Natalia Santos fait partie de ces rencontres « coup de cœur ». Notre passion commune pour l’anthropologie, la cuisine et le monde végétal ainsi que nos valeurs partagées autour de l’écologie nous ont immédiatement rapprochées. Fondatrice de Caucalis, Natalia se spécialise dans la cueillette et la cuisine des plantes sauvages et transmet ses connaissances à travers différents types d’ateliers, destinés aux petit·es comme aux grand·es, en région parisienne.
Natalia, peux-tu nous raconter comment est né ton intérêt pour les plantes ?
Tout a commencé avec ma grand-mère, grande passionnée de plantes médicinales. J’ai grandi à Bogota, la capitale de la Colombie et, enfant, je passais mes vacances chez mes grands-parents maternels à la campagne. Au fil des années, j’y ai observé ma grand-mère cueillir les plantes dont elle avait besoin pour apaiser et soigner tout genre de maux. Ma grand-mère ayant eu 12 enfants, elle en a soigné des « bobos » !
Je me souviens d’un séjour particulier où, âgée de 4 ans, j’ai eu la varicelle alors que j’étais en vacances chez mes grands-parents. Je me plaignais beaucoup des démangeaisons et ma grand-mère qui n’était pas très affectueuse mais très douée pour faire face à toute sortes d’aléas, m’a alors emmenée cueillir une plante locale appelée « Herbia Moria ». De retour à la maison, elle a déposé notre récolte dans une grande bassine d’eau et m’a invitée à m’y immerger ; elle m’a laissée là, sous le patio ensoleillé et, en quelques minutes, mes démangeaisons se sont apaisées. Cette première expérience au contact de plantes médicinales m’a marquée, c’est certain.
Une quinzaine d’années plus tard, pour ma thèse en anthropologie, j’ai effectué mon travail de terrain auprès de communautés amérindiennes de Colombie afin d’explorer leurs différents usages des feuilles de coca. Ces recherches m’ont notamment sensibilisée à leurs rôles dans différents soins et rituels et à leur importance dans le quotidien de ces communautés. J’ai aussi pris conscience que les épandages sur les cultures mettent en péril leur approvisionnement en feuille de coca. Par ailleurs, j’ai réalisé que leur réputation souffrait d’un amalgame regrettable : les feuilles de coca étant considérées comme une drogue par les Occidentalaux, ces derniers diabolisent tout usage qu’en font les peuples amérindiens. C’est pourquoi ceux-ci s’efforcent d’intégrer les feuilles de coca dans des préparations, telles que biscuits et boissons, pour sensibiliser ces personnes méfiantes et médisantes aux multiples usages et bienfaits des feuilles de coca.
Néanmoins, ce n’est qu’après la naissance de ma fille Maya, en 2016, que je me suis véritablement intéressée aux plantes sauvages de manière plus globale. Au fil de nos balades en forêt, alors que Maya me demandait de nommer les différentes plantes que nous croisions sur notre chemin, j’ai réalisé que j’étais incapable d’identifier la plupart d’entre elles. Très frustrée par ma propre ignorance sur ces plantes que je voyais régulièrement au cours de nos promenades hebdomadaires, j’ai décidé de m’inscrire à un atelier sur l’identification des plantes sauvages… j’étais alors loin de me douter que cela deviendrait mon métier !
Anthropologue de formation, tu as travaillé pour des ONG puis co-fondé un restaurant végétarien. Comment ces expériences se sont-elles enchaînées pour t’amener là où tu en es dans ta vie professionnelle aujourd’hui ?
Une fois mon bac en poche, je me suis lancée dans des études de psychologie à Bogota, avant de rejoindre l’Université Paris 8 dont les enseignements en psychanalyse m’intéressaient particulièrement. Très curieuse, j’ai également profité de mon temps libre pour assister à des cours d’anthropologie sociale et culturelle, et cela m’a tellement plu que j’ai abandonné la psychanalyse au profit d’une licence en anthropologie ! J’ai ensuite travaillé au sein d’ONG spécialisées dans la défense des droits humains au travail. Ces expériences professionnelles m’ont ouvert les yeux sur les limites du commerce équitable, les pratiques néo-colonialistes d’entreprises soi-disant « éthiques », l’impunité des multinationales, etc. Atterrée par la dissonance qui caractérisait ces milieux, par le gaspillage d’argent dans des campagnes d’information et de dénonciation inefficaces alors que des travailleur·ses continuaient d’être sous-payé·es ainsi que par les découvertes accablantes que je faisais au quotidien, j’ai fini par faire un burn out…
À cette même époque, ma sœur souhaitait quitter son travail de styliste afin d’ouvrir un restaurant végétarien à Paris. J’ai décidé de la rejoindre dans cette aventure et c’est ainsi que nous avons co-fondé LULA, un restaurant où nous avions à cœur de mettre en valeur une cuisine locale et de saison teintée de notes colombiennes. Pendant 7 ans, je me suis formée à différents types de cuisines et techniques culinaires, j’ai découvert les coulisses de l’entreprenariat et le plaisir de proposer une cuisine en adéquation avec mes valeurs. Entre-temps, toutes les deux devenues maman, le rythme de la restauration nous a paru incompatible avec nos obligations familiales et c’est pourquoi nous avons décidé, sans regret, de fermer LULA.
Et puis c’est finalement ma fille Maya qui, grâce à sa curiosité insatiable et à ses nombreuses questions sur les plantes sauvages, m’a ouvert une nouvelle voie professionnelle. Aujourd’hui, mon travail se nourrit de toutes ces expériences et j’ai le sentiment que la boucle est bouclée : les graines que ma grand-mère a plantées il y a plus d’une trentaine d’années ont pris le temps de germer, mes lunettes d’anthropologue ont affiné ma perception du lien fragile entre la nature et la culture, mes expériences au sein d’ONG ont aiguisé mon regard critique sur l’entreprenariat « éthique » et mes années dans la restauration m’ont permis d’affûter mes compétences culinaires et entrepreneuriales.

Crédits photos 1 et 2 : Adeline Gravier
Quels sont les différents piliers de ton travail, quelles sont les valeurs qui t’animent et que tu souhaites transmettre ?
Mon activité s’articule autour de 3 types d’ateliers : les ateliers cueillette et cuisine, les ateliers culinaires et les balades parents-enfants. Il m’arrive également d’animer des ateliers en milieu scolaire. Quel que soit le public, j’essaie de montrer que les plantes sauvages ne sont pas l’apanage des grand·es chef·fes et qu’avec les bonnes connaissances, n’importe qui peut reconnaître, cueillir et cuisiner les plantes sauvages à notre portée.
Au cours de mes balades dans les bois, j’entends régulièrement des parents mettre en garde leurs enfants qui s’apprêtent à toucher ou à cueillir une plante. S’il convient de les tenir éloigné·es de plantes toxiques, je réalise que bien souvent ces parents bien intentionné·es mais ignorant·es voient des dangers là où il n’y en a aucun. Cela renforce la barrière entre les humain·es et le monde végétal et génère beaucoup d’appréhension de la part des adultes comme des enfants. En nommant les plantes, en les invitant à les toucher, à les sentir, à les observer de près, j’essaie de briser cette barrière, de rassurer et d’aider petit·es et grand·es à se familiariser avec le monde végétal, une plante à la fois. Bien entendu, j’insiste également sur les dangers et les précautions à prendre quand on fait de la cueillette sauvage, tout en donnant à chacun·e les clés et la confiance nécessaires pour profiter des bienfaits des plantes comestibles.
Les personnes qui participent aux ateliers ont toutes des motivations différentes : certaines veulent simplement profiter d’une balade guidée en plein air, d’autres souhaitent développer leurs compétences culinaires et d’autres encore, adeptes du survivalisme, veulent connaître les plantes dont iels peuvent se nourrir au quotidien. Quelles que soient leurs motivations, mon objectif reste le même : à travers ces différents ateliers, j’essaie de transmettre le plaisir de transformer et déguster des plantes que l’on a cueillies soi-même, dans le respect des saisons et de l’environnement.
Avant, j’insistais beaucoup sur les critères botaniques, je nommais les différentes parties des plantes mais maintenant, beaucoup moins : un peu comme le faisait ma grand-mère, j’invite les gens à découvrir les plantes avec leurs sens en éveillant forcément des émotions en elleux. Et c’est, d’après moi, le meilleur moyen de renouer avec notre environnement naturel, de l’apprivoiser et de le protéger.
Au fil des années, as-tu observé des changements dans les milieux de cueillette sauvage, que ce soit d’un point de vue social ou environnemental ?
Pour moi, il y a eu un avant et un après confinement. J’ai ainsi observé un intérêt grandissant pour les plantes sauvages et la nature de manière générale, par des personnes qui souffraient de l’isolement causé par la pandémie. Il y a aussi, comme je le disais précédemment, de plus en plus de survivalistes qui voient désormais en la nature de précieuses ressources pour se nourrir dans des sociétés en déperdition.
Cet intérêt grandissant pour la cueillette sauvage, par des personnes qui ne sont souvent ni formées ni accompagnées par des professionnel.les, a malheureusement des conséquences néfastes, voire irréversibles sur de nombreux lieux de cueillette. Lors de mes ateliers, j’insiste sur l’importance de cueillir uniquement des plantes envahissantes, dans des lieux où elles poussent en abondance, de les cueillir en quantité limitée afin d’assurer leur reproduction, d’utiliser chaque partie de la plante cueillie, etc. Malheureusement, de nombreux coins de cueillettes jusqu’alors préservés ont été pillés et détruits par des personnes négligeant les pré-requis d’une cueillette responsable.
J’observe également la marchandisation de biens communs gratuits. On m’a déjà demandé de facturer la cueillette de plantes alors que cela me paraît insensé : je ne souhaite pas faire payer des biens qui ne m’appartiennent pas. En revanche, je suis toujours partante pour accompagner des personnes dans les bois afin de les aider à identifier les plantes qu’iels recherchent et de les guider dans leur apprentissage d’une cueillette responsable et sans danger. La reconnaissance et la cuisine des plantes sauvages demandent des connaissances, du temps et de la patience et c’est cela que j’ai à cœur de transmettre. Vendre les plantes que j’aurais cueillies ne m’apporterait aucune satisfaction personnelle.
Enfin, les conséquences du changement climatique sont bien évidemment visibles… Cette année, la sécheresse s’est particulièrement fait sentir: mes lieux de cueillette habituels étaient peu abondants et il y a un vrai décalage saisonnier.
Pour finir, quelles sont les plantes que tu utilises le plus en hiver ?
J’utilise beaucoup la benoîte urbaine dont le parfum des racines rappelle celui du clou de girofle et dont j’apprécie le goût fumé. Une fois séchée, je coupe les racines en petits morceaux et je les utilise comme une épice. J’aime particulièrement en mettre dans les gâteaux et biscuits de Noël. Ses propriétés cicatrisantes en font, par ailleurs, un bon remède pour les maux de bouche.
J’aime également la berce dont la racine a un goût à la fois fruité et piquant et que je consomme à la vapeur ou en purée. Il y a aussi le lierre terrestre, idéal en infusion et pour de légers problèmes de bronches. Enfin, j’utilise l’ortie pour ses apports en fer et ses propriétés reminéralisantes.

Pour aller plus loin :





Merci beaucoup pour cette présentation de Caucalis.
Je la rejoins sur le fait de faire attention aux lieux de ceuillette et de récolter sans piller ce qui implique de ne prélever que ce dont on a besoin…
Je suis une ceuilleuse depuis des années maintenant uniquement pour ma consommation personnelle (et je la rejoins le lierre terrestre et la berce font parties de mes favorites) . J’ai beaucoup appris seule, mais l’apprentissage avec une personne qui s’y connaît vraiment est important pour pouvoir en profiter pleinement.
Avec plaisir ! En effet, je crois qu’aussi bien pour sa sécurité que pour la protection des lieux de cueillette, il est important de s’y initier avec des expert·es en la matière 🙂
Merci Natasha pour cet entretien, j’aime toujours ce type d’articles, je trouve que cela permet d’ouvrir à d’autres univers.
Merci pour ton retour, Stéphanie 🙂
Bonjour Natasha,
Merci pour cette présentation.
Moi aussi je me sens frustrée quand je me promène en famille et que je suis incapable de reconnaître les plantes ou les animaux ! Je n’ai vraiment aucune connaissance sur le sujet. Il faudrait que je trouve des ressources adaptées et surtout faciles d’utilisation. Et pour la cueillette je serais plus rassurée de faire appel à un ou une experte comme Natalia !
Je crois que nous sommes beaucoup dans cette situation ; et je trouve cela très triste… cela en dit long sur notre déconnexion à notre environnement.
En tout cas il existe un tas de livres très chouettes pour se familiariser avec les plantes, c’est un bon point de départ. Ulmer propose plusieurs ouvrages sur ce vaste sujet.
merci pour la recommandation !
Un article hyper interessant ! J’avoue que je n’ai jamais osé tenter la cueillette de plantes sauvages, je ne saurais pas par où commencer… D’où l’importance de l’accompagnement de personnes comme Natalia !
En effet, un accompagnement me semble indispensable pour se lancer en toute sécurité 🙂 !