Vision de jeune citadine
J’ai grandi à Grenoble et pendant toute mon enfance j’ai mené une vie de citadine pour qui la nature n’avait d’importance que le week-end, lors des randonnées ou des sorties ski en montagne, des balades en forêt, et des pique-niques au bord d’un lac ou d’une rivière. Pour moi, la nature était un lieu associé aux loisirs, en dehors de la ville et de mon quotidien.
Puis, à 14 ans, j’ai eu la chance d’être sélectionnée pour embarquer avec 9 autres collégiens et un équipage de 6 adultes à bord du voilier Fleur de Lampaul pour un périple s’étalant d’août 1998 à novembre 1999, qui m’a mené de l’Ile d’Yeu à Tahiti en passant par une quinzaine d’îles de l’Atlantique, des Caraïbes et du Pacifique. Le but de cette expédition connue sous le nom “Les enfants de l’an 2000” était d’aller à la rencontre d’autres jeunes pour connaître leur vision du nouveau millénaire. Grâce à ce voyage, j’ai eu le privilège de partager le quotidien de peuples autochtones et c’est à travers nos échanges que ma conception de la nature et ma relation avec l’environnement ont commencé à changer.
Premiers pas chez des autochtones
Que ce soit chez les Imraguens en Mauritanie, les Kali’nas en Guyane Française ou les Kunas au Panama, j’ai à chaque escale découvert un mode de vie à mille lieues de celui que j’avais connu jusque-là. D’abord, j’ai été frappée par la taille et la sobriété des habitations construites à partir des matières premières trouvées aux alentours. A l’intérieur, de quoi s’allonger, se couvrir, s’habiller, cuisiner: pas de superflu.
Le regard naïf que je portais à l’époque associait cette simplicité à de la pauvreté. J’ai aussi découvert un quotidien rythmé par le lever et le coucher du soleil: pas ou peu d’électricité. Pas très commode, me disais-je… De plus, j’ai inconsciemment mangé mes premiers repas entièrement bios et locaux: les Imraguens nous régalaient matin, midi et soir de leur pêche journalière de mulet jaune; les Kali’nas servaient des fruits et légumes récoltés quotidiennement dans la forêt et occasionnellement du singe ou de la tortue; quant aux Kunas, ils cuisinaient dans du lait de noix de coco frais des fruits de mer et des poissons pêchés à l’aube. Même si je me régalais, las de manger les mêmes aliments, je les plaignais de ne pas connaître le choix et la variété de nos étales de supermarché…
Enfin, entre leurs différentes tâches quotidiennes, jeunes comme adultes jouissaient de plusieurs heures de temps libre qu’ils passaient ensemble à jouer, à discuter ou à méditer en plein air ou à l’abri de la chaleur. Des moments pendant lesquels chacun se ressourçait et les liens des membres du village se resserraient. Ces heures, passées à priori à ne rien faire selon moi me semblaient terriblement longues et ennuyeuses.
Remise en question
Au fil des escales, je fus progressivement amenée à questionner mes repères de citadine habituée à vivre avec plus que le nécessaire, entourée d’adultes se dépêchant à longueur de journée pour répondre à leurs obligations, se posant devant un écran pour “faire une pause”, faisant les magasins pour “se faire plaisir” et choisissant leurs repas selon leurs goûts et leurs envies. Je compris rapidement que les villages qui nous avaient accueillis n’étaient ni pauvres, ni privées de ressources ou de choix, ni limitées en occupations. Ils vivaient simplement au rythme de la nature qui était à la fois leur lieu et leur source de vie. Leur environnement était en fait leur plus grande richesse. Dans son article que je vous invite à lire, Joanna Eede explique que “80% des zones les plus riches en biodiversité de la planète sont des territoires de communautés indigènes qui, depuis des millénaires, ont trouvé des moyens ingénieux de subvenir à leurs besoins tout en maintenant l’équilibre écologique de leur environnement”.
Depuis cette aventure révélatrice, j’ai continué à travers mes études et mes voyages de découvrir différentes communautés autochtones autour du monde et à chaque fois, j’ai été émue par la place qu’accordent ces peuples à la nature dans leur quotidien. Il semblerait que les mots du chamane yanomami Davi Kopenawa résonnent en chacun d’eux: “L’environnement n’est pas distinct de l’homme. Nous sommes en lui et il est en nous” (Source: Humanité-biodiversité).
Célébrer les peuples autochtones pour préserver leur vision de la nature
Depuis 1994, les Nations Unies célèbrent la Journée internationale des peuples autochtones le 9 août. Une journée qui me tient à coeur de célébrer car les Imraguens, les Kali’na et les Kunas furent les premiers à planter une graine verte en moi… une graine qui a fait son chemin! Malheureusement aujourd’hui, et ce depuis des décennies, les méfaits de la (sur)consommation et du capitalisme menacent et détruisent le mode de vie et l’habitat des peuples autochtones autour du monde. À une époque où notre planète se dégrade, célébrer les peuples autochtones est donc aussi une opportunité de défendre et de donner une voix à ceux qui détiennent les clés du savoir pour protéger celle que les amérindiens appellent la Terre-Mère.
Mon dieu, la chance que tu as eu! Un tel voyage, et en bateau en plus, le rêve. Des souvenirs pour toujours. C’est toujours une bonne aventure d’avoir l’occasion de se mêler réellement aux diverses populations couvrant la terre. J’ai eu l’occasion de partir au Cambodge durant 15 jours l’an dernier, et même si je n’ai pas été dans des familles comme toi, j’ai parcouru une partie du pays et c’est déja génial.
En effet j’ai beaucoup de chance d’avoir pu faire un tel périple… et depuis j’essaie autant que possible de choisir des destinations de voyage où je connais quelqu’un qui pourra m’accueillir, me faire découvrir sa ville, sa culture; c’est tellement plus enrichissant de voyager à travers le regards des habitants locaux je trouve mais c’est vrai que ce n’est pas donné à tout le monde!
Quelle belle expérience tu as eu si jeune. Cela me convainc encore plus du fait que le voyage est vraiment la meilleure école de vie. Moi aussi j’ai découvert quelques peuples indigènes sur la route de mes premiers voyages, frappée aussi par la simplicité de leur vie et leur richesse. Malgré tout je ne m’était pas attardée plus que ça à comprendre le fond de leurs coutumes et de leur histoire. Aujourd’hui, mon regard a changé et je suis fascinée par le savoir qu’ils détiennent et fortement attristée de le voir disparaitre à coups de bulldozers (Avatars le retour 😉 ). On détruit tout ce que l’on ne comprend pas au lieu de s’attacher à apprendre.
Les voyages sont en effet une belle école de vie… malheureusement c’est une école qui n’est pas accessible à tous/toutes alors je me sens extrêmement privilégiée d’avoir pu autant voyager et aussi jeune ! Comme toi je suis vraiment peinée de savoir l’impact destructeur du capitalisme sur la majorité des peuples aborigènes et terriblement effrayée à l’idée qu’ils puissent disparaître à jamais…
Attends : tu es partie d’août 1998 à novembre 1999 ? Sans voir ta famille ? Mais c’est énorme !!! Surtout à 14 ans. Ouaouh, je suis bluffée. 🙂
Je suis rentrée chez moi entre temps (novembre/décembre/janvier et juin/juillet) donc j’ai pu voir ma famille à ce moment-là 🙂
Ah ouf ! Tu m’as fait peur 😉 Ceci étant, c’est sûr que cela est une belle expérience de vie, qui a dû contribuer à forger la personnalité que tu as aujourd’hui… même si, pour effectuer un tel voyage à 14 ans, ta personnalité devait déjà être latente 😉
En effet, cette expérience a beaucoup influencé (et continue d’influencer) ma perception de la vie ainsi que mes choix et aspirations… J’ai consacré un autre article à ce sujet par ici si cela t’intéresse 🙂
Merci, je vais regarder 🙂
Je profite du confinement pour reprendre tous tes articles depuis le début (et j’en ai pour un bout de temps, mais ça tombe il se trouve que j’en ai amplement 😉 )
Quel merveilleux voyage ce devait être ! 14 ans c’est l’âge que j’ai (enfin plus pour très longtemps haha) mais faire un voyage pareil à cet âge là, wouah !
Ton évocation de l’île d’Yeu me fait sourire car c’est là que j’ai vécu pendant trois ans ! 🙂