Depuis quelques années, chaque 8 mars, mon esprit féministe s’enrage à la vue d’innombrables promotions, offres spéciales et gestes « charitables » d’entreprises s’enorgueillant de « célébrer la femme » tout en nous incitant à dépenser de l’argent et en nous laissant croire que nous faisons des économies, participons à une bonne cause ou encore prenons soin de nous et de notre « essence féminine ». Or, le 8 mars n’est pas la journée de la femme, ni la journée des femmes… Comme l’avait si bien rappelé Pauline il y a 2 ans, il s’agit de la journée internationale de lutte pour les droits des femmes. Notre droit d’accéder à n’importe quels études et emplois, de toucher un salaire égal à celui des hommes, notre droit à la sécurité, à voter, à conduire, à se vêtir selon nos préférences, à disposer de notre corps comme nous le souhaitons, et bien d’autres encore. Or, inciter qui que ce soit à acheter un soin, un bijou, un bouquet de fleurs ou un aspirateur à prix réduit – et avec un porte-clé en forme de cœur en cadeau – n’aidera en rien l’accès de toutes les femmes à tous nos droits. Bien au contraire, en faisant du 8 mars une journée commerciale, chaque achat renforce le système capitaliste et patriarcal qui étouffe nos droits et renforce l’idée selon laquelle notre bonheur réside dans l’acquisition de nouveaux objets et/ou qu’un (petit) don annuel contribuera à l’amélioration de nos droits.
Au-delà du 8 mars, les droits des femmes semblent désormais préoccuper nombre d’entreprises qui, profitant de la popularité et de la visibilité grandissantes des mouvements féministes, distillent des messages féministes dans leurs collections, leurs vitrines, leurs packagings et leur communication. Il y a quelques temps, une marque « engagée » a sorti une collection en édition limité avec un packaging spécial pour « célébrer et mettre en avant les femmes ». Si une partie de ses produits, fabriqués en France, sont issus de cultures éthiques et traçables, l’autre partie ne possède aucun label et, compte tenu de l’ampleur des problématiques liées à la culture des ingrédients de base, ces derniers sont le plus probablement récoltés et transformés par des femmes dans des conditions indignes. Dans un mail de la marque, informant des influenceur·ses de cette collection « en l’honneur des femmes », on nous a même parlé d’éco-féminisme… Mais qu’importe : qu’elles soient véritablement responsables ou pas, les entreprises ont compris qu’elles ont tout intérêt à « féminismiser » (ce mot n’existe pas, je l’ai inventé) leur image pour vendre toujours plus. C’est ce qu’on appelle le Féminisme washing, soit, d’après Léa Lejeune « l’ensemble des pratiques de communication et de marketing utilisées par des entreprises, qui visent à faire croire aux consommatrices et consommateurs qu’elles se préoccupent de l’égalité, alors qu’elles cachent des pratiques RH qui sont loin d’être exemplaires » (source).
Dans son livre Féminisme washing, quand les entreprises récupèrent la cause des femmes, Léa Lejeune présente ce concept en détail et démontre comment les entreprises s’en servent pour (re)dorer leur image et augmenter leurs profits au détriment de véritables engagements pour les droits des femmes dans les coulisses. Grâce au décryptage des pratiques de tout genre d’entreprises et à l’étude d’une diversité de travaux de recherche en économie, la journaliste économique permet de lever le voile sur un fléau désormais bien répandu mais pas toujours reconnaissable comme tel, de prime abord. Féminisme washing se divise en 2 parties : « Du côté des consommatrices » et « Du côté des entreprises », permettant ainsi de comprendre ce qui se joue, à différents niveaux, à travers cette pratique aux rouages bien huilés.
Dans la première partie, l’autrice parle d’abord des « objets féministes », du T-shirt « Toutes féministes » aux décorations à l’effigie de Frida Khalo, elle explique comment la possession de tels objets peut donner l’impression à leurs propriétaires d’afficher de belles valeurs, alors qu’en réalité, le détournement commercial de ces messages et images vont à l’encontre de l’essence même de leur symbole. Dans le chapitre suivant, intitulé « outils de la bonne meuf », Léa Lejeune met en lumière les nombreux paradoxes caractérisant les marques d’habillement, de maquillage et la presse féminine. Non seulement elles participent, de par la nature de leurs produits, au renforcement de nombreux diktats de l’apparence dite féminine, mais en plus, elles s’approprient les messages de luttes féministes tout en continuant par ailleurs de participer à l’invisibilisation et/ou à l’oppression de femmes issues de groupes marginalisés. Dans le dernier chapitre de cette partie, Léa Lejeune explique et illustre le concept de femvertising. À l’heure où de plus en plus de marques s’engagent pour contrer les stéréotypes et faire appel à des modèles aux morphologies et aux carnations diverses, l’autrice démontre que dans leurs bureaux, ces mêmes marques sont parfois loin d’appliquer les valeurs qu’elles promeuvent sur leurs supports publicitaires… Malheureusement, pour les consommateurices peu averti·es, l’amalgamme est vite fait : une marque qui s’engage, à travers ses pubs, contre les stéréotypes de genre et pour la visibilité de minorités et de personnes marginalisées, est forcément une marque engagée…
La seconde partie nous permet de découvrir les coulisses d’une diversité d’institutions ayant d’une manière ou d’une autre énoncé son soutien pour la cause féministe alors qu’au sein même de leur organisation, les victimes d’inégalités, de discrimination, de harcèlement ou encore de violences sexuelles sont nombreuses. Léa Lejeune nous livre là le fruit d’une enquête approfondie afin de mettre en lumière le décalage qui existe entre l’image qu’une entreprise souhaite donner d’elle au public et son comportement vis à vis de ses propres employé·es. De Publicis à Uber en passant par IBM, McDonald’s ou encore BNP Paribas, les exemples de celles que l’autrice appelle « les grandes washeuses » ne manquent pas. Malgré tout, parmi cette foule d’opportunistes hypocrites, il existe aussi de « bons élèves », soient des entreprises dont les engagements et l’évolution vers une démarche intrinsèquement féministes sont bien réels. L’autrice propose d’ailleurs de nombreuses pistes concrètes et détaillées afin de guider les entreprises désireuses d’évoluer sur des bases féministes. Pour terminer, elle nous invite également, nous consommateur·ices, à changer nos pratiques individuelles et à attaquer les entreprises publiquement et collectivement, afin de mettre un terme au féminisme washing.
J’ai vraiment apprécié la lecture de cet ouvrage dans lequel l’autrice pose un regard critique bienvenu sur nombre de pratiques répandues et normalisées qui peuvent donner l’impression que les luttes féministes portent leurs fruits, alors qu’il s’agit, le plus souvent, d’une médiocre apparence…
Bonjour Natasha,
Je ne l’ai pas encore lu et je viens de le commander en ligne à ma librairie de quartier.
Je te souhaite un bon dimanche.
Bonjour Christel,
Je te souhaite une bonne lecture alors !
Bon dimanche à toi également.
Merci de ce partage, le sujet fait parfaitement écho chez moi aussi et je n’avais pas entendu parler de l’ouvrage. Je vais de ce pas regarder s’il est disponible dans la médiathèque de ma ville 😉
J’espère que tu le trouveras dans ta médiathèque et que dans le cas contraire, elle voudra bien le commander 🙂
Merci beaucoup pour ta revue sur ce livre. C’est très intéressant. Comme tous les types de washing je trouve ça honteux comme pratiques marketing.
Merci pour ton intérêt pour cette revue. Se servir de l’oppression des femmes pour s’en mettre plein les poches, c’est juste minable en effet.
Bonjour, merci pour ce coup de gueule très bien « tourné », et ce conseil avisé de lecture Il y a tant de « machines à laver le cerveau » qui tournent à fond. Hélas, en restant en surface on se croit en sécurité…alors trés nombreux sont ceux qui font ce choix. Complétement en vain, d’ailleurs…Toutes les tendances, modes et autres influences sont conçues pour nous tirer vers le bas. Et les systèmes sont suffisamment sophistiqués pour que les idiots…en soient fiers…Si une infime partie de l’énergie dépensée à « suivre les courants dictés » était concentrée sur les vrais batailles (l’inégalité de « traitement » des femmes dans la sphère du travail, par exemple), il y a longtemps que ce régime serait révolu…mais bon…la bétise, la lâcheté, toussa, ça pèse bien lourd dans la balance face à un petit livre lu sur la plage avant de se faire les ongles (vernis bio, of course) Bien à vous
Bonjour Auxine, merci pour votre commentaire qui résume bien certains des mécanismes sur lesquels est basé la société capitaliste et patriarcale dont se nourrit le féminisme washing. J’espère que la lecture de ce livre inspirera nombre d’entrepreneur.ses et d’employé.es à remettre en question leurs pratiques et à mettre en pratique les mesures recommandées… Même après s’être passé un coup de vernis sur la plage 🙂.
Merci pour cette découverte. Je vais suggérer l’achat à la bibliothèque !
Re bonjour Natasha. Je voulais m’excuser pour mon commentaire un peu sec. Je ne voulais pas être désagréable… jaime beaucoup ton travail et si j’ai arrêté de te financer c’est pour en financer d’autres. Je te li quand même régulièrement, même si je ne commente pas ou si je ne suis pas toujours d’accord avec toi… Le féminisme me tiens à coeur. Petite je voulais être pilote de chasse, mais mon niveau en mathématiques et physique en a décidé autrement… au sujet de l’article ce que je voulais dire maladroitement c’est que je trouve que les femmes parlent beaucoup de féminisme mais n’osent pas l’appliquer. Autour de moi je les entend souvent se plaindre mais elles ne prennent jamais le volant pour emmener la petite famille en vacances (elles n’y pensent même pas, leur mari conduit…) elles se plaignent que c’est mal rangé et que c’est à elles de le faire…mais quand je leur demande si elles ne le font pas est-ce c’est grave?: oui il faut que ce soit rangé ou nettoyé comme elles veulent! Et forcément quand monsieur le fait ce n’est pas bien fait…pour les enfants c’est exactement pareils. J’ai passé un entretient il y a un mois et ma directrice m’a demandé si j’avais des enfants et en a conclu que je voudrais pas me déplacer… j’ai du la rassurer… De sa part ( une femme qui est à un poste élevé) je suis plus que surprise qu’elle pause cette question. Mais elle a eu des enfants et a du jongler, alors elle pense que toutes les femmes ont ce problème. Moi je travaille à 1h de chez moi et je me déplace dans le Grand Est, mon mari est à 10min… il se déplacera en cas de soucis et pourtant il n’est pas un féministe convaincu ( loin de là)… .. Donc je pense que les femmes se mettent elles même des barrières et souvent, je crois qu’elles ont peur de perdre leur conjoint si elles ne font pas ce qu’on attend d’elles. Moi j’ai tout de suite annoncé la couleur et je m’y tiens. Je ne comprends pas que les autre n’en fassent pas autant et cela m’agace souvent. Mais quand je laisse mes enfants malades à mon mari (qui n’est pas vraiement un papa gateau…) bien sûr que j’angoisse! Mais pas question de baisser la garde…Voilà, Bonne journée et s’il te plaît, ne publie pas le commentaire, il est sans doute un peu brusque… encore désolée…
Bonjour Natasha ! Encore une lecture qui a l’air très intéressante, j’essayerai de me procurer ce livre avant de repartir à l’étranger 🙂
Merci pour cet article !!
Merci pour ce retour Natasha ! Ce livre a l’air d’être une pépite : tellement précis et avec de vraies enquêtes ! Tout ce qui est « washing » me déprime, car cela donne l’impression qu’on fait avancer une cause pour qu’elle soit récupéré par le système ! Cette année, en juin, j’avais appris que des marques avaient sorti des vêtements arc-en-ciel pour « soutenir » la pride ! J’ai halluciné ! Je me suis demandé jusqu’où cela irait !
Bel article, merci. Néanmoins, aucune envie de lire ce livre.
Hélas, le mercantilisme est ainsi fait : tous courant est récupéré pour le transformer en monnaie sonnante et trébuchante !
C’est cela qui m’agace le plus, en fait.
Natasha, ton voeu est pieu en espérant que nombres d’entrepreneurs etc s’en inspirent.
Je pense que les convictions se vivent et se transmettent au fil du temps et des personnes. Point besoin d’étaler sur mes vêtements, trousses, tote bag etc pour faire savoir « au monde entier » mes convictions.
Ah, bien le merci @cleopiti ! Pour moi ici, les convictions, ça se VIT, sinon ce ne sont que des con-ditionnements » de pluss. La vie est très courte, et le retard…trés grand…il faudrait mettre les bouchées doubles, mais l’inertie et la passivité ambiantes sont si massives, que…
Salut Natasha,
merci pour cet article éclairant.
J’ai pris un petit coup à la lecture de ta dernière phrase : » l’impression que les luttes féministes portent leurs fruits, alors qu’il s’agit, le plus souvent, d’une médiocre apparence… » oui c’est pour moi un dur retour à la réalité !
Je suis déjà sans doute tombée dans le panneau en voyant simplement des pubs avec des mannequins ayant quelques formes (pas trop quand même !), je me disais « c’est bien, ça avance »…
Vigilance constante alors!
Bon, j’ose encore espérer, quand même, que la cause avance… un peu moins vite qu’il n’y parait, mais que les choses bougent !