Grâce au formidable travail de l’association L214, les médias français parlent de plus en plus des conditions d’abattage des animaux d’élevage. Les plus courageux.ses d’entre nous ont peut-être regardé ces vidéos tournées en caméra cachée et observé, incrédules, la violence, la douleur et la tristesse qui règnent dans les abattoirs. Dégoûté.e.s de contribuer à ce système, certain.e.s ont réduit leur consommation de produits carnés. D’autres y ont même entièrement renoncé. En attendant, chaque jour, des millions d’animaux continuent d’être entassés dans des camions avant d’être acheminés vers les abattoirs où ils sont assommés, tués, plumés, dépouillés, vidés, écartelés et dépecés pour finir sur les étals des bouchers. Derrière ce système se trouvent aussi des hommes et des femmes qui élèvent, transportent, tuent et transforment ces animaux en morceaux de viande. C’est leur travail.
Après avoir visionné les vidéos d’L214, Geoffrey Le Guilcher réalise qu’on n’y apprend rien des “hommes en combinaisons tachées de sang qui pendent [les animaux] à des crochets”. En 2016, ce journaliste décide donc de travailler dans un abattoir breton pour “tenir le couteau avec eux et raconter ces mains qui assomment, tuent et découpent des êtres sensibles toute la journée”. Il change alors de look, modifie son identité et invente un CV imaginaire afin de pouvoir trouver un emploi dans un abattoir sans révéler ses intentions. Il finit par se faire embaucher dans une usine qu’il a rebaptisé “Mercure” où, pendant 40 jours, il va occuper différents postes sur la chaîne d’abattage et prendre note de ses découvertes afin de les partager dans son livre Steak machine*.
Au fil des chapitres, il nous confie ce qu’il a fait, vu, entendu et ressenti. Il nous explique les différentes tâches qu’il doit accomplir et dans quelles circonstances. Il nous parle des problèmes techniques et de la cadence des machines. Il nous décrit ses douleurs et ses cauchemars. Il nous raconte ses visites chez le médecin. Il retranscrit ses conversations avec ses collègues. Très vite, il réalise que pour tenir, un.e employé.e d’abattoir doit passer outre l’odeur de cadavres qui domine dès l’arrivée sur le parking, mettre des œillères face au sang et à la souffrance des animaux, ignorer les risques de blessures (graves) auxquels il.elle est soumis.e à chaque étape de la chaîne, accepter les douleurs chroniques, se soumettre à une hiérarchie plus soucieuse du profit que du bien-être et se résoudre à noyer l’horreur de son quotidien dans les médicaments, l’alcool et/ou les drogues.
Geoffrey Le Guilcher ne prétend pas présenter un ouvrage généraliste sur les abattoirs français. Il s’agit bien là d’un exemple et de sa propre expérience dans un contexte précis et pendant une durée limitée. Ces 40 jours à Mercure lui ont toutefois permis de mettre le doigt sur des problèmes récurrents ou omniprésents dans ce milieu : la pression du profit, la cadence “infernale”, les horaires harassants, les blessures régulières, les douleurs ineffaçables, la non-reconnaissance de ces maux comme “accident du travail” ainsi que la crainte de perdre son poste qui pousse certain.e.s employé.e.s à taire leurs souffrances.
Tout au long de son récit, Geoffrey Le Guilcher met également en avant les législations, les réglementations, les mesures d’hygiène ainsi que leurs failles. Ainsi, on réalise que si des efforts sont faits pour améliorer les techniques d’abattage, celles-ci visent avant tout à accélérer la cadence, pas forcément à améliorer le bien-être des animaux ni celui des humain.e.s. Par ailleurs, on prend conscience que ce rythme soutenu augmente les risques sanitaires, ce qui explique pourquoi on peut se retrouver avec des morceaux de viande contaminés dans notre assiette. L’auteur évoque aussi le bien-être et la souffrance des animaux, la manière dont les employé.e.s d’abattoir y font face et pose la question suivante : “les consommateurs de viande peuvent-ils raisonnablement demander à quelqu’un d’égorger, comme chez Mercure, 400 animaux par jour, et d’être en même temps éveillé à la souffrance animale ?”. Pour sa part, l’auteur admet qu’en commençant son travail à l’abattoir, il a très vite commencé à réduire sa consommation de chair animale.
Ce petit livre de 167 pages n’est pas une lecture particulièrement agréable, il faut bien l’admettre. Bien que l’auteur ne s’attarde pas trop sur l’abattage des animaux, il y fait bien évidemment référence, et surtout, il décrit en détail l’atmosphère, les lieux, les tâches à accomplir et les difficultés que rencontrent les employé.e.s au quotidien. J’ai malgré tout trouvé cette lecture intéressante car elle permet d’avoir un aperçu de ce que les ouvrier.ère.s d’abattoir vivent, voient et ressentent derrière ces murs quasiment impossibles à franchir, à moins d’être un futur morceau de viande ou un.e employé.e. J’ai aussi apprécié le fait que Geoffrey Le Guilcher ne porte pas de jugement mais se contente de présenter les faits, exprime son propre ressenti et pose des questions qui invitent à la réflexion.
À l’heure où nous sommes de plus en plus nombreux.ses à souhaiter acheter des produits importés issus du commerce équitable, ce récit nous rappelle que tout près de chez nous – dans un pays dit “développé” – des hommes et des femmes travaillent également dans des conditions épouvantables.
C’est une super analyse qui donne envie de se pencher de plus près sur ce récit. Tu as raison, c’est bien de rappeler la condition des employés d’abattoir qui ne font pas ca pour le plaisir mais seulement pour gagner leur croûte et qui changeraient volontiers de métiers s’ils en avaient la possibilité…. néanmoins ce marché de l’emploi que procure les abattoirs ne doit pas être, pour moi, un frein à l’abolition des abattoirs.
Je doute effectivement que l’on puisse travailler dans ces conditions et effectuer ces tâches par plaisir… En dehors des abattoirs, je pense que beaucoup de personnes travaillent aujourd’hui dans des conditions très difficiles et n’ont pas la conscience tranquille. Ce n’est malheureusement qu’un exemple parmi tant d’autres.
Bonjour. Ces derniers mois j’ai lu beaucoup de livres de ce genre, mais celui là me parait vraiment trop difficile à lire ! Mais si il faut encore à certains des arguments pour se convaincre de l’horreur du quotidien des animaux et des humains pour arrêter de manger des produits carnés c’est bien celui là qu’il faut avoir le courage de lire ! Merci pour ce partage. Bonne semaine :o)
Je lis beaucoup de livres sur l’horreur que vivent certains êtres humains au quotidien à travers le monde dans le cadre de mon travail donc je suis malheureusement habituée à ce genre de lectures… et celle-ci était bien plus supportable que d’autres !
Je n’ai pas lu ce livre mais ton article me conforte dans la vision que j’ai de ce métier. Je trouve dommage que certains véganes soient très prompts à critiquer (voire même insulter) les employés d’abattoirs. Pour moi, ces gens sont avant tout des victimes de notre système, et je les plains de tout mon coeur. On pourrait me répliquer que les animaux sont les vraies victimes, ce qui est juste, mais je pense que personne ne choisit vraiment un travail comme celui-ci. Il y a peut-être en effet un ou deux sadiques dans le tas qui aiment ce qu’ils font, mais je pense que c’est loin d’être la majorité. Quel travail affreux que d’égorger des animaux au quotidien, pour que les consommateurs puissent avoir leur tranche de jambon. Je pense que personne n’est fier de dire « je travaille dans un abattoir ». Les gens qui critiquent les conditions d’abattage à la chaîne des animaux devraient être conscients que c’est parce qu’ils achètent de la viande, et qu’ils la veulent à un prix toujours plus bas, que ces choses existent. C’est la preuve ultime que le consommateur a un fort pouvoir de décision. Là où j’ai un peu peur, c’est qu’en se focalisant uniquement sur les aspect « douleur » et « abattage à la chaîne », on ne remette pas en question le fait de tuer un animal pour le manger dans un pays où on peut s’en passer, et ce quel que soit la méthode. Des projets d’abattoirs plus « éthiques », qui promettent un abattage sans stress et sans douleur pour l’animal, sont en train de voir le jour, car le consommateur veut continuer à manger de la viande, pourvu qu’elle ne souffre pas.
Je pense aussi que les consommateur.rice.s peuvent avoir une très grande influence sur les modes de production (et de distribution)- c’est d’ailleurs ce que dit Claude Gruffat au sujet du bio dans le livre Les dessous de l’alimentation bio que je viens de terminer…
Et comme toi, les projets d’abattoirs « éthiques » m’inquiètent beaucoup…
je ne sais pas si j’aurai le courage de le lire.
J’avoue que je lis déjà beaucoup de livres sur la souffrance humaine dans le cadre de mon travail et même si cette lecture n’était pas agréable, elle était moins violente que d’autres… Il est vrai qu’il faut toutefois s’accrocher…
ça tombe bien, ma bibliothèque a justement cet ouvrage 😉 Je vais m’empresser de le réserver, merci d’avoir partagé cette référence !
Je t’en prie !
Il a eu du courage d’aller jusque là pour pouvoir en faire son récit.
Je ne pense pas pouvoir lire ce genre de chose, qui me touche vraiment énormément sur le long terme.
En tout cas, je salue sa prouesse et son courage.C’est aussi bien de sa part de ne pas porter de jugement a ceux qui travallent là.
J’ai également apprécié le fait qu’il cherche à comprendre le système plutôt que de simplement critiquer les individus qui en font partie (même si évidemment ce système est constitué d’individus mais les structures sous-jacentes oppressent largement le pouvoir personnel).
Merci pour ce très bon résumé. Je vais le rajouter dans ma liste « A lire ».
Je t’en prie 🙂
Merci de ce partage. Je n’ai pas lu « Steak machine » de Geoffrey Le Guilcher et ne le lirai sans doute pas, ton résumé me suffit, je refuse de m’imposer des images de violence quelles qu’elles soient. Je lis et sais aussi suffisamment d’horreur de part mon travail.
Je sais la violence du monde dans lequel nous vivons et le déplore.
Hélas, j’ai bien peur que tant que l’argent commandera cet univers, nous n’y puissions pas grand chose.
A chacun d’être vigilant à ce qu’il fait « entrer » dans sa maison (alimentation, biens courant, etc…) et surtout, en tant que parent-aîné, nous avons ce devoir d’éduquer les plus jeunes sur le respect de tous les êtres vivants quels qu’ils soient.
Passez un bon dimanche et bonne rentrée à tous ceux qui reprennent le chemin de l’école dès demain.
En effet, il est important d’informer les nouvelles générations de l’impact de leurs choix… J’essaie de le faire dans le cadre de mon travail.
Je n’ai pas lu le livre mais j’ai lu la critique dans Télérama. Une terrible analyse.
Merci du partage.
C’est une bonne nouvelle qu’on en ait parlé dans les journaux/magazines 🙂
Bonjour Natasha,
Votre article est très intéressant. Il y a quelques temps, une amie, connaissant ma prédisposition à l’écologie, m’avait montré les vidéos L214. J’ai été choquée par la souffrance et tout ce sang.
Malgré tout je ne me suis pas du tout posée la question de savoir si ceux qui travaillent dans ces abattoirs souffraient de faire leur métier. Pour moi, ils tuaient donc ils étaient coupables.
Mais grâce à votre résumé sur Steak Machine et à l’implication de son auteur, je me rends compte qu’ils souffrent aussi.
Même si je présume que ce sera une lecture dure, je tiens beaucoup à le lire.
Alors merci pour votre article qui nous fait changer d’avis et qui nous fait découvrir des personnes qui ont à coeur de changer notre société.
Maélys