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FAQ – Mon voyage à bord de Fleur de Lampaul

Le 30 août 1998, j’embarquais à bord de Fleur de Lampaul (FDL) pour un voyage d’un an qui m’a menée de l’île d’Yeu à Tahiti, en passant par une quinzaine d’îles de la côte ouest africaine, des Caraïbes et de la Polynésie française. Accompagnée de 9 autres jeunes âgé.e.s de 12 à 15 ans et de 5 adultes, j’ai pu partager le quotidien de peuples autochtones et découvrir la vie, les rêves et les préoccupations des « Enfants de l’an 2000 » (nom de notre expédition) à travers le monde. Nous avons partagé ce voyage à travers un site internet, des livres (publiés chez Gallimard Jeunesse) et des films diffusés alors sur la 5e en France (et d’autres chaînes à l’étranger) (actuellement disponibles sur YouTube… en allemand uniquement !). J’ai déjà publié deux articles autour de ce voyage sur le blog – Ma rencontre avec des peuples autochtones et Vivre à bord d’un voilier – mais je sais que vous êtes nombreux·euses à vouloir en savoir plus sur cette expérience un peu hors du commun ! Alors à l’occasion du 20e anniversaire de mon départ pour ce voyage, j’avais lancé une foire aux questions sur Instagram, Facebook et Tipeee et j’ai pris le temps de répondre à chacune d’entre elles via cet article…

Pour faciliter, je l’espère, la lecture de ce long article, j’ai décidé d’aller droit à l’essentiel dans mes réponses et de regrouper vos différentes questions par thème :

N’hésitez bien évidemment pas à me poser d’autres questions en commentaire si vous en avez !

À Nuku Hiva (Archipel des Marquises) / Sur l’île de La Graciosa (Canaries) / Sur les îles Desertas, près de Madère

AVANT DE PARTIR


Comment as-tu entendu parler de Fleur de Lampaul ?

J’ai entendu parler de FDL via le magazine L’Hebdo des juniors auquel j’étais abonnée en 1997. Dans l’un des numéros, il y avait un jeu concours et j’y ai participé dans l’espoir de remporter le dernier prix : un livre de la collection « Chair de Poule » que je dévorais à cette époque-là (aujourd’hui je fuis toutes les histoires d’horreur, qu’elles soient sous forme de romans ou de films !)… mais c’est finalement le 1er prix que j’ai remporté ! Il s’agissait d’un stage d’une semaine à bord de FDL pour observer les mammifères marins en Vendée.

Bien que je sois partie pour ce stage à reculons (l’idée de vivre une semaine sur un voilier avec des inconnnu·e·s ne m’inspirait guère !) – je suis rentrée de cette semaine vraiment enchantée par cette première expérience de la vie en mer et en communauté ainsi que par la découverte du quotidien à la fois au cœur de la nature et dans un espace minimaliste. Je suis également tombée sous le charme de ce magnifique vieux gréement qu’est Fleur de Lampaul et je me suis plongée avec intérêt dans les livres relatant les expéditions organisées chaque année par Charles Hervé-Gruyer (si vous vous intéressez à la permaculture, vous en avez certainement déjà entendu parler car sa femme et lui sont les fondateur·rices de La Ferme du Bec Hellouin). De retour chez moi, j’ai également regardé tous les épisodes de l’expédition précédente qui étaient alors diffusés sur la Cinquième.

À la fin de l’été, je n’avais qu’un objectif en tête : préparer mon dossier de candidature pour faire partie de l’équipage du prochain, du plus grand et du dernier voyage qui serait organisé par Charles à bord de Fleur de Lampaul avant la mise en vente de son voilier…

Comment as-tu été sélectionnée ?

La sélection s’est déroulée en 3 étapes

  1. Envoi d’un dossier de candidature pour lequel il fallait répondre à quelques questions personnelles autour de nos motivations et de nos passions et préparer un reportage photo sur notre quotidien. Au moins l’un des parents devait également rédiger une lettre de soutien à la candidature de son enfant.
  2. Entretiens individuels d’une cinquantaine de jeunes (sur 1000 candidat·e·s) à l’île d’Yeu sur un week-end. C’était l’occasion pour les jeunes et les parents qui ne le connaissaient pas de voir le bateau en vrai, de rencontrer l’équipage adulte, etc. et pour Charles et le reste de l’équipage adulte de faire connaissance avec chaque candidat·e séparément.
  3. « Stage » d’une semaine à bord de FDL avec une quinzaine de jeunes. C’était l’occasion de nous donner un avant-goût de la vie à bord et en communauté et 5 d’entre nous ont été sélectionné·e·s pour l’expédition à la fin de cette semaine.

Un processus de sélection similaire a eu lieu pour sélectionner 5 autres jeunes parmi les candidatures étrangères.

Avais-tu déjà une expérience de la navigation (ou de la mer en général) avant de partir ?

Je n’avais absolument aucune expérience de la navigation (hormis les quelques notions de base que j’ai pu apprendre lors de mon stage d’une semaine en 1997) mais cela n’était pas un critère de sélection. J’ai donc tout appris sur le tas.

Ta maman n’a-t-elle pas eu de mal à te laisser partir ?

Si… mais je l’ai su bien après ! Le dossier était à renvoyer en mars 1998 au plus tard et j’ai commencé à travailler dessus dès le mois de septembre 1997, en rappelant régulièrement à ma maman qu’il fallait qu’elle remplisse sa partie, ce qu’elle a ignoré pendant plusieurs mois. J’étais alors loin de me douter qu’elle ne souhaitait pas vraiment soutenir ma candidature car elle ne supportait guère l’idée de me laisser partir sans elle, un an, au bout du monde, à l’âge de 14 ans, mais comme elle m’avait laissé travailler sur mon dossier et même aidée pour la mise en page, je ne m’étais pas posé de questions. Voyant la date de délai du renvoi des candidatures se rapprocher, j’ai tout de même dû lui mettre un peu plus de pression afin qu’elle se penche sur sa lettre de soutien. Elle a alors pour la première fois pris le temps de lire la documentation et lorsqu’elle a appris que sur les centaines de candidatures reçues, seules 10 seraient retenues à la fin, elle s’est immédiatement sentie rassurée ! En fait, elle s’est dit que vu mon manque d’expérience de la navigation, je n’avais aucune chance d’être sélectionnée… c’est donc avec cette certitude en tête qu’elle a rempli sa partie du dossier et que nous l’avons posté !

Manque de chance pour ma maman, les connaissances en navigation n’étant pas un critère de sélection, les choses sont allées bien plus loin qu’elle l’avait espéré… C’est donc un peu à reculons qu’elle m’a permis de participer aux étapes de sélection suivantes mais dès lors qu’elle a rencontré l’équipage adulte, vu le voilier et découvert les détails et conditions du voyage, elle a réalisé qu’elle n’avait aucune raison de s’inquiéter et qu’il serait dommage de ne pas me permettre de profiter de cette opportunité absolument unique. Je sais aujourd’hui qu’elle a beaucoup pris sur elle pour me laisser partir si loin et je lui suis reconnaissante d’avoir pu me permettre de réaliser ce rêve et bien d’autres.

Si cela vous intéresse, ma maman a laissé un commentaire sous cet article où elle partage un peu la manière dont elle a vécu les choses à l’époque.

Comment ce voyage était-il financé ?

Le voyage était sponsorisé principalement par France Télécom et diverses autres entreprises. Chaque famille devait également faire de son mieux pour trouver des mécènes de son côté. J’avais personnellement obtenu des dons financiers de la mairie, du Conseil Régional, de mon collège ainsi que des dons matériels de la Fnac notamment (matériel photo). Chaque famille contribuait ensuite au voyage selon ses moyens.

Hisser les voiles et remonter l’ancre, un vrai travail d’équipe !

VIE QUOTIDIENNE


Comment est-ce que tu communiquais avec ta famille ?

Nous communiquions essentiellement par courrier. Avant de nous installer dans des villages généralement isolés, nous accostions des villes portuaires pour nous ravitailler en nourriture et nous en profitions alors pour récupérer du courrier en poste restante et envoyer nos lettres par la même occasion. Parfois, nous trouvions une cabine téléphonique mais les échanges de vive voix restaient assez rares. Par ailleurs, il arrivait que certains spécialistes nous rejoignent à bord du voilier en avion, seulement pour une partie du voyage et l’équipe qui travaillait depuis les bureaux de l’île d’Yeu se chargeait de réunir le courrier des familles et chargeait nos visiteur·euses ponctuel·les de nous l’apporter. Enfin, pour les messages urgents, nos familles passaient par l’équipe basée à l’île d’Yeu qui pouvait nous contacter directement par téléphone et par email (nous étions après tout sponsorisé·es par France Télécom donc nous avions d’excellents moyens de communication à bord mais ceux-ci restaient, pour des raisons évidentes, réservés aux messages urgents et importants).

Était-ce difficile de ne pas voir ta famille pendant si longtemps ?

Je pense que la séparation était plus difficile à vivre pour nos familles car nous laissions un certain vide derrière nous… alors que de notre côté, nous étions tellement absorbé·e·s par la vie à bord, la découverte de nouveaux endroits, la rencontre avec de nouvelles personnes, l’écriture des livres, le tournage des films, etc. que nous n’avions que très peu de temps pour penser aux êtres qui nous étaient chers et qui étaient restés à terre. Nous savions l’importance de profiter à fond (comme on aimait le dire) de chaque moment car nous nous sentions privilégié·e·s de faire partie de cette aventure et nous étions donc prêt·e·s à vivre éloigné·e·s de nos familles durant ce voyage. Il arrivait toutefois bien évidemment que nos proches nous manquent mais nous avions en quelque sorte une nouvelle famille à nos côtés pour partager nos bons comme nos mauvais moments.

Quelles étaient vos relations à bord entre vous et avec les adultes ?

Entre jeunes, nous étions comme des frères et sœurs, toujours là les un·e·s pour les autres et jamais à l’abri des prises de tête non plus ! Bien évidemment, nous avions plus d’affinités avec certaines personnes que d’autres, mais nous nous entendions tou·te·s très bien globalement. Nous avions chacun·e des relations très différentes à chaque adulte ; cela dépendait essentiellement de nos personnalités. Mais de manière générale, iels étaient à la fois des ami·e·s et des confident·e·s avec un rôle d’encadrant·e·s tout de même. Iels étaient là pour poser les bases et nous guider dans tous les domaines du quotidien.

Combien de temps passiez-vous à chaque escale ?

Nous passions généralement 10 jours à 3 semaines sur chaque île ou archipel.  

Avez-vous essuyé des orages à bord du bateau ?

Non, jamais !

Que mangiez-vous à bord ?

Autant on se régalait généralement chez nos hôtes, autant à bord on ne se léchait pas forcément les babines ! Au départ de l’île d’Yeu, nous avons rempli les cales de conserves et d’ingrédients secs en tout genre et on faisait le plein de fruits et légumes lors de nos escales dans les villes portuaires. Lors des traversées, nous pêchions autant que possible. Mais je me souviens surtout avoir mangé beaucoup de choux rouges et blancs !

À l’époque, qu’est-ce qui t’a paru le plus différent de ta vie quotidienne ?

La plupart du temps, nous avons séjourné chez des peuples dont le quotidien était rythmé par la nature (les saisons, le jour, la nuit, la faune et la flore, etc.) et dont les occupations, ressources alimentaires, etc. étaient directement liées à leur environnement. Là-bas, on ne distinguait pas la nature des humain·es… Cela était très différent de ma vie de citadine grenobloise pour qui la nature ne jouait aucun rôle particulier dans ma vie de tous les jours.

Séance de tournage / Petit déjeuner sur le pont / Avec Vera (allemande) et Icaro (suisse-brésilien)

PEUPLES AUTOCHTONES


Quelles sont les populations qui t’ont le plus marquée et pourquoi ? Peux-tu partager un souvenir auprès d’un peuple autochtone qui t’a particulièrement marquée ?

Chaque escale, chaque rencontre m’a marquée d’une manière différente et pour des raisons variées… Chaque échange, chaque moment partagé avec les personnes qui m’ont accueillie, hébergée, nourrie, embarquée dans leur quotidien, appris leur art, etc. m’a apporté quelque chose, m’a ouvert un peu plus les yeux et l’esprit et m’a fait grandir… La richesse de chaque échange humain m’est encore plus évidente aujourd’hui quand je relis des passages de mes journaux de bord. Il est donc impossible pour moi de vous dire si certaines rencontres m’ont marquée plus que d’autres…

As-tu été confrontée à de la pauvreté ? Les autochtones ont-iels montré de l’intérêt pour les commodités et le « confort » des « pays développés » ou bien étaient-iels satisfait·es de leur situation ?

Tout dépend de ce que l’on entend par pauvreté. Nous avons séjourné chez des peuples qui vivaient très sobrement, dans des logements aux allures précaires, avec peu ou pas de mobilier, des objets complètement usés et pas d’eau ni d’électricité courantes… En France, on associerait probablement cela à de la pauvreté. Dans les endroits que nous avons visités, cela correspondait tout simplement à leur manière de vivre. Malgré des ressources matérielles différentes et moindres par rapport à nous, iels n’étaient pas dans le besoin et étaient enchanté·es de nous loger et de nous nourrir durant notre séjour. Dans mes souvenirs, les gens que nous avons rencontrés étaient satisfaits de leur situation matérielle (cela ne les empêchait bien évidemment pas de connaître des difficultés dans d’autres domaines de leur vie).

Je n’ai pas le souvenir d’avoir échangé avec des individus envieux·euses de notre situation d’occidentaux·ales. J’ignore d’ailleurs s’iels savaient réellement comment et dans quelles conditions nous vivions à terre, dans nos pays d’origine. Je crois qu’iels nous voyaient avant tout comme des gens un peu originaux qui vivaient sur un bateau !

Est-ce que les peuples autochtones rencontrés avaient connaissance des différences entre leur vie et la société occidentale ?

Cela dépend des peuples, des générations et des endroits. Je pense que les personnes qui s’étaient rendues dans des villes, ainsi que les enfants scolarisé·es dans des écoles en dehors de leur village avaient été exposé·es à certaines « bribes » de la vie occidentale. Mais de manière générale, je pense qu’il était difficile de se rendre compte de l’ampleur des différences qu’il pouvait y avoir entre leur mode de vie et le nôtre sans l’avoir vécu soi-même, surtout sans les médias. L’inverse est vrai : je n’aurais moi-même jamais pu imaginer les différences qu’il pouvait y avoir entre mon quotidien et le leur avant de partager leur toit et de vivre à leur rythme… Même si j’avais lu des livres et regardé des reportages à la TV, rien ne remplace l’expérience pour comprendre aussi bien ce qui nous unit que ce qui nous différencie des autres peuples.

Y a-t-il des choses qui t’ont choquée ?

Nous avons embarqué pour ce voyage avec le désir de découvrir et de comprendre le mode de vie et de pensée d’autres peuples, un peu comme le font les ethnologues. Cela permet vraiment de se mettre – autant que faire se peut – à la place des gens plutôt que de les observer avec un regard étranger voire ethnocentrique et je trouve qu’à partir du moment où l’on cherche vraiment à comprendre autrui, on se détache de nos propres repères et préjugés et on aborde alors la différence avec intérêt et bienveillance.

Il y a toutefois une chose qui m’a choquée et pour laquelle je n’ai pas réussi à faire preuve de relativisme culturel : le fait que dès l’âge de 6 ans, les enfants cubains soient envoyé·es dans des camps où on les prépare physiquement et mentalement à pouvoir et à vouloir se battre pour protéger leur nation. Je me souviendrai toujours avec effroi de ce jeune garçon tenant une arme entre ses mains et me confiant être prêt à mourir pour son pays…

As-tu gardé d’une manière ou d’une autre contact avec les habitants des villages dans lesquels vous avez séjourné ?

Je n’ai gardé aucun contact avec les personnes rencontrées lors du voyage, principalement pour deux raisons. La première, c’est que certaines vivaient un peu trop isolées pour pouvoir se faire livrer du courrier par le·la facteur·rice ! La seconde, c’est que nous n’avions pas toujours une langue en commun avec nos hôtes. Si je pense qu’il est possible de développer des relations et d’avoir de vrais échanges malgré la barrière de la langue, il me semble que cela est beaucoup plus complexe lorsque l’écrit reste le seul moyen de communication.

Chez les Imraguen – Banc d’Arguin en Mauritanie / Chez les Cunas – îles San Blas à Panama / À Cuba

ENVIRONNEMENT ET ÉCOLOGIE


Aujourd’hui les plages, mers, océans sont envahis de plastique. Qu’en était-il il y a 20 ans, est-ce que cette pollution était déjà visible lors de ton voyage en voilier ?

J’imagine qu’il devait déjà y avoir pas mal de pollution plastique à cette époque, mais je ne me souviens absolument pas avoir vu de déchets au milieu des mers et océans que nous avons traversés. Par contre, l’arrivée des produits transformés et emballés chez certains peuples était problématique car iels n’avaient pas conscience de l’impact des déchets et aucun système pour les trier/s’en débarrasser… On retrouvait donc malheureusement des déchets non biodégradables dans la nature.

Certains peuples que tu as rencontrés vivaient sur des îles. Étaient-ils au courant de la montée du niveau des océans et y voyaient-ils un danger ?

Tous les peuples que nous avons rencontrés vivaient au bord de l’eau et sur des îles effectivement… mais je ne me souviens pas avoir parlé de la montée des océans avec eux. J’ignore donc s’ils étaient conscients de ce danger à ce moment-là.

As-tu découvert des techniques ou astuces qu’utilisaient les peuples que tu as rencontrés qui pourraient être mises en avant et utilisées dans notre société de consommation afin de réduire notre impact négatif sur la nature ?

Je ne me souviens pas de techniques en particulier mais simplement du bon sens dont ces peuples faisaient preuve en s’étant familiarisés intimement avec leur environnement immédiat afin d’y puiser tout ce dont ils pouvaient avoir besoin pour répondre à leurs divers besoins au quotidien (alimentation, santé, logement, habits, divertissements, etc.). La valorisation des produits et savoir-faire locaux coulait vraiment de source chez eux…

Dans tes articles, tu parles de « petites graines vertes qui ont connu leurs débuts là-bas », pourrais-tu nous en dire plus ?

C’est effectivement au cours de ce voyage que j’ai récolté mes premières graines vertes. Certaines ont mis quelques mois, d’autres plusieurs années à germer, mais toutes ont considérablement influencé mon cheminement vers un mode de vie plus sain, éthique et écologique. C’est durant cette expédition que j’ai véritablement découvert :

J’ai développé certains de ces points en détail dans l’article Vivre à bord d’un voilier.

Dans un lagon des îles Tuamotu / Baleine à bosse sur le Banc d’Argent / Jeune Irmaguen sur le Banc d’Arguin en Mauritanie

APRÈS LE VOYAGE


Ce voyage a-t-il eu un impact sur ta scolarité ? Comment s’est passé ton retour en milieu scolaire ?

Le voyage a été découpé en 3 modules de 3 mois, ce qui signifiait que nous rentrions chez nous tous les 3 mois, pour une période de 2 à 3 mois pendant laquelle les jeunes réintégraient temporairement l’école, une partie de l’équipage adulte naviguait jusqu’à notre prochaine escale et l’autre partie rentrait également en France afin de s’occuper de l’édition des livres et du montage des films. J’ai donc été en cours en décembre-janvier et en mai-juin de mon année de troisième et j’ai entamé mon année de seconde en janvier plutôt qu’en septembre.

Ce voyage n’a néanmoins eu aucun impact négatif sur ma scolarité à proprement parler puisque j’ai obtenu mon brevet des collèges avec d’excellentes notes et j’ai pu passer en classe de seconde puis de première sans problème. Il faut dire que j’avais un profil de « bonne élève » et qu’à part en maths où j’ai eu besoin de soutien, j’ai pu rattraper mes cours de manière autonome très rapidement. Cette année hors du système scolaire a toutefois complètement changé mon rapport à la scolarité telle que je l’avais connue en France. J’ai appris tellement plus de choses utiles et intéressantes en 1 an que durant mes 10 et quelques années précédentes de scolarisation dans un système traditionnel que je me suis inévitablement posé beaucoup de questions sur l’intérêt du modèle scolaire classique.

Dès mon retour « définitif » dans celui-ci, j’ai commencé à m’ennuyer, à trouver déprimante l’idée de passer encore la plupart de mes journées des 2-3 années à venir assise sur une chaise entre quatre murs à mémoriser des choses bien souvent déconnectées de la réalité et des sujets qui comptaient vraiment pour moi. Très vite, je me suis sentie incapable de m’épanouir dans un tel système.

Alors quand, quelques mois après mon retour, j’ai entendu parler d’un organisme international offrant un programme scolaire alternatif (le Bac International) et des bourses à un certain nombre de jeunes dans chaque pays, j’ai décidé de tenter de nouveau ma « chance »… et trois étapes de sélection plus tard, je recevais une lettre m’apprenant que j’avais obtenu une place et une bourse complète pour faire ma 1re et ma terminale au sein de l’établissement canadien de cet organisme. Moins de 5 mois après mon retour de FDL, ma maman et moi étions donc de nouveau plongées dans les préparatifs d’un nouveau grand départ « au bout du monde ». (Oui, ma maman est merveilleuse).

Aujourd’hui, après avoir été élève dans cet organisme, j’y suis toujours en tant que prof… ce n’est pas un système « idéal » selon moi mais ça reste un programme dont la mission, les valeurs et le contenu font sens à mes yeux et plutôt que de rejeter entièrement le système scolaire classique, j’aimerais contribuer, à ma manière, au développement de systèmes scolaires alternatifs et inclusifs (c’est-à-dire qui ne soient pas réservés aux personnes ayant les moyens de financer une institution privée pour l’éducation de leurs enfants, mais ouverts à tou·tes celleux désireux·euses de se cultiver et de grandir autrement, indépendamment de leurs moyens financiers).

As-tu eu des prises de conscience durant ou à ton retour de ce voyage?

En dehors de réflexions en lien avec l’écologie et l’éducation, ma plus grosse prise de conscience durant ce voyage a été d’ordre humain. C’est à ce moment-là que j’ai découvert l’ethnologie et ce que cela signifiait d’être vraiment ouvert·e d’esprit. Réalisant l’importance de partager le quotidien des gens d’autres horizons, milieux, cultures, etc. pour se défaire de nos préjugés et mieux comprendre et apprivoiser nos différences, c’est tout naturellement que j’ai choisi l’anthropologie sociale et culturelle comme matière au bac, puis que j’ai enchaîné avec une licence en anthropologie et en communication. Ce voyage m’a donc permis de réaliser ce qui me touchait vraiment et dans quels domaines j’aimerais faire « ma part » dans ma vie d’adulte.

Est-ce qu’il y a des choses de la Fleur/de l’expédition qui te manquent ?

Je crois que ce qui me manque le plus c’est d’être en contact direct et constant avec la nature. Pas juste en la voyant et en la côtoyant au quotidien mais aussi et surtout en étant véritablement en phase avec elle et liée à elle de par notre rythme de vie, nos déplacements, la réalisation de nos tâches domestiques, nos activités, etc. Sur la Fleur, tout notre quotidien dépendait du rythme des vagues, de la clarté du ciel, des écosystèmes et ressources naturelles qui nous entouraient… Cela faisait vraiment sens pour moi.

Voudrais-tu rembarquer demain si on te le proposait/ si la Fleur faisait encore des expéditions ?

À 34 ans, mes besoins et priorités sont très différents qu’à l’âge de 14 ans… À l’époque, je ne savais pas encore qui j’étais vraiment et je n’avais qu’une envie : découvrir le monde. Aujourd’hui, je sais que la vie en communauté sur une longue durée (même à peine plus de quelques jours) peut devenir insupportable pour moi qui suis à la fois timide et introvertie et qui ai donc besoin de temps de calme et de solitude très réguliers pour me ressourcer. Par ailleurs, j’ai besoin de routine et de stabilité au quotidien car je trouve les changements de lieu et de rythme fréquents très épuisants. Je trouverais donc cela assez difficile aujourd’hui de revivre une telle expérience, dans les mêmes conditions. Par contre, j’adorerais un jour repartir en voilier avec quelques personnes proches. Durant notre voyage, nous avons croisé le chemin de plusieurs familles parcourant le monde en voilier avec de jeunes enfants et c’est une expérience que j’aimerais beaucoup partager avec mon propre couple/ma famille.

Es-tu restée en contact avec tes coéquipier·ères ? Vous arrive-t-il de communiquer/de vous voir et d’échanger entre vous (anciens de la Fleur) sur ce que vous avez vécu?

Je suis restée en contact principalement avec celleux avec qui j’avais le plus d’affinités et qui ont fait l’effort de garder le contact. Vu que tout le monde n’aimait pas forcément écrire des lettres/des emails ou téléphoner, on s’est un peu perdu·es de vue les premières années, puis avec Facebook on s’est retrouvé·es et organisé·es pour se revoir aussi, ce qui n’est pas évident car nous vivons dans des pays différents (Irlande, Pays-Bas, Allemagne, France, Suisse…). Aujourd’hui, je suis essentiellement en contact avec 3 de mes jeunes coéquipières ainsi qu’avec Charles Hervé-Gruyer.

Les premières fois où nous nous sommes revu·e·s après le voyage, je crois que nous avons tou·te·s ressenti le besoin de parler de ce que nous avons vécu et surtout d’évacuer les frustrations et difficultés que nous avons pu connaître. Malgré l’allure magique d’une telle expédition, nous avons connu des moments très pénibles parfois. Rien de cela ne transparaissait à travers les livres/films et les personnes qui nous posaient des questions sur notre voyage l’idéalisaient tellement qu’elles nous laissaient rarement l’opportunité de parler des coups durs. À présent, lorsqu’on se retrouve, il nous arrive d’évoquer des souvenirs précis, mais nous parlons surtout de nos vies actuelles.

Si vous voulez en savoir plus sur ce que sont devenu·es certains des jeunes qui sont parti·es sur FDL avec Charles et son équipage, je vous recommande vivement le documentaire « Ils ont grandi au large » diffusé sur France 3 l’an dernier et disponible sur Vimeo. Les réalisateurs sont partis à la rencontre d’une petite dizaine d’anciens de la Fleur ayant participé à différentes expéditions et reviennent avec elleux sur leur voyage et sur ce qu’iels en gardent aujourd’hui.

Ce genre d’expédition pour adolescent·e·s existe-t-il toujours ?

Je ne sais pas du tout… Après avoir appartenu à Charles, FDL a été racheté par la Fondation Nicolas Hulot et depuis quelques années il appartient à Nordet Croisière, une entreprise privée basée en Bretagne. Mais il existe peut-être d’autres expéditions de ce genre sur d’autres voiliers…

Baleine à Bosse sur le Banc d’Argent / L’une de nos hôtes polynésiennes / Désert mauritanien
Auriez-vous aimé participer à un tel voyage ? Laisseriez-vous vos enfants partir pour ce genre d’expédition ?
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