres ont une position plus confortable : oui il faut changer les choses, il y a des injustices… mais l’urgence du changement, on ne la sent pas dans sa chair. Avec des parents profs, et ayant grandi avec l’évidence que j’allais faire des études supérieures, je suis plutôt dans la seconde catégorie, bien que je ne fasse pas non plus partie des héritiers et que l’expérience de l’injustice ne me soit pas entièrement inconnue (ne serait-ce que parce que je suis une femme). Cette position sociale influe forcément sur les jalons qui vont suivre.
Cette parenthèse refermée, je pense qu’il y a eu quelques étapes importantes. La première est sans doute l’expérience, éphémère mais formatrice, d’un syndicat lycéen rejoint à la rentrée de seconde un peu par intérêt réel, un peu parce que les gens qui tenaient le stand étaient sympa (et puis étaient en terminale…). Mine de rien, c’est la découverte de l’organisation d’AG, de prises de décisions qui mettent en tension avec les directions de lycée (blocages, manifestations sur le temps des cours), d’un fonctionnement à l’échelle nationale aussi. Toujours au lycée, les cours de Sciences économiques et sociales ont été aussi un déclic supplémentaire, car ils permettaient d’avoir des chiffres précis et des analyses scientifiques sur les inégalités économiques et sociales, et le fonctionnement de l’économie. Des informations qui ne coulent pas de source : finalement, on ne se représente pas toujours le monde économique et social très précisément, la répartition des revenus, les inégalités de salaire, la reproduction de ces inégalités…
Les jalons suivants sont moins clairs, c’est plutôt une multitude de pistes qui se sont rejointes. Pour commencer, je me suis dirigée vers des études en sciences politiques, qui m’ont donc donné une culture politique générale, qui facilite le fait de s’intéresser à l’actualité, le fait de se sentir à l’aise pour débattre aussi. En revanche, je ne me suis pas investie dans un syndicat étudiant en commençant mes études, mais principalement dans une association étudiante écologiste et de solidarité internationale. On organisait des conférences, on proposait des paniers de légumes à prix réduit aux étudiant·es, ce genre de choses. En parallèle, dans les années qui ont suivi, j’ai commencé à apprendre sur un tas d’enjeux différents notamment via les blogs et les réseaux sociaux : féminisme, antiracisme, écologie, histoire des luttes politiques… Et puis, je suivais aussi un cours sur l’esprit critique. Enfin, j’ai aussi découvert l’anarchisme à cette période et commencé à fréquenter de temps à autre des espaces associatifs autogérés. ET je suis devenue végétarienne aussi. Oui, ça fait beaucoup de choses, vraiment une période de grosse ébullition !
Je sais que beaucoup de personnes hésitent longtemps à essayer de militer, que ce soit avec un syndicat, ou une organisation politique… Parce qu’on a peur de ne pas savoir assez de choses, d’être perdues et en retrait dans les discussions, voire d’être embarquées malgré nous dans des trucs qu’on ne maîtrise pas. Et je voudrais dire que moi aussi, malgré tout ce que je lisais, je me suis sentie comme ça pendant plusieurs années ! Je ne me voyais pas rejoindre un parti ou une organisation sans avoir creusé le maximum sur le sujet… Peut-être aussi une déformation universitaire. Maintenant, je réalise qu’on se forme aussi en militant, et que rien ne nous interdit de partir lorsqu’on n’est pas ou plus d’accord. Mais ça reste un vrai cap à franchir.
Finalement, en ce qui me concerne, je l’ai franchi plus ou moins au moment de la mobilisation contre la Loi travail en 2016, période à laquelle je me suis abonnée au journal Alternative libertaire, avant de contacter ce qui allait devenir l’Union communiste libertaire.
Certains de tes positionnements et convictions ont-ils évolué au cours de ton parcours militant ?
Bien sûr ! Mais à moins que j’aie soigneusement oublié des convictions gênantes, je crois que dans l’ensemble, mes convictions se sont surtout précisées et complexifiées au fur et à mesure. Je ne me souviens pas d’avoir eu des changements de cap profonds en termes de valeur et d’horizon politique. Par contre plus j’en apprenais, plus je me « radicalisais » 😀
Je pense que j’ai surtout développé un regard de plus en plus critique sur les partis politiciens, sur les mouvements écologistes dont la plupart s’accommodaient finalement bien du capitalisme… Et j’ai aussi une vision plus fine qu’il y a quelques années des courants existant dans les différentes luttes, notamment des différents courants féministes et des débats qui les animent (mais c’est quelque chose qui se construit progressivement, là on parle d’une construction sur presque 10 ans par exemple ! Donc c’est parfaitement normal de se sentir un peu perdu·e quand on se renseigne depuis quelques mois ou même années… Sans compter que tout le monde n’a pas le loisir de consacrer des heures et des heures chaque semaine à se documenter).
Ce serait long de tout lister, mais si je devais comparer mes positions actuelles avec celles que je pouvais avoir à 20 ans, je dirais qu’aujourd’hui je suis beaucoup plus vigilante et critique quand j’analyse des propositions politiques, des propositions d’actions engagées. Aujourd’hui, je me pose davantage ces questions : à qui est-ce que ça s’adresse réellement, à quel groupe social ? Qu’est-ce que ça vise concrètement ? Quelles implications ça a sur les conditions matérielles de vie des personnes qui sont exploitées dans cette société ? (Dont nous faisons partie pour la plupart, à des degrés différents).
Quel est ton rapport aux actions individuelles ?
Je suis tentée de dire que toute forme d’engagement part d’un déclic individuel, toujours… De ce qu’on vit, de ce qu’on pense pouvoir mettre en œuvre. Et ensuite, puisque c’est profondément ancré dans nos réalités quotidiennes, les réponses qui nous viennent spontanément diffèrent beaucoup selon notre position sociale.
Une fois qu’on a dit ça, qu’est-ce qu’on entend par « actions individuelles » ? En général, on parle de ces actions qui concernent notre mode de vie quotidien, en particulier notre consommation. La façon dont on choisit de s’alimenter, de se déplacer… Comme beaucoup de personnes de ma classe sociale, c’est à ça que j’associais l’écologie il y a quelques années. Et comme beaucoup d’autres personnes, je suis tombée à fond là-dedans pendant une (courte) période : il fallait réduire mes déchets, me chauffer moins, utiliser moins de médicaments et plus de « naturel », manger bio bien sûr, etc. Si je n’ai pas entièrement abandonné ces pratiques, je les considère à présent comme secondaires (mais je suis quand-même devenue végane entre temps).
Il y a plusieurs raisons à cela, qui sont liées entre elles : d’abord, la relative inefficacité de se concentrer sur ce type d’actions, en recherchant à convertir individuellement les gens. Ensuite, le fait que ce type d’actions quotidiennes ciblent majoritairement les classes supérieures et/ou un public diplômé et circulant dans les milieux universitaires ou artistiques, qui n’est pas forcément très riche mais peut adopter des discours et valeurs assez proches des classes riches. Ces enjeux sont loin des réalités quotidiennes de nombre de personnes, réalités qui ne changeront pas parce que les classes moyennes et supérieures mangent davantage bio et achètent leurs vêtements d’occasion.
On pourrait se dire que si ça n’est pas efficace, au moins, ça ne fait pas de mal. Mais ce n’est pas tout à fait exact. D’abord, cela prend beaucoup d’énergie. Il y a donc un moment où si on veut s’investir différemment, militer dans un collectif, il faut revoir ses priorités : on pourra rarement être à fond dans le zéro déchet et la consommation éthique, et militer dans un collectif (du moins, il faudra changer l’investissement dans l’un ou l’autre). On ne peut donc pas simplement additionner les deux formes d’engagements.
Ensuite, le fait même que les actions individuelles liées au mode de vie ciblent ces classes sociales, ce n’est pas anodin. Cela signifie aussi qu’en faire la promotion, axer un contenu ou une campagne dessus, c’est de fait accepter de s’adresser à cette population, et pas aux autres. C’est donc cadrer un discours et des pratiques politiques en fonction des valeurs et des réalités de ces classes… (Bien sûr il y a aussi des personnes issues d’autres classes sociales qui peuvent produire des contenus sur la consommation éthique et les gestes écolo au quotidien, je ne veux pas simplifier à outrance. Je parle des tendances lourdes, structurantes.) Pensons aussi au message qui est envoyé aux gens qui galèrent au quotidien, qui ont des enjeux de lutte autrement plus immédiats aussi, lorsque les réseaux sociaux sont saturés de ce type de contenu sur les efforts à faire au quotidien, les produits responsables à acheter, mais tout en se faisant plaisir, parce que nous, oui on peut être engagé tout en consommant ce qu’on veut… Lorsqu’on fait partie, comme moi, d’un groupe social relativement privilégié et très diplômé, blanc qui plus est, on est porté assez vite vers ce type d’engagement. Mais cela a des conséquences, et il me semble qu’on a au minimum une responsabilité : est-ce qu’on veut participer à ça ? De quels intérêts on veut être solidaire ?
Je suis consciente que moi aussi, via mon blog et mes réseaux sociaux, je parle principalement à des personnes qui partagent mes réalités : en majorité des femmes, ayant fait des études supérieures, sensibles aux questions écologiques, au féminisme. J’essaie d’utiliser l’audience que j’ai pour discuter ces questions, diffuser des outils d’analyse, des pistes pour s’engager différemment… Est-ce que je fais bien de continuer à essayer de convaincre, est-ce que ça sert à quelque chose, je ne sais pas trop. Je crois qu’il faut faire attention à ne pas y mettre trop d’énergie, à rester conscient·e de ces dynamiques sociales, et du peu de diversité du public auquel je parle. Pour l’instant je continue à échanger en essayant de poster moins de choses, mais des conseils plus concrets, surtout pour des personnes qui savent déjà qu’elles voudraient s’engager autrement, mais ne savent pas forcément par où commencer.
Nous traversons une période particulièrement éprouvante. Entre la pandémie et le dernier rapport du GIEC, il est, je trouve, de moins en moins évident de garder espoir et de ne pas se laisser envahir voire paralyser par l’anxiété. Est-ce que ça t’arrive également ? Comment te préserves-tu ? À quoi te raccroches-tu pour faire face au monde d’aujourd’hui et de demain ?
Entre la pandémie, le stress du boulot et des circonstances personnelles difficiles au début de l’année 2021, je ne crois pas être vraiment parvenue à me protéger en ce qui concerne l’anxiété… Du moins, pas assez vite. A présent je crois que je retrouve une forme d’équilibre, mais il a été nécessaire de mettre un certain nombre d’engagements en cause. Je ne le vis pas comme un échec, au contraire je suis vraiment heureuse d’avoir réussi à prendre ces décisions, je sais que c’est la bonne solution sur le plus long terme. Bref, comment est-ce que je vis ça et qu’est-ce qui me fait tenir ?
Sur le plan de l’espoir, je crois que ce qui m’aide à limiter la casse, c’est justement d’avoir perdu pas mal d’illusions, mais de façon très saine je crois. Je sais que certains espoirs ne sont pas réalistes à court terme, qu’on a suffisamment d’éléments historiques qui nous permettent d’évaluer le peu de chances de réussite de certaines mobilisations, ou certains programmes politiques à court terme par exemple… Un exemple : ne rien attendre du tout des gouvernements et des politicien·es, c’est libérateur. C’est autant d’énergie et de colère qu’on ne passe pas à s’indigner en boucle des dernières déclarations de X à la télévision ou en conférence de presse. Bien sûr je n’y suis pas indifférente, mais disons que je leur accorde un mépris général et une colère froide, mais j’y passe le moins de temps possible. Un autre exemple : lorsqu’on finit par connaître un peu l’histoire des luttes et qu’on a quelques points de repère sur la situation sociale, l’état des forces militantes, etc., on s’emballe moins lorsqu’un nouveau mouvement débute (que ce soit Nuit Debout, les gilets jaunes, les grèves climat, etc). On n’est pas blasé·es pour autant, on essaie quand même d’avoir un poids dans ces mouvements… mais on n’en attend pas trop. À la limite, on peut avoir de bonnes surprises, mais on s’évite l’amertume du désenchantement. Elle commence à être bien loin l’époque du lycée où j’embêtais tout le monde pour signer la pétition pour le sommet climat à Copenhague 😀 !
Cette posture par défaut n’est pas fataliste ou défaitiste. On pourrait la qualifier de « pessimisme combatif » par exemple. Récemment, Juliette Rousseau a relayé sur Instagram une citation de David Shulman, fondateur d’un mouvement pour la paix réunissant israéliens et palestiniens, dans un article de Mediapart. Il explique qu’il adopte une forme de « pessimisme tonique », qui prend le désespoir comme point de départ, et cherche à le transformer en autre chose, qui ne soit pas un optimisme superficiel, mais qui continue à regarder vers l’avant même quand ça va au plus mal. Il redéfinit donc l’espoir en le distinguant radicalement de l’optimisme. Je me retrouve assez dans cette approche.
Je pense qu’adhérer au « pessimisme combatif » peut aussi permettre de penser plus modeste mais plus concret, de se demander sur quoi on peut agir, à quelle échelle. Et là on se rend compte que même si ça parait foutu à l’échelle du « monde », il y a toujours des choses à faire, des victoires à remporter, des conditions de vie à changer, des luttes à mener ensemble, qui vont donner du sens à notre quotidien. Ça se passe au travail, quand on refuse les conditions imposées par un patron ou qu’on se réunit entre précaires ou chômeur·euses pour se défendre, ça se passe dans un quartier quand des personnes se regroupent pour réclamer des conditions de logement dignes, quand on défend des lieux contre des projets destructeurs, quand on entre en campagne pour défendre nos droits, qu’on découvre ce qu’on est capable de faire en non mixité, etc. Ce n’est jamais vrai que tout est fichu, récemment encore on a eu vent de plusieurs grèves victorieuses dans le secteur du nettoyage, par exemple. Et dans ces mouvements, ce qui se joue, ce n’est pas seulement ce qui a été arraché en salaires et conditions de travail (même si c’est énorme), c’est aussi le fait d’avoir relevé la tête, de créer des compétences ensemble, de prendre la mesure du pouvoir qu’on peut récupérer. C’est une expérience forte et durable qui dépasse toujours de loin la seule liste des victoires matérielle. Ce qui me fait penser à ce que Corinne Morel-Darleux appelle « la dignité du présent ».
Enfin, ces derniers temps j’aime penser aussi à toutes les personnes que j’aime et avec qui la vie vaudra forcément le coup d’être vécue tant qu’elles sont près de moi. C’est certain cependant que c’est plus facile d’essayer de relativiser de cette façon quand la dégradation de la situation sociale et écologique ne me touche pas de plein fouet. Je pense malgré tout que c’est ce qui nous permet de tenir, ça et le fait de savoir que plein de gens se battent ici et ailleurs dans le monde, dans des conditions bien pires, et qu’on leur doit bien d’être solidaires de ces luttes, qu’elles aboutissent ou non.
Et pour finir, voici quelques questions en vrac :
- Ton plat végétalien préféré du moment : j’ai hâte de me refaire des parmentiers véganes !
- Ton dernier coup de cœur engagé : ce n’est pas une lecture très récente, mais je recommande chaudement le livre La puissance des mères de Fatima Ouassak. Il est à la fois très accessible en termes de lecture, et extrêmement enrichissant sur le plan politique.
- Un média indépendant que tu aimerais recommander : le site d’actualité et de décryptage des luttes Rapports de force, qui n’a pas la reconnaissance qu’il mérite.
Pour aller plus loin :
- Le blog d’Irène La Nébuleuse
- Son compte Instagram La Nébuleuse
Quel portrait inspirant ! Merci pour cette découverte Natasha, je m’adonne de ce pas à son compte instagram et je cours voir son blog ! Belle journée à toi
Myriam
Irène fait partie des personnes qui ont largement contribué à enrichir ma culture politique. J’approuve complètement la notion de « pessimisme tonique ». C’est ce qui me permet de garder le cap malgré l’enchaînement des désillusions.
Merci pour cet article ! C’est très intéressant d’avoir ce témoignage de cheminement et de mettre des mots sur ce qu’on peu ressentir de manière floue. Je trouve très pertinente la question : « à qui ce message s’adresse ? ». Et je me retrouve totalement dans le concept de pessimisme tonique !
Merci Natasha pour cette série d’articles.
Merci, effectivement c’était très intéressant, comme annoncé sur Tipee 🙂
Bonsoir Natasha,
Merci pour tous ces portraits.
Merci beaucoup pour cet article. Je stoppe de plus en plus le réseaux sociaux et privilégie l’abonnement aux infolettres, donc j’apprécie d’autant plus ce genre d’interviews !
Merci pour ton retour, ça me motive à en publier d’autres !
J’adore vraiment ce format d’interview, car même si je « connais » Irène via Instagram, j’ai l’impression de la redécouvrir !
Je suis d’accord que connaître l’histoire (ou est-ce de la maturité ?!) permet de ne pas s’enthousiasmer trop vite dès qu’il y a un nouveau mouvement social ! Et elle a tout à fait raison, quand elle dit qu’il ne faut rien attendre des politiques, cela fait gagner un temps fou 🙂 ! Bon, par contre, cela peut être à double tranchant, car cela peut cautionner les gens à ne pas aller voter… Mais c’est un autre débat.
Et juste une micro-nuance, pour certaines personnes, le zéro déchet a simplifié leur vie (mon cas 🙂 !), mais je suis d’accord sur la charge pour une majorité de personnes, cela dépend de la façon dont on a été élevé et où l’on habite !