J’ai découvert le travail de Béné sur Instagram, il y a environ 3 ans, et je la suis avec intérêt depuis. Ses analyses perspicaces de l’actualité, ses minutieux décryptages d’articles de presse et ses récits en tant que militante dans le cadre du collectif Stop Carnet sont extrêmement instructifs. Sans langue de bois, elle partage son indignation face aux injustices sociales qui la touchent de près ou de loin et propose souvent des pistes d’actions collectives pour inciter chacun·e à lutter contre diverses politiques capitalistes, colonialistes et patriarcales.
Ses partages m’ont permis de développer mon intérêt pour une diversité d’actions collectives, m’ont poussée à remettre certaines de mes priorités en question, ont nourri mon souhait d’aller plus loin dans mon engagement et m’ont aidée à comprendre pleinement le sens de la radicalité. En effet, comment lutter contre l’injustice sociale et climatique sans s’attaquer à la racine des maux ?
Après plusieurs mois d’échanges virtuels, j’étais vraiment ravie de pouvoir rencontrer Béné à Paris, en mars 2020, à l’occasion de la sortie de mon livre (pour lequel elle a rédigé un encadré au sujet de l’impact de l’avion). Bien que brève, notre rencontre m’a beaucoup touchée et n’a fait que confirmer ce que j’avais perçu d’elle à travers ses publications en ligne : Béné est une personne très sensible et à l’écoute, animée par une volonté profonde de mettre ses compétences, son temps et son énergie au service de luttes indispensables pour une société juste et un monde durable.
Au printemps dernier, Béné a publié La révolution du potager, un livre unique en son genre puisqu’il s’agit à la fois un guide pratique pour les (néo) jardinier·ères et un ouvrage riche en informations ainsi qu’en pistes de réflexions et d’actions pour faire sa part, à l’échelle collective. J’y ai retrouvé le style de Béné, teinté de franchise et d’humour, ainsi que sa faculté à transmettre, avec joie et conviction, ses connaissances et aspirations en tant que jardinière et militante.
Vous l’aurez compris, Béné est une personne très portée par ses convictions au quotidien et qui fait un travail remarquable de sensibilisation en ligne et s’investit énormément en tant que militante sur le terrain : je suis donc très heureuse qu’elle ait accepté de répondre à mes questions pour inaugurer cette toute nouvelle série de « portraits engagés ».
Je vous laisse à présent découvrir ses réponses…
Quels ont été les jalons les plus importants de ton parcours militant jusqu’à présent ?
Hello Natasha et merci de me donner la parole écrite sur ton blog que je suis attentivement depuis plusieurs années ! <3
Je ne sais pas trop s’il y a eu des jalons plus importants que d’autres dans mon parcours, je me laisse surtout porter par mes apprentissages au fil du temps 🙂
J’ai commencé par l’écologie individuelle (manger plus bio, réduire mes déchets, végétarisme, ne plus prendre l’avion, etc.) il y a 7 ou 8 ans et, au fil de mes expérimentations, de mes rencontres, de mes lectures, visionages, etc., j’ai beaucoup évolué sur tout un tas de questions liées à l’écologie, au féminisme et au politique d’une manière générale. J’ai ouvert les yeux sur tout un tas d’injustices et j’ai eu envie d’agir.
J’ai commencé par m’engager dans une association de jardins partagés il y a 4 ans, puis dans des collectifs féministes, puis j’ai ressenti le besoin de m’engager de manière radicale à échelle locale et j’ai rejoint le collectif Stop Carnet (en lutte contre un projet destructeur en bord de Loire), suite à une réunion d’information sur le projet du Carnet. Cette lutte a réellement changé ma vision du monde et m’apporte beaucoup malgré les violences institutionnelles subies, c’est une lutte profondément politique qui mêle lutte contre les industries polluantes, les projets destructeurs, le néo-colonialisme, le racisme environnemental et lutte pour un monde plus digne pour tous et toutes, surtout pour les premières victimes du dérèglement climatique qui sont les personnes racisées, les femmes, les personnes précaires et les animaux.
Très investie dans le zéro-déchet au début de ton cheminement, ce n’est désormais plus ta priorité. Peux-tu nous expliquer pourquoi ?
Le zéro-déchet est en effet une étape assez importante de mon cheminement ; en m’en saisissant j’ai eu l’impression de mettre en place un changement radical (malheureusement fantoche) dans mon mode de vie. Si je continue à vouloir réduire mes déchets au maximum, je me mets désormais beaucoup moins la pression et tente d’agir sur des axes qui ont davantage d’impact à échelle individuelle (végétalisation de mon alimentation, réduction de ma mobilité, etc.) et mon engagement collectif ne me permet plus d’avoir autant de temps et d’énergie qu’avant à consacrer à la fabrication de produits maison, à la cuisine quotidienne, etc.
J’explique dans mon livre que le zéro-déchet fait peser une charge mentale considérable sur les femmes (tu as probablement dû en parler de ton côté également ! :)) et je préfère m’émanciper à échelle individuelle et collective que de me mettre une pression importante sur ma production de déchets 🙂
Tu cultives un magnifique potager et c’est le sujet principal de ton livre. Comment t’es-tu intéressée à la culture des fruits et légumes et en quoi ces connaissances sont-elles importantes à tes yeux ?
Merci !
Mes quatre grands-parents étaient paysan.ne.s en Bretagne et mes parents ont eu très régulièrement un potager pendant mon enfance. J’étais assez peu intéressée à la question agricole étant plus jeune et mon intérêt est venu vers mes 25 ans, je rêvais d’avoir un petit espace cultivable pour faire pousser des légumes et pouvoir m’en nourrir autant que possible mais sans utiliser des produits de synthèse et en respectant au maximum les milieux vivants autour de moi.
J’ai commencé à me renseigner sur la permaculture et le sujet m’a tellement passionné que j’ai lu et regardé tout ce que je pouvais pour apprendre et faire au mieux. J’ai commencé à expérimenter dans mon jardin et à apprécier cultiver à ma petite échelle.
Je trouve que savoir comment poussent les légumes et de prendre conscience de l’énergie, du temps et des paramètres dont ont besoin les végétaux pour pousser et nous nourrir est extrêmement important et précieux. Cela nous permet de comprendre comment fonctionne le sol et ce dont il a besoin, comment la protection de la biodiversité a un impact sur nos cultures (même à échelle individuelle) et comment le potager peut vraiment être un axe d’entrée et un levier d’action et de compréhension dans l’écologie systémique et radicale.
De quel(s) collectif(s) fais-tu partie et comment leur apportes-tu ton soutien ?
Comme dit précédemment, je fais partie du collectif Stop Carnet, je me suis détachée des collectifs féministes dont je faisais partie principalement pour des questions de temps et d’énergie limitée.
Le collectif Stop Carnet est très émancipateur à mon sens (probablement car initié par des membres libertaires), chacun.e est libre d’agir au sein du collectif en fonction de ses moyens, de ses envies et de ses compétences. De mon côté, je donne mon avis (et ça, tout le monde peut le faire !) et je m’occupe beaucoup de la communication (écrire des textes, etc.) mais je me saisis de missions en fonction des dynamiques du collectif.
Comme beaucoup de personnes engagées, tu es sensible à une multitude d’injustices socio-environnementales. Dans un monde où la souffrance est partout, comment choisis-tu les causes sur lesquelles tu sensibilises ta communauté et les actions collectives dans lesquelles tu t’investis ?
Quelle question ! 🙂
Je suis une femme et j’aime beaucoup les non-humain.e.s (les humain.e.s aussi mais ça dépend lequel.le.s ! ^^) donc mes sensibilités directes vont vers le féminisme et la protection des animaux et de la biodiversité. Mais je suis très sensible, les injustices et les rapports de domination quels qu’ils soient me touchent et je n’ai pas envie de prioriser forcément les luttes auprès de ma communauté, même si j’informe évidemment davantage sur l’écologie et le féminisme puisque ce sont des sujets sur lesquels je suis davantage informée 🙂 Et puis finalement, l’écologie touche un tas d’autres luttes (anti-racisme, féminisme, anti-spécisme, lutte contre la précarité, etc.) donc ça me permet de parler de sujets différents avec des axes complémentaires…
Nous traversons une période particulièrement éprouvante. Entre la pandémie et le dernier rapport du GIEC, il est, je trouve, de moins en moins évident de garder espoir et de ne pas se laisser envahir voire paralyser par l’anxiété. Est-ce que ça t’arrive également ? Comment te préserves-tu ? À quoi te raccroches-tu pour faire face au monde d’aujourd’hui et de demain ?
Cette question tombe à pic (ou pas !) puisque je suis dans un état de santé mentale pas terrible du tout depuis quelques semaines. Le rapport du GIEC, l’inertie politique et collective et la montée du fascisme me font peur et les violences subies par les militant.e.s écologistes au Carnet m’épuisent en plus de m’indigner encore plus. L’anxiété ne me paralyse pas mais elle me fait souvent souffrir, en revanche la colère est un moteur très important pour moi et elle me pousse à agir. Par ailleurs, je suis privilégiée et c’est à moi d’agir en priorité donc j’essaie de transformer toutes mes convictions individuelles en actions collectives. La lutte du Carnet est particulièrement criminalisée par l’Etat et nous subissons beaucoup de violences, mais lutter me rend également vivante, me fait rencontrer des chouettes personnes et vivre plein de moments intenses, donc je me laisse emporter et je continue !
Je suis très mauvaise pour me préserver, je suis accro à l’actualité et suis très souvent en colère, mais j’ai de la chance d’être bien entourée, d’avoir un jardin, des animaux trop mimi et plein de passions alors j’essaie de me recentrer sur tout ça lorsque ça ne va pas… (sans occulter le suivi par des professionnel.le.s si ça ne va vraiment pas !)
Pour faire face au monde d’aujourd’hui et de demain, je me raccroche à ce que je peux faire à échelle locale, comme au Carnet par exemple. Cela me permet d’avoir un ancrage dans mon territoire, d’avoir un impact politique concret et de participer à la construction d’alternatives pas loin de chez moi, ça me sauve lorsque tout me désespère !
Et pour finir, voici quelques questions en vrac :
- Ton plat végétalien préféré du moment : huuum, je dirais mon plat préféré en toutes saisons : les légumes rôtis (et en été c’est courgettes, tomates, pommes de terre et aubergines avec des oignons, de l’ail, des herbes et de l’huile d’olive, MIAM !) ou une bonne salade de lentilles, oignon rouge, tomate cerise, basilic et concombre.
- Ton dernier coup de cœur engagé (lecture, docu, podcast, etc.) : c’est pas super joyeux (désolée) mais j’ai regardé deux documentaires incroyables sur Arte : “Afghanistan”, pour comprendre le conflit et le rôle de l’impérialisme dans 40 ans de guerre, en 4 épisodes, à voir absolument et “War diary”, sur la Syrie. Très douloureux et violent mais nécessaire.
- Un média indépendant que tu aimerais recommander : allez, comme je ne respecte jamais rien je vais en donner 3 : Médiapart, Les Jours et Disclose (et son antenne bretonne Splann !).
Pour aller plus loin :
- La révolution du potager, le livre de Béné
- Melle Béné, son compte Instagram
- Sea and Seed, son blog
À travers cette série de portraits engagés, j’ai à cœur de mettre en avant l’engagement et le travail d’une diversité de militant·es. S’il y a parmi vous des personnes engagées contre les injustices sociales et climatiques, et qui tentent de faire bouger les choses au-delà de leur foyer, n’hésitez pas à m’envoyer un message. Je serais vraiment heureuse d’échanger avec vous et de partager votre témoignage sur mon blog.
Un portrait très inspirant, merci Natasha pour cet article ! Je vais de ce pas découvrir son blog et son compte instagram. Une belle découverte !
Bonjour Natasha ! J’aime beaucoup ce format. C’est très inspirant ! Un grand merci à Béné et toi !
Bonjour Natasha,
Ce portrait est très inspirant. Béné donne vraiment envie de s’inscrire dans un changement global à l’échelle local.
Merci pour cette interview.
Coucou Natasha, je prends enfin le temps de lire l’article sur l’ordi pour y laisser un commentaire (mieux vaut tard que jamais!).
Merci beaucoup pour ce portrait, je trouve que cette série d’articles est vraiment une bonne idée. Je vais d’ailleurs t’envoyer un mail pour te parler d’une activiste que tu apprécierais peut-être de publier 😉
A très vite!
Delphine
Merci beaucoup pour cet article, j’ai hâte de découvrir les autres portraits, c’est une belle idée de nouvelle série !
Je suis aussi Bene et apprend beaucoup grâce à elle, en revanche je ne partage pas l’analyse sur le zéro déchet. Pour être militante dans un groupe local de l’association Zero Waste France, je trouve qu’une minorité de nos actions concernent les actions individuelles, plutôt dans une optique « d’attraper » de nouvelles personnes pour ensuite les accompagner dans leurs prises de conscience. La grande majorité de notre énergie est concentrée vers des actions collectives auprès des différentes autorités publiques et professionnelles locales.
Merci Natasha pour cette interview ! Même si je « connais » déjà Mlle Bene via Insta, je trouve ça super sympa de la retrouver sur un autre format !