Dans le cadre du cours d’anthropologie que j’enseigne, j’aborde avec mes élèves l’étude de l’ethnographie Fresh Fruit, Broken Bodies de Seth Holmes (traduction littérale : “Fruits frais, corps cassés”). Tout comme moi, ils ont été ébranlés par la lecture de ce livre dans lequel l’auteur analyse l’impact de la mondialisation et de l’immigration forcée sur les Triqui, un groupe d’indigènes du Mexique. Chaque année, ces migrants sans papiers traversent la frontière des USA dans le but de travailler plusieurs mois par an en tant que cueilleurs de fruits dans des fermes agricoles de l’état de Californie ou de Washington. (Je ne vais pas rentrer dans les détails du pourquoi du comment, car ce n’est pas le but de cet article, mais si vous lisez l’anglais- que vous ayez des connaissances en anthropologie ou pas- je vous invite vivement à lire cette ethnographie très accessible).
Les risques qu’ils prennent pour atteindre leur but ainsi que les conditions dans lesquelles ils se déplacent, vivent et travaillent aux USA font froid dans le dos. C’est d’ailleurs ce dernier point en particulier qui a choqué et bouleversé mes élèves qui étaient loin d’imaginer que dans un pays “développé” tel que les Etats-Unis, on pouvait traiter des travailleurs avec autant de dédain, d’insensibilité et de violence. Leurs conditions de travail ne sont pas plus éthiques que celles de certains employés en Chine ou au Bengladesh et ont un impact considérable sur leur santé physique et morale, sur le court comme sur le long terme. Malheureusement, l’étude de Holmes démontre que bien souvent, le corps médical, plein de préjugés et lui aussi victime d’un système, enfonce ses patient.e.s Triqui, plus qu’il ne les aide.
À la fin de l’étude de cette ethnographie, l’un de mes élèves, américain, m’a demandé : “Mais alors Natasha, qu’est-ce qui est mieux d’après toi : que j’achète des fruits et légumes qui viennent du Mexique, pour soutenir leur économie là-bas ou bien que j’achète les fruits et légumes que les Mexicains produisent dans mon pays, en espérant améliorer leurs conditions de travail ici ?”. Vous imaginez bien que j’avais beaucoup de choses à dire en réponse à sa question et la suite du cours s’est donc transformée en discussion axée autour du lien entre l’alimentation, l’éthique et l’écologie. De mon point de vue, aucune des deux solutions proposées par cet élève n’est meilleure qu’une autre et il a fallu qu’il se rende à l’évidence : les problèmes auxquels sont confrontés ces cueilleurs de fruits sont structuraux et malheureusement, aucune des deux suggestions ne suffirait à améliorer leurs conditions de vie et de travail. Mais je m’égare…
Pour moi, consommer local est, dans la majorité des cas, une évidence, éthiquement et écologiquement parlant. Toutefois, comme le démontre le cas étudié par Holmes, le tampon “local”, même dans les pays dits développés, ne garantit pas la consommation d’aliments produits dans le respect des humains. Bien que cet exemple ne reflète pas les conditions de travail des agriculteurs à travers les États-Unis, il ne s’agit pas d’un cas isolé. De nombreuses autres études menées dans différents états, mettent en évidence des problèmes similaires et dévoilent même que des enfants (de migrants) travaillent dans ce genre d’exploitations.
Heureusement, il existe aussi des producteurs qui se soucient autant du soin qu’ils apportent à la terre qu’aux humains, partout et même tout prêt de chez nous, dans notre région, notre pays et aux alentours. L’avantage, lorsqu’ils sont prêts de chez nous, c’est qu’il est plus facile de se renseigner sur les conditions dans lesquelles les aliments sont produits, d’entendre parler de leurs avantages comme de leurs inconvénients et même de les voir de nos propres yeux. En outre, consommer des aliments locaux présente de nombreux avantages écologiques :
- Moins les aliments parcourent de kilomètres avant de finir dans notre assiette, plus on réduit notre empreinte carbone.
- Acheter directement auprès des producteurs permet bien souvent de limiter les emballages et donc de réduire ses déchets.
- De manière générale, une pomme produite localement coûtera moins chère que son équivalente de qualité égale exportée ; cela permet donc de faire des économies.
- Dans le cas des fruits et légumes en particulier, consommer local permet d’avoir accès à des produits plus frais, savoureux et nutritifs.
Pour ce nouvel éco-défi, je vous propose donc de faire le point sur le degré de localité du contenu de notre assiette et de partir à la découverte des trésors de notre terroir et de ses environs : des fruits aux légumes en passant par les herbes aromatiques, les fleurs, les céréales, les pseudo-céréales, les légumineuses, les oléagineux, les graines, les condiments etc… Bref, tout ce qui se mange ou se boit ! L’objectif sera de faire le plein de bonnes adresses afin de pouvoir s’organiser pour manger aussi local, végétal et éthique que possible dès le mois prochain. Voici les 3 étapes de cet éco-défi avec quelques questions clés et des fiches pratiques pour nous guider…
Faire le point sur les aliments que nous consommons
- D’où viennent les aliments que je consomme ? Que sais-je des conditions dans lesquels ils sont produits ?
- S’ils viennent de loin, puis-je m’en passer et puis-je trouver des alternatives plus locales ?
Découvrir les délices produits localement
- Qu’est-ce que je considère comme étant “local” : ma région, mon pays, les pays voisins ?
- Quels sont les aliments produits dans les limites locales que j’ai défini ?
- Comment et par qui sont-ils produits ?
Trouver des endroits où s’approvisionner
- Où puis-je m’approvisionner en produits locaux (marchés, magasins, coopératives, paniers, producteur…) ?
- Qu’est-ce qui est le plus pratique, économique, écologique ?
Durant cet éco-défi, vous pourrez suivre les découvertes d’Herveline du blog Sortez de vos conapts ! , d’Edelweiss du blog Vegan Freestyle et de Manon du blog VG-Tables. Comme d’habitude, je vous invite à partager vos connaissances et vos questions en commentaire sous cet article ou via le groupe Facebook Les éco-défis d’Échos verts. À la fin du mois, je regrouperai une sélection d’articles, liens et documents utiles dans la newsletter de l’éco-défi que vous recevrez le 30/04 en vous inscrivant ici.
Un éco-défi toujours aussi bien structuré 🙂 tes cours doivent être vraiment passionnants, je trouve ça génial ce genre d’approche qui stimule le débat et l’échange d’idées.
Pour le mariage, je tâche vraiment de faire un maximum de local, et on y arrive assez bien 🙂 ça me tenait vraiment à coeur de construire cet évènement en suivant un maximum nos valeurs.
L’anthropologie est une matière passionnante en effet 🙂 ! C’est génial que tu aies réussi à trouver des options locales qui te plaisent pour ton mariage… qui approche à grands pas d’ailleurs !
(Aïe aïe aïe, oui, et le stress monte !)
Super ce nouvel éco-défi ! ça amène à se poser pas mal de questions sur notre façon de nous nourrir, l’impact sur la population, la région, l’écologie…
Souvent, manger local est un bon moyen de manger de saison et de prendre conscience du « rythme » de l’année (trouver, même en magasin bio, des tomates à la fin du mois de mars me fait bondir ; idem sur les marchés, les étals des « grossistes » n’ont rien à voir avec ceux des producteurs du coin… :/ )
Comme tu le soulignes, le tampon « local » est bien souvent apposé à tort et à travers pour tranquilliser le consommateur. J’ai été marquée par une image d’un film réalisé par des étudiants de Haute-Savoie, « Regards sur nos assiettes » : dans le rayon fruits et légumes d’une grande surface, des pubs « régionales » sont mêlées aux fruits venant d’Espagne et d’ailleurs pour induire en erreur et rassurer le client…
En bref : s’efforcer de manger local et éthique, c’est carrément militant ! 🙂
Ah le greenwashing ! D’où l’importance d’être vigilant.e.s et de mener nos propres enquêtes… 🙂
Ton article me parle beaucoup Natasha.
Socialement d’abord, en tant que soignante ensuite ( tu abordes rapidement les préjugés du corps médical, et je connais bien ce registre, ayant jusqu’à ces derniers mois travaillé auprès de toxicomanes, SDF ou travailleurs précaires, en France, avec souvent des employeurs bienveillants et parfois de sombres s…. profiteurs, et cela m’a fait hurler bien des fois, malgré mon côté zen et pacifiste), et puis aussi parce que je me pose réellement la question d’une consommation bio-éthique-de proximité….etc etc…. mais en me disant que vu ma situation ( sociale, engagée, favorisée, dans une tranquille petite ville du Sud-Ouest où l’on dit que tout pousse, même les tuteurs!!!) c’est facile, mais pour des personnes plus en difficulté , submergées par le travail, les soucis, la vie familiale, la fatigue …. comment les accompagner sans jugement, sans suffisance, sans moralisation, dans une démarche qui semble tellement éloignée de leurs habitudes et de ce que nous a longtemps matraqué la « fameuse » société de consommation….
Cela dit je participe à ton super éco-défi, ça va me faire du bien et certainement beaucoup progresser aussi!
Merci Natasha!
Et bon courage à Émilie dans la préparation de son mariage!
😘
Merci pour ton témoignage concernant ton expérience en tant que professionnelle médicale.
Concernant la difficulté de consommer bio/local/éthique, je comprends bien ton point de vue ; c’est bien pour ça que je présente cela comme un défi à relever 😉 À chacun.e de se fixer un ou plusieurs objectifs sur le court et le long terme en fonction de ses possibilités personnelles et de ses motivations principales… chaque petit pas compte 🙂
J’imagine qu’enseigner de tels cours doit être passionnant. Il est vrai qu’il y a local et local, les conditions de travail des pays proches comme l’Italie et L’Espagne par exemple qui font travaillés beaucoup d’immigrés sont loin d’être à la hauteur de ce que l’on peut attendre de pays dits développés mais je suis convaincues que dans certaines exploitations peu scrupuleuses en France on retrouve ce même type de conditions inhumaines de travail. Et forcément si ces exploitations se moquent de la condition humaine il est évident qu’ils se fichent encore plus des conditions de production.
En ce qui me concerne, je fais très attention à ce que j’achète dans tous les domaines et en particuliers en matière d’alimentation. Depuis 1 an et demi , j’achète au moins 95% de ce que je consomme à la Ruche qui dit Oui, il ne s’agit que de petits producteurs locaux qui travaillent le plus souvent en famille. Du coup j’ai adapté ma façon de manger à ce que propose les producteurs de la Ruche : je (re)découvre des produits du terroir, je consomme de saison et j’ai remplacé certains aliments par d’autres (comme le poivre ne su cultive pas à Dijon, je l’ai remplacé par des graines de coriandre).
Bravo Natasha pour ce défi.
Bises
Je trouve cela admirable que tu aies réussi à changer ta façon de manger afin de t’adapter à ce que proposent les producteurs de ta Ruche 🙂
Merci Natasha. Il faut dire que la Ruche où je vais à un choix assez vaste de produits, j’y achète même des produits d’hygiène/beauté.
Bonjour Natasha,
Tout d’abord merci de partager toutes tes expériences et tes superbes idées, ça motive pour prendre soin de notre belle planète !!
Sinon, j’ai vu que tu avais vécu au Canada, et je voulais savoir si tu avais des bons plans/bonnes adresses pour consommer local, et également des magasins qui vendent en vrac. Je connais Bulk Barn, mais c’est tout !
Et merci pour l’article sur le mini potager, ça donne vraiment envie, je vais me lancer !
Merci encore pour ce superbe blog !
J’ai vécu sur l’Ile de Vancouver… est-ce que des adresses là-bas t’intéressent ? J’espère que tu prendras beaucoup de plaisir à te lancer dans la création d’un mini-potager 🙂
Je ne m’étais pas connectée depuis quasiment un an sur mon compte WordPress, je viens juste de voir ta réponse ! Merci beaucoup, j’aimerai beaucoup m’installer à Vancouver dans les années à venir. Pourrais-tu stp m’envoyer les noms des magasins type zéro déchet que tu fréquentais ? J’ai pris beaucoup de plaisir à faire mon mini-potager l’année dernière (tomates cerises, poivrons, herbes…) et je compte bien l’agrandir pour cette année, dès qu’il fera un peu plus chaud ici (les hivers durent au Canada !!). Merci beaucoup pour tous tes articles très inspirants, j’avance petits pas verts par petits pas verts 🙂 Bonne soirée !
Je ne connais pas d’adresses de ce type à Vancouver car je vivais sur l’Ile de Vancouver.
un défi bien intéressant. Là où j’habite les produits locaux sont très rares, et lorsqu’ils le sont, ils ne sont pas franchement écologique et/ou biologique. Ou bien je dois faire de la route (plus d’une heure aller/retour) pour me procurer du bio…
un éco défi que j’ai plaisir à suivre et qui me permettront de découvrir peut-être des adresses plus proches de mon domicile…
J’ai créé un document partagé dans le groupe FB pour répertorier les bonnes adresses dans chaque région. J’espère qu’il sera bien alimenté au fil des mois et que tu y trouveras des bons plans… car en effet, faire des kilomètres en voiture pour trouver des produits locaux c’est pas l’idéal, je comprends !
Bonjour,
Merci pour ce défi. J’ai accroché les documents dans ma cuisine pour noter au fur et à mesure.
Je me demande s’il existe une plateforme avec des producteurs locaux, éthiques et verts… mais des vrais, pas du greenwashing !!
Par exemple, habitant en Ile de France, j’ai la chance d’avoir un maraîcher bio à proximité qui fait des paniers de qualité, sans abonnement et on garde la possibilité de modifier le contenu du panier. En plus, on peut compléter avec des « produits des collègues » en pâtes, légumineuses, jus etc. Donc c’est le top du top pour moi. Mon super caviste ne jure que par le vin naturel et a arrêté de vendre du whisky japonais car pas local et peut-être radioactif.
En revanche, je ne trouve pas de magasin de vrac dans mon coin et personnellement je ne vois pas l’intérêt de faire 15 ou 20 km aller en voiture pour aller dans un magasin où je peux trouver du vrac.
Pour répondre à Agnès, je me demande si une réponse ne pourrait pas être de généraliser des initiatives genre « atelier cuisine économique », de faire des courses et de cuisiner avec les personnes plus en difficultés. Franchement, je (re)découvre les flocons, les légumineuses et je trouve qu’il faut une grosse énergie pour chercher les recettes goûteuses, rapides (gloups j’ai oublié le trempage !!)… Alors quand on est submergés par les difficultés, il me semble que c’est trop compliqué.
Contente de savoir que ces documents te seront utiles 🙂
Je comprends bien que tu n’aies pas envie de faire 15 à 20 kilomètres pour trouver des produits bio et locaux…
Je crois que l’éco-défi de juin « cuisiner en mode végé-minimaliste » devrait te plaire car l’idée sera justement de proposer des astuces pour cuisiner des aliments sains et savoureux sans se ruiner ni passer des heures en cuisine 🙂
Natasha, c’est redoutable tes documents !! J »ai commencé et dès le début, j’ai noté orange, café…. C’est bon, les agrumes en hiver pourtant. Et puis, le petit café du matin (bon mon adorable torréfacteur accepte sans problème de me remplir de grains de café les sachets).
Moi c’est le thé qui me pose problème… mais je compte bien essayer de m’en passer pour l’éco-défi du mois prochain 🙂
Quant au café, grâce à ton document, nous avons commencé à envisager des alternatives (tisanes, chicorée..). J’ai un mari qui est à fond, j’adore !!
Je n’ai pas prévu de sortir d’Ebooks collectifs pour l’éco-défi de juin mais il y en aura en mai 😉 ! C’est génial que ton mari se soit joint à toi dans cet éco-défi 🙂 !
Bonjour Camille, je viens de tomber par hasard sur votre blog. Mon dieu, c’est une mine d’or !! Ca me motive pour aller plus loin encore dans ma démarche écologique. Merci !!