Voilà bien longtemps que j’avais envie de consacrer des articles aux artistes engagé·e·s, à ces personnes qui mettent leurs talents d’illustrateur·rice·s, graphistes, peintres, photographes, etc., au profit de causes environnementales et animales. L’art, quel que soit sa forme, a un pouvoir bien particulier à mes yeux et je pense qu’il a un rôle très important à jouer dans la diffusion d’idées, notre prise de conscience de et notre sensibilisation à diverses problématiques. Une « simple » image peut parfois s’imprimer dans notre esprit et nous marquer bien plus intensément qu’un long texte.
Étant personnellement particulièrement sensible à la photographie, j’avais envie d’inaugurer cette nouvelle série d’articles en faisant honneur à un photographe. Il y a quelques années, j’avais d’ailleurs interviewée Jo-Anne McArthur dont les photos d’animaux exploités à travers le monde reflètent tristement bien leur détresse et leur souffrance. Le photographe que je souhaite vous présenter aujourd’hui, Ludovic Sueur, est également végane et a décidé lui aussi, il y a 12 ans, de mettre sa passion pour la photographie à profit de la cause animale. Ses clichés sont toutefois très différents de ceux de Jo-Anne puisqu’il photographie des animaux sauvages, dans leur milieu naturel, principalement en Occitanie, une région où l’on peut observer la faune non seulement en montagne mais aussi dans les espaces lagunaires et marins.
J’ai découvert son travail l’an dernier, grâce à Rosa B. (Insolente Veggie), et je le suis depuis avec intérêt et le soutient même sur Tipeee, tant ses photos et sa manière de travailler me plaisent. Chaque cliché me donne l’impression d’être la spectatrice d’un moment intime et d’un individu unique et me rappelle combien chaque vie est à la fois belle, fragile et importante. Je vous laisse à présent découvrir les réponses de Ludovic à mes questions et vous invite à faire un tour sur son site ainsi que sur Facebook pour voir d’autres de ses jolies photos.
Crédit Photo : Ludovic Sueur
D’où te vient ta passion pour la photographie animalière et ton intérêt pour la faune sauvage en particulier ?
J’ai toujours été fasciné par le monde qui nous entoure (de la structure des particules élémentaires à la formation des galaxies) et tenter de le comprendre est passionnant. Comme j’ai grandi à la campagne, j’ai rapidement pu observer ses habitants sauvages et leurs interactions. Ce qui m’intéresse particulièrement c’est de pouvoir suivre et comprendre l’histoire de ces individus qui sont totalement indépendants de l’humain. J’ai choisi la photographie car c’est un média qui peut être très fort lorsque tous les ingrédients qui la composent sont réunis.
Qu’espères-tu transmettre à travers tes photos ?
J’espère amener les visiteurs de mes expositions et de mes conférences à voir les animaux présentés comme étant vraiment des individus avec leur histoire et leur personnalité et non des représentants d’une espèce comme c’est encore trop souvent le cas. Lorsque l’on a compris que chaque animal est une personne les rapports que l’on a avec eux changent complètement.
Sur ton site, tu expliques que “La liberté des individus photographiés et la préservation de leur environnement sont prioritaires dans [ta] démarche photographique et font partie de [ta] philosophie de vie.”. Peux-tu nous en dire un peu plus ce que tu entends par là ?
On voit encore trop de photographies qui sont faites au détriment des animaux photographiés ou de leur environnement cela souvent pour faire le buzz ou participer à des concours. Je suis vegan (depuis 2001) cela fait donc partie de mes principes de vie. Je propose une conférence photographie animalière et spécisme qui montre ce qu’implique le fait d’être photographe animalier dans un monde spéciste mais aussi comment et pourquoi la photographie animalière peut être préjudiciable aux animaux.
Quels conseils donnerais-tu aux photographes amateur·trice·s parmi nous qui aimeraient observer et photographier des animaux sauvages sans les perturber ?
Le plus important est de prendre en compte le contexte dans lequel on va faire les observations ou les prises de vue. Les zones dans lesquelles la chasse sévit sont les plus délicates pour ses habitants et ce sont les endroits où il faut faire le plus attention. Les zones non chassées comme certaines réserves ou zones urbaines sont idéales pour débuter sans gros risques de perturbation.
Ensuite il faut toujours garder à l’esprit de ne pas pénétrer dans l’espace vital des sujets que l’on veut observer ou photographier. Lorsqu’un individu commence à montrer des signes d’inquiétude c’est que l’on est déjà allé trop loin. Avec l’expérience et en anticipant leurs actions, ce sont les animaux qui viennent à ma rencontre.
Peux-tu nous raconter l’un des moments de ta carrière de photographe qui t’a le plus marqué, nous parler d’une photo qui t’a particulièrement ébloui ou qui a particulièrement touché le public ?
Chaque photographie a son histoire mais celle qui a le plus de signification pour moi c’est l’une des toutes premières que j’ai faite en camouflage. C’est un lapin qui a un cœur dessiné sur le poitrail. Je l’ai prise dans une garenne naturelle non loin de chez moi. À l’époque, je ne me doutais pas que cet endroit deviendrait désertique ! En fait, L’agriculteur qui exploite le champ voisin a rasé une haie qui cachait les terriers ce qui a rendu la colonie très vulnérable. Les lapins représentent pour moi un symbole car ils subissent absolument toutes les formes d’exploitations (viande, chasse, expérimentation, fourrure, laine, compagnie, concours). Enfin il faut savoir que leur population sauvage est en constant déclin en France.
Pour aller plus loin…
- Le site et la boutique de Ludovic Sueur
- Sa page Facebook
- Sa page Tipeee
Coucou Natasha et merci pour cet article. Pratiquant la photo animalière en amateur depuis une dizaine d’années j’ai l’occasion de côtoyer un peu quelques photographes pro ou amateur et il y a une éthique qui est variable d’un individu à l’autre. Ainsi pour les oiseaux les photographies pendant la reproduction et notamment au nid sont à proscrire mais tous ne le respectent pas. On se rend compte aussi que c’est variable selon l’espèce: par exemple pour l’hirondelle de fenêtre ou rustique qui sont habituées à vivre avec nous au point de se servir du bâti humain le dérangement est minime, c’est cependant très différent d’aller se mettre au-dessus d’une aire de rapace, qui plus est gravement menacé, dans ces cas-là la reproduction peut échouer. Hélas le public connait mal la nature sauvage et donc ignore les précautiond à prendre, voire ignore la présence d’une espèce sensible à proximité (exemple du tétras lyre sur les pistes de ski). Le souci c’est qu’aujourd’hui avec le numérique et la massification de la photographie, le matériel est accessible à tous et cela vient s’inscrire dans un contexte de nature déjà très fragilisée par l’ensemble de nos activités. L’image est reine aujourd’hui et il y a une masse monumentale de photos qui circulent et se ressemblent beaucoup et qui sont pour la plupart médiocres et sans intérêt artistique (et parfois surfait quand c’est le cas, comme dans l’art en général mais c’est mon avis). Parallèlement pour les faire effectivement il y a destruction d’habitat, destruction d’espèces et dérangements, le tout pour avoir SON cliché et sans aucun intérêt pour l’espèce en question (qu’il soit scientifique ou affectif) si ce n’est l’aspect esthétique. Et les pros n’ont pas nécessairement une démarche plus louable qu’un amateur d’autant plus que les professionnels sont eux aussi nombreux aujourd’hui, certains font des kilomètres pour la photographie, le matériel lui-même est problématique au niveau environnemental (d’autant plus que l’électronique est très fragile et une partie du matériel est aussi sujette à l’obsolescence programmée).
Il y a vraiment beaucoup à dire sur la photographie et son impact éthique ou écologique . Quand on prend du temps pour y réfléchir les raisons de ne pas en faire sont autant nombreuses que celles qui nous motivent à en prendre seulement on ne parle jamais des aspects négatifs.
Pourquoi je continue à en faire donc? Parce que la photo est avant tout un document, une preuve qui peut aider à compléter une observation (scientifique ou récréative) et sur certaines espèces elle peut être indispensable pour valider l’observation. Elle peut aussi éviter d’arracher une plante ou de capturer un insecte pour le déterminer ou l’inventorier, en ce sens elle évite des démarches contraires à une certaine éthique et peut éviter du stress à un insecte. Il faut apprendre aussi à lâcher prise et à sortir du cadre de la « vision par la photo » car quand on a un pied dedans depuis un moment, on n’a plus qu’une vision de sujet, d’objet, on place le tout dans le cadre fermé et limité de l’image, cela devient un automatisme et on oublie d’utiliser notre vue et nos autres sens de manière normale et libre. De fait ça m’arrive souvent d’oublier l’APN au point d’avoir parfois des regrets quand il s’agit d’une rareté. On est aussi tentés par l’aspect de collection: même si on n’épingle pas ou qu’on n’empaille pas, il y a des conséquences. Ensuite, pour sensibiliser effectivement un certain public la photo a son utilité mais je regrette de dire que rares sont les images qui suffisent à véhiculer un message surtout quand ce dernier est complexe. Donc l’image ne suffit pas: il faut du texte, des explications, que le public hélas ne va pas forcément lire. Personnellement, je choisis de plus en plus de réduire mes photos à l’aspect naturaliste, l’artistique est défini par le lecteur de la photo: je ne cherche pas l’art. Mon projet est d’utiliser mes photos (ou des photos libres de droit) dans un but clairement pédagogique. Parce que photographier la nature sauvage peut aussi être une forme d’exploitation et qu’à ce niveau, on sait très bien que les façons d’exploiter sont plus ou moins impactantes, je pense donc que la photo animalière doit aujourd’hui être un véritable support d’aide, de protection à l’animal et les divers habitats et aussi permettre de former le public à ce qu’est la nature, pourtant parfois à côté chez eux mais qu’ils ignorent, même si certains disent l’aimer. Or on protège mieux ce qu’on connaît un minimum et d’autant plus si on tisse des liens (qui d’ailleurs existent déjà). 😉
Bonjour, merci pour le partage de votre expérience auquel j’adhère pour ses conclusions. Je me suis notamment fait la même remarque en ce qui concerne les textes qui doivent accompagner certaines expositions (et c’est le cas de la mienne).
Les photos sont magnifiques et le message derrière encore plus beau. Je ne me doutais pas du tout que la population de lapins sauvage était en diminution, merci pour cette information. L’exemple des lapins me semble trés interessant aussi du fait que dans la pluspart des pays voisins ce n’est pas un animal comestible mais un animal de compagnie: cela m’a permis de vraiment prendre conscience du coté totalement aléatoire de nos considérations sur les animaux. J’aime beaucoup l’idée de voir les animaux comme des individus, c’est tellement vrai! Ca semble évident pour nos chiens et chats, mais on passe si souvent à coté pour les animaux sauvages…
Merci et oui n’hésitez pas à lire les ouvrages de Marc Giraud qui donnent envie d’aller observer nos voisins sauvages!
Oh, je suis contente de cette rencontre avec Ludovic Sueur ! Je suis son travail depuis quelques mois, les photos sont magnifiques et empreintes de délicatesse et de poésie.
Je ne savais pas qu’il avait une page Tipeee, c’est bon à savoir ! 🙂
Merci pour tous tes articles, Natasha !
Même si je ne les commentais pas, je feuilletais attentivement tes plannings hebdomadaires de repas, à la recherche d’idées nouvelles. Ceci dit, je trouve que ta proposition de détailler de temps en temps tes recettes de base, c’est une excellente idée (et c’est bien de renouveler les formules, pour nous, et pour toi aussi, j’imagine) 🙂
Ludovic Sueur est autant bon photographe animalier qu’il est engagé pour la cause animale. C’est quelqu’un avec un grand cœur, de la patience et de la douceur, tout cela lui permettant en effet de nous offrir tous ces portraits magnifiques.
Merci de parler de lui.
K&M
Merci pour la belle découverte et Bravo à l’artiste! Quelle patience et savoir-faire il faut avoir pour faire de tels images… Que la nature est belle !