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Pourquoi je ne fais pas tout moi-même et ne vise pas l’autonomie ?

Photo by Jeremy Bishop on Unsplash

Pour certaines personnes, écologie est forcément synonyme d’autonomie. Ainsi, elles s’efforcent de faire un maximum de choses par elles-mêmes pour répondre à leurs besoins dans tous les domaines du quotidien – cuisine, vêtements, mobilier, logement, sources d’énergie, etc. – afin d’être aussi indépendantes du système économique dominant que possible. Si le fait de s’affranchir de certains modes de consommation et institutions sociales me semble nécessaire pour vivre dans le respect de notre écosystème socio-culturel et environnemental, viser l’autonomie dans toutes les sphères du quotidien n’est à mon sens pas l’unique moyen de vivre de manière saine, éthique et écologique.

Même si je trouve cela tout à fait louable et admirable de vouloir et de pouvoir tout faire soi-même pour répondre à ses besoins, je déplore que l’autonomie soit souvent présentée comme un idéal à atteindre pour quiconque souhaite vraiment s’émanciper du capitalisme et cesser de contribuer à un système qui nuit aussi bien aux humain·e·s, qu’aux animaux et qu’à notre environnement. Même si je comprends que l’autonomie soit une bonne manière d’y parvenir pour certain·e·s, il me semble important de rappeler que ce n’est ni la seule ni la meilleure option pour tout le monde. Car nous n’avons pas tou·te·s cette possibilité ou cette envie. Cela ne veut pas dire pour autant que l’on est moins investi·e·s dans la cause environnementale ou que l’on manque de convictions, voire de force de caractère ou de motivation. C’est simplement que nos priorités ainsi que nos objectifs et nos moyens de les atteindre sont différents.

Il y a plus de 5 ans maintenant, j’ai pris conscience que ma manière de vivre et de consommer étaient malsains – pour moi, la planète et tou·te·s ses habitant·e·s. J’ai donc cherché des alternatives pour réduire mon impact négatif au quotidien et j’ai très vite réalisé que le fait maison et le fait-main sont souvent présentés comme la base d’un mode de vie éthique et écologique. Faire ses propres produits peut en effet permettre de sélectionner des ingrédients/matériaux sains, de privilégier la récupération et l’upcycling, d’éviter certains déchets, d’arrêter de financer des entreprises peu regardantes de leur impact sur l’environnement et irrespectueuses de leurs employé·e·s, etc. J. et moi mettons donc un point d’honneur à faire bien plus de choses nous-mêmes qu’avant – essentiellement en cuisine, dans le domaine des soins et du bricolage.

J’ai toutefois mis des limites à cette quête d’autonomie et je continue donc d’acheter – avec plaisir – certains produits transformés ou fabriqués par d’autres personnes. Néanmoins, je lis régulièrement des commentaires de lecteur·trice·s qui déplorent et culpabilisent de ne pas (encore) faire ceci ou cela par elleux-mêmes. Je comprends ce ressenti puisque j’ai moi-même connu cela à la lecture d’articles de blogueuses ou même de commentaires de lecteur·trice·s présentant la liste de toutes les choses qu’iels font désormais elleux-mêmes : le pain, le tofu, les beurres d’oléagineux, le potager, les conserves de légumes, les cosmétiques, les textiles, la maison, etc. Voici les différentes raisons pour lesquelles j’ai personnellement fait le choix de ne pas donner priorité au fait maison/fait-main dans tous les domaines du quotidien et pourquoi je ne culpabilise pas pour autant…

Je pense que nous sommes tou·te·s – dans une certaine mesure évidemment – capables de tout faire nous-mêmes ou presque. Si l’on fait preuve de bonne volonté, qu’on en a l’opportunité, le temps et les moyens, nous pouvons apprendre à faire un tas de choses : cultiver un potager, faire ses savons saponifiés à froid, bâtir les murs de sa maison, etc. Mais personnellement, je ne suis pas du tout motivée pour acquérir des connaissances dans des domaines qui ne m’intéressent pas forcément et que des personnes engagées bien plus passionnées et compétentes que moi possèdent déjà. J’apprécie vraiment de pouvoir me tourner vers des producteur·rice·s et artisan·e·s dont la manière de travailler, les produits et les engagements me conviennent pour répondre à mes divers besoins. D’un côté, cela me permet de profiter de produits/services de qualité et de l’autre, cela me permet de soutenir des professionnel·le·s engagé·e·s ainsi que des corps de métier que je considère importants dans notre société. Il est en effet essentiel à mes yeux de reconnaître et de valoriser le professionnalisme et le savoir-faire uniques de certaines personnes et de donner à chacun·e une chance de mettre ses talents et connaissances à profit de la société.

Je crois que si je faisais tout moi-même aujourd’hui, j’aurais le sentiment de ne pas vraiment faire ma part, socialement parlant. C’est un peu le sentiment que j’avais lorsque je vivais à la campagne, au milieu de nulle part. Il était tellement simple alors de m’isoler des maux du monde et de mener un quotidien tranquille (je sais bien qu’il est possible de vivre à la campagne tout en restant connecté·e·s à la société, mais ce n’était alors pas mon cas). Le retour à la ville m’a obligée à prendre conscience de mes responsabilités en tant qu’individu social et du fait que je ne souhaitais pas faire de mon mieux juste pour moi. Je pourrais, si je le voulais, m’isoler du système social, au fin fond des bois, et vivre en autarcie. Je n’aurais alors plus vraiment à me soucier de mon impact écologique et des conditions dans lesquelles seraient fabriquées les différents objets et produits que j’utiliserais au quotidien.

Je ne souhaite toutefois pas m’isoler de la société car – en espérant ne pas paraître prétentieuse en disant cela – je pense qu’elle a plus que jamais besoin de personnes engagées, comme vous et moi, qui sont prêtes à investir leur temps et leur énergie au profit du développement d’un système socio-économique plus juste et solidaire. D’autres manières de produire et de consommer sont possibles mais pour que ces systèmes alternatifs et durables se développent, il me semble primordial d’être là pour les initier et les soutenir. J’ai personnellement été très inspirée par le monde de demain décrit par Perrine et Charles Hervé-Gruyer dans leur livre Permaculture. Leur modèle montre qu’il n’est pas seulement possible mais qu’il est aussi souhaitable de créer des écosystèmes sociaux permettant aux humain·e·s de collaborer et de mettre leurs connaissances et compétences au profit de tou·te·s afin que nous puissions répondre à tous nos besoins grâce aux ressources humaines et naturelles disponibles localement, en milieu rural comme en milieu urbain.

Nous faisons déjà suffisamment de choses nous-mêmes à mes yeux :  cuisine, produits ménagers, certains soins, meubles et autres objets divers. Je pourrais en faire plus évidemment – pain, tofu, crème végétale, yaourts, textiles, etc. – mais si c’était le cas, je devrais soit renoncer à/réduire des activités qui sont essentielles à mon bien-être et à mon équilibre personnels soit accélérer mon rythme et diminuer mes heures de sommeil pour pouvoir tout gérer. Pour le fait maison et le fait-main, j’ai donc décidé de donner priorité aux choses que j’aime réellement et qui m’apportent une réelle satisfaction – la cuisine et certaines activités manuelles. Je pense qu’au fil des années, d’autres éléments viendront s’ajouter à la liste des objets et aliments faits maison : j’ai par exemple l’intention de me remettre à la couture et pourquoi pas de faire mon tofu ou ma compote un jour – mais cela se fera en temps voulu, quand je me sentirai prête à consacrer du temps et de l’énergie à ce genre de choses. En attendant, j’apprécie vraiment de pouvoir bénéficier des produits/services de personnes engagées et compétentes pour répondre à certains de mes besoins et ainsi d’avoir assez de temps pour m’investir dans d’autres causes et activités qui me tiennent à cœur et qui contribuent elles aussi au développement d’une société durable.

Le fait maison/main est généralement présenté comme une alternative plus économique. Bien que cela soit vrai pour nombre de choses, force est de constater que dans certains cas – à qualité égale – le fait maison/main peut revenir plus cher. Pour exemple, il y a 2 ou 3 étés, j’avais décidé de me lancer dans les bocaux de coulis de tomates. Malheureusement, après avoir fait mes calculs, j’ai réalisé que le coulis de tomates du magasin ou du maraîcher bio me revenaient bien moins cher ! Il faut dire que le prix des tomates bio au kilo est assez élevé de manière générale et qu’il en faut pas mal pour faire ne serait-ce qu’un litre (et c’est sans compter le coût de la cuisson !). Dans mon article sur la cosmétique maison, j’avais également démontré que faire certains soins longue conservation n’était pas toujours plus économique.

De plus, le fait maison/fait-main demande parfois d’avoir accès à du matériel spécifique dans lequel on ne peut pas toujours investir, que l’on ne peut pas forcément emprunter à son entourage et pour lequel on n’a parfois pas assez de place chez soi. Je pense notamment à un tas d’appareils culinaires – déshydrateur, extracteur de jus, sorbetière, etc. Bien évidemment, le coût n’est pas mon premier critère d’achat : cela fait plusieurs années maintenant que j’ai changé ma manière de consommer afin de pouvoir m’offrir des produits biologiques et équitables qui coûtent bien plus cher que la moyenne. Mais je trouve peu d’intérêt à faire moi-même des produits que je peux trouver en magasin/sur les marchés à un prix plus intéressant (et à qualité égale bien évidemment).

Enfin, l’intérêt écologique du fait maison/fait-main est très souvent mis en avant. C’est bien évidemment le cas pour un tas de choses, surtout dans le domaine de l’alimentation et des produits ménagers je trouve. Cependant, à moins de pouvoir acheter tous nos matériaux et ingrédients en vrac ou d’occasion ou bien de produire nos propres matières premières, tout faire soi-même n’est malheureusement pas toujours plus écologique. En effet, on peut  se retrouver à devoir déballer un tas de produits bruts emballés individuellement avant de pouvoir les transformer à notre manière, alors que l’on aurait pu trouver ce même produit tout prêt sans emballage, voire dans un contenant réutilisable ou recyclable. Encore une fois, je pense à la cosmétique maison qui peut être, comme je l’explique ici, non seulement source de déchets mais aussi de gaspillage. Je suis bien évidemment consciente que les entreprises qui ne produisent pas leurs matières premières elles-mêmes les reçoivent également dans des emballages avant de les transformer puis de les emballer (ou pas). Je reste malgré tout convaincue qu’il reste – parfois – plus intéressant d’un point de vue écologique d’acheter certains produits auprès de marques spécialisées qui font elles-mêmes des efforts en amont pour réduire les déchets liés à la production.

Comme d’habitude, j’expose ici mes préférences personnelles, influencées par les priorités et limites qui me sont propres ainsi que le contexte socio-culturel dans lequel je vis. Bien que je sois toujours intéressée de découvrir les témoignages de personnes qui font tout elles-mêmes et cheminent vers l’autonomie, cela ne correspond pas à mes aspirations et je n’ai pas le sentiment d’être moins engagée ou écolo pour autant. Dans le cadre de l’éco-défi Gérer son temps de manière durable, il me semblait pertinent d’aborder ce sujet, car vous êtes plusieurs à m’avoir confié vous sentir débordé·e·s par tout ce que vous faisiez vous-mêmes au quotidien depuis que vous étiez dans une démarche écologique. Si c’est votre cas, peut-être serait-il bon de faire le point sur ce qui vaut vraiment la peine de rester dans votre liste du fait-main et du fait maison afin de trouver un équilibre qui vous correspondra mieux ?

Chez nous, pour vous donner une idée, voici à peu près tout ce que nous faisons nous-mêmes (J. ou moi) : les réparations (informatique, petit électroménager, etc.), la fabrication de mobilier (à ce jour : lit, penderie, étagères en cours), papèterie (enveloppes, cartes et emballages cadeaux à partir de matériaux de récup’ (il m’arrive de temps en temps d’acheter des cartes auprès d’artistes engagé·e·s notamment)), les produits ménagers (lessive et autres produits nettoyants) ainsi que tous nos plats et en-cas (sachant que je ne fais pas tout moi-même dans ce domaine puisque j’achète certains produits de base tels le pain, le tofu, les « laitages » végétaliens, les purées d’oléagineux, certains condiments (miso, moutarde, pâtes de curry…), etc., tout prêts). Nous avons également un petit potager sur notre terrasse mais il n’est pas suffisamment développé pour répondre à nos besoins en fruits et légumes – c’est toutefois certainement le seul domaine dans lequel j’aimerais être complètement autonome un jour car cela fait sens pour moi. Dans l’idéal, j’aimerais vivre dans un habitat collaboratif avec un jardin potager partagé qui puissent répondre aux besoins en fruits et légumes de tou·te·s les habitant·e·s !

En attendant, nous continuons de faire de notre mieux, et sommes satisfait·e·s de l’équilibre que nous avons trouvé. Nous ne sommes pas autonomes mais ne nous sentons pas dépendant·e·s pour autant. Continuer d’acheter certaines choses – auprès de producteur·trice·s/ artisan·e·s/ boutiques sélectionné·e·s avec soin – est un choix à la fois réfléchi et engagé pour nous.

Visez-vous l’autonomie ? Quelles sont les choses que vous ne faites pas vous-mêmes ?
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