Site icon Échos verts

Est-ce que je suis végane ?

@ Sophie Seydel

“Est-ce que tu es végane ?”. Voilà une question que l’on me pose de plus en plus souvent et à laquelle je vais tâcher d’apporter une réponse dans cet article…

Grâce à tout ce que j’ai pu vivre, observer et lire ces dernières années, il ne fait pour moi aucun doute : tous les animaux (humains et non-humains) sont des êtres sensibles, sentients et doués de conscience qui désirent vivre, qui peuvent éprouver du plaisir et qui ne supportent pas la souffrance, qu’elle soit physique ou émotionnelle. Ainsi, je m’oppose à tout comportement qui pourrait nuire à leur bien-être et/ou causer leur mort, lorsque celle-ci n’est ni nécessaire, ni voulue. Si prendre soin des êtres humains m’a toujours semblé naturel et normal, prendre soin des animaux non-humains ne l’a malheureusement pas toujours été pour moi. J’ai grandi à une époque, dans une famille, dans une société et dans un environnement où l’exploitation et la mise à mort des animaux non-humains sont dissimulées, normalisées et/ou banalisées.

J’ai malgré tout, comme beaucoup d’entre nous, développé une certaine sensibilité vis-à-vis d’un grand nombre d’espèces animales ainsi qu’un réel malaise ou dégoût concernant la consommation ou l’exploitation de plusieurs d’entre elles. Comme je le raconte dans l’article “Les animaux et moi” et “Le jour où j’ai arrêté de manger des animaux”, j’ai toutefois mis du temps avant de réaliser que j’étais spéciste et carniste. En tant que spéciste, je partais du principe que certaines espèces étaient supérieures à d’autres et méritaient donc davantage de considération morale et de droits. Ceci se reflétait dans mon comportement vis-à-vis de plusieurs espèces animales. En tant que carniste, je justifiais la consommation de produits d’animaux non-humains en m’appuyant sur différentes croyances socio-culturelles. De ce fait, manger des aliments ayant engendré la mort d’animaux me semblait naturel, normal et nécessaire quelles que soient les circonstances.

Puis, il y a environ 5 ans, j’ai commencé à m’intéresser de plus près à mon impact sur l’environnement. Inévitablement, j’ai pris conscience du fait que les produits carnés que je consommais étaient une grande source de pollution. Je ne comprenais toutefois pas pourquoi la consommation d’aliments que je considérais alors comme étant vitaux à mon bien-être pouvaient être si néfastes pour la planète. En continuant mes recherches, j’ai appris que les nutriments associés aux produits carnés (protéines, fer, calcium…) étaient également présents dans le règne végétal et qu’il était donc possible d’avoir une alimentation saine et équilibrée sans se nourrir d’animaux. Je me suis alors intéressée à l’alimentation végétalienne et au fil de mes lectures, j’ai réalisé qu’outre son impact sur l’environnement, l’exploitation des animaux pouvait être la cause de souffrances ignobles et inimaginables et ce bien au-delà de l’industrie alimentaire.

Cette prise de conscience m’a bouleversée et je me suis alors plongée dans la lecture d’articles et d’ouvrages susceptibles de m’aider à comprendre comment on en était arrivé là, comment j’avais pu être naïve à ce point, comment j’avais pu être complice d’un système aussi violent et discriminatoire et surtout comment je pouvais m’en affranchir… La lecture de No Steak et de La révolution végétarienne, en décembre 2013, m’ont apporté certaines réponses et ont déclenché ma volonté de changer mon rapport aux animaux en adoptant une vision antispéciste et en remettant en question mes croyances carnistes.

Depuis, je ne mange et ne bois plus aucun aliment d’origine animale, je n’utilise aucun produit ménager ou cosmétique contenant des matières animales ou testé sur les animaux, je n’achète plus de textiles réalisés à partir de fibres animales et je continue d’éviter les endroits où les animaux sont exploités – zoos, cirques, aquariums etc.-, ce que je faisais déjà bien avant de m’intéresser au véganisme.  Je fais donc de mon mieux au quotidien pour faire des choix qui ne causent aucun tort aux animaux et qui ne contribuent pas au maintien d’un système spéciste et carniste. Je ne dis pas que ma manière de faire ou de vivre est la meilleure, car il n’existe selon moi pas de modèle idéal à suivre et applicable à tous les contextes ; c’est toutefois celui qui me correspond le mieux ici et maintenant puisqu’il me permet d’appliquer mes valeurs, d’être en harmonie avec mon environnement et de me sentir bien dans ma tête et dans mon corps au quotidien.

Ceci dit, je continue d’utiliser mes chaussures en cuir, mes pulls et ma couverture en laine ainsi que notre couette en plumes achetés il y a quelques années. Il m’arrive également d’avaler des médicaments qui ont probablement été testés sur les animaux. Il m’arrive aussi de boire du vin sans certitude qu’il soit végane. Quand je mange un plat végétalien dans un restaurant non-végane, j’ignore si mon plat est réellement exempt de produits animaux tant ces derniers sont utilisés dans l’industrie alimentaire sous forme d’additifs. Il se peut également que les fruits et légumes bio que j’achète soient cultivés avec des engrais d’origine animale. Il se peut aussi que les cabosses des fèves de cacao utilisées pour fabriquer les tablettes de chocolat que j’achète aient été transportées par des animaux malmenés. Une ou deux fois par an, je vais chez une esthéticienne qui utilise des produits qui ne sont pas labellisés cruelty-free. Je regarde parfois des séries ou des films dans lesquels apparaissent des animaux dressés et exploités par l’industrie cinématographique. Je fais mes achats auprès de producteurs, de marques, de sites et dans des épiceries, cafés et restaurants qui ne vendent pas que des produits véganes ; mon argent finance donc indirectement la production, l’achat et la vente de produits non-véganes. Quand bien même j’adhère aux fondements du véganisme, m’assurer que chacun de mes choix ne nuit à aucun animal me paraît encore compliqué.

Nous vivons dans une société où l’exploitation des animaux non-humains est tellement répandue et acceptée – dans le domaine de la santé, des loisirs, de l’éducation, de l’alimentation, etc., – qu’il est parfois laborieux de s’y soustraire. Ici et là, je croise régulièrement des critiques véganes et même non-véganes qui reprochent les contradictions et le manque d’engagement de certains véganes et qui laissent à penser que pour être végane il faut atteindre un idéal imperfectible. Pourtant, il n’y a ni lois véganes ni gourous véganes ni police végane… Le véganisme repose sur une idéologie nourrie par les pensées et les actions d’une multitude d’hommes et de femmes, à travers le monde et à travers les siècles, qui considèrent que les animaux sont des êtres sensibles à qui l’on devrait accorder des droits et non des commodités que l’humain peut exploiter à son gré. Il existe toutefois toutes sortes de véganes : des welfaristes, des abolitionnistes, des écologistes etc. Leurs motivations, leur manière de vivre leurs convictions au quotidien et leur buts ultimes sont variables mais leur considération pour les animaux reste la même.

Et moi dans tout ça ? J’avoue que je ne sais pas vraiment car à mon sens, il n’y a pas de véganisme universel idéal et je considère que notre rapport aux animaux est à la fois personnel et contextuel. J’ai beaucoup voyagé et j’ai partagé le quotidien de peuples aborigènes qui se nourrissaient exclusivement des plantes et des animaux qui les entouraient. Ils étaient néanmoins bien plus en harmonie avec leur environnement et respectueux du vivant que je ne l’ai jamais été et je considère qu’il est nécessaire, normal et naturel que ces peuples chassent et mangent les animaux qui les entourent. La différence, entre eux et moi, c’est que j’ai le choix entre des sources de protéines végétales et animales et qu’il me semble donc préférable de privilégier celles qui causent le moins de souffrance. J’ai aussi du mal à répondre à cette question- “Quelle végane es-tu ?”- car je n’aime pas l’idée de devoir rentrer dans une case.

Il faut dire que je n’ai jamais aimé les étiquettes sociales de manière générale – nationalité, ethnicité, profession, diplômes, statut marital… Chacun de ces statuts est relié à un nombre de stéréotypes qui m’ont pesé à un moment ou à un autre de ma vie. On a tendance à faire des suppositions en fonction des catégories auxquelles appartiennent les gens et cela peut affecter la manière dont on les perçoit et se comporte envers eux. Le statut de végane n’y échappe pas : il arrive que les véganes commes les non-véganes se fassent une idée de ce que devraient être ou de ce que sont les véganes et cela peut engendrer des attitudes préjudiciables. Il suffit qu’un.e non-végane ait rencontré un.e ou deux véganes agressif.ves pour qu’il/elle se mette en tête que tou.te.s les véganes sont agressifs.ves. Quand on y pense, c’est complètement absurde car nos traits de caractère ne sont pas intrinsèquement liés aux idéologies auxquelles on adhère. Ce serait comme de dire que tous les omnivores étaient intolérant.e.s, simplement parce que c’est le cas de nos voisins. Le fait de consommer ou pas des produits d’animaux ne définit pas notre personnalité. Cela peut tout à fait l’influencer, la modeler, et de la même manière, je pense que notre personnalité peut jouer un rôle dans nos choix alimentaires, mais cela est très variable d’une personne à l’autre.

L’idée d’appartenir à une catégorie à laquelle on associe différentes caractéristiques qui ne me correspondent pas et qui pourraient être nuisibles à mes relations sociales me dérange donc. En plus de ça, je ne souhaite pas que ma personne se résume à cela : Natasha = végane. Je préfère qu’on parle de ma personnalité, de mes qualités comme de mes défauts et de mes convictions plutôt qu’on en reste à un simple label. Car dans le fond, savoir qu’une personne est végane ne nous dit pas tout de sa personne. On peut être un.e végane écolo, un.e végane consumériste, un.e végane matérialiste, un.e végane raciste, un.e végane tolérant.e.… de la même manière qu’il existe des omnivores en tout genre. Les idéologies qui nous animent ne nous définissent donc pas entièrement. On peut d’ailleurs, d’après mon expérience, tout à fait s’entendre avec des personnes qui ont des croyances et convictions différentes des nôtres. Je n’ai donc pas envie que « végane » deviennent le principal adjectif utilisé pour me décrire et que l’on ressente le besoin de dire que je suis végane quand on parle de moi. J’ai remarqué que certain·e·s ressentent le besoin de dire « untel/unetelle est homosexuel.le/bisexuel.le » etc. quand ils·elles parlent de personnes qui ne sont pas hétérosexuelles alors que cela n’a rien à voir avec le sujet de conversation. J’ai du mal à comprendre ce besoin de mettre en avant les choix « hors-normes » de certains individus lorsque cela n’est pas nécessaire. 

De plus, je trouve l’étiquette “végane” limitante car elle n’englobe pas toutes les causes qui me tiennent à coeur. J’ai le sentiment que dire je suis “végane” insinue que la cause animale est la seule qui m’importe. En réalité, j’ai commencé à agir pour les causes humaines et environnementales bien avant que je me sente concernée par cause animale et ce nouvel intérêt n’a en rien amoindri l’attention que je porte aux problèmes humanitaires, sociaux et environnementaux. Bien au contraire : je considère désormais que ces causes sont indissociables et je continue, jour après jour, de faire de mon mieux pour ne nuire ni aux humain·e·ss, ni à l’environnement, ni aux animaux non-humains.

J’ai aussi lu de nombreux commentaires de véganes qui stipulent qu’être végane est un engagement militant, qu’il faut “se battre” pour la cause animale, participer à des évènements et des manifestations et que se contenter de bannir les produits animaux de son quotidien n’est pas suffisant. Si je suis partisane de la résistance sous forme d’actes ordinaires et discrets au quotidien, le militantisme et la résistance sous forme de mobilisation massive et collective visible ne m’inspirent guère. Cela ne veut pas dire que je suis contre ce genre de mobilisation – bien au contraire, je pense qu’elles peuvent être des formes de résistance essentielles et efficaces -, mais cela ne correspond tout simplement pas à ma manière de lutter pour les causes qui me tiennent à coeur. Je suis toutefois reconnaissante envers les personnes qui militent collectivement en public. Elles jouent un rôle important dans la diffusion de certaines idées et l’ébauche de changements positifs.

Je me demande également si dire “je ne mange/bois pas de produits d’animaux”, “je n’achète pas d’objets réalisés à partir de membres/fibres d’origine animale”, “je ne participe pas à des évènements et je ne me rends pas dans des lieux où les animaux sont exploités” – plutôt que de dire simplement “je suis végane” – ne donne pas lieu à des échanges plus constructifs. Même si, à vrai dire, j’ai pu avoir des conversations très constructives après avoir fait la liste des bases du mode de vie végane comme j’ai pu en avoir simplement après avoir dit “je suis végane”. Je trouve qu’il faut toutefois savoir adapter l’angle par lequel on aborde le sujet en fonction des sensibilités de nos interlocuteur·rice·s.

Enfin, j’ai peur de m’enfermer dans une idéologie et de m’en sentir prisonnière. Je me dis que peut-être, un jour, je serai dans une situation où manger des animaux ou acheter une paire de chaussures en cuir sera la seule ou la meilleure option à ma portée. Renoncer à l’application de mes principes de manière temporaire ferait-il de moi une “fausse” végane ? De la même manière que cela me pèse de devoir justifier mes choix par rapport à ce que je ne consomme pas, je redoute d’avoir à justifier ce qui pourrait être perçu comme un “retour en arrière” et un “faux pas” par autrui. Comme j’en parlais au début de cet article, je n’ai pas envie que mon véganisme soit mesuré, ni évalué ou condamné en fonction de mes imperfections.

Les raisons pour lesquelles je suis réticente à l’idée de m’identifier au véganisme sont diverses et variées mais avec du recul, j’ai réalisé qu’elles sont toutes étroitement liées à un manque de confiance en moi et à ma peur des reproches, jugements et comportements négatifs d’autrui.  C’est cette même peur qui m’a freinée dans mon cheminement vers un mode de vie végane : j’ai mis du temps avant de me sentir prête à annoncer les changements dans mes habitudes alimentaires à certaines personnes de mon entourage. De ce fait, pendant plus de 2 ans, je me suis contentée de manger végétalien à la maison, chez mes parents et quelques ami.e.s proches. Ailleurs, je mangeais végétarien, jusqu’à ce que le fait de manger des oeufs et des produits laitiers me cause plus de tourments et d’inconfort que l’idée d’être critiquée et incomprise par autrui. J’ai donc fini par annoncer au reste de mon entourage que je souhaitais désormais manger végétalien. À ce moment-là, je me sentais plus que jamais convaincue que c’était ce qu’il y avait de mieux pour moi et je me sentais donc prête à en parler ouvertement.

J’ai le sentiment d’avoir suivi un cheminement similaire dans mon rapport au véganisme. Si toutes les réticences et craintes que j’ai énoncées précédemment sont encore une réelle préoccupation pour moi, elles ne me semblent plus aussi effrayantes et insurmontables qu’il y a quelques mois ou années. Dans son livre Les animaux ne sont pas comestibles, Martin Page dit qu’on “a tendance à se moquer de ceux qui font la démonstration d’un engagement. On les tourne en ridicule. Comparé à ce que subissent les animaux, les moqueries ne sont pas graves. On peut hausser les épaules, sourire, et expliquer.”  Je trouve ce raisonnement plein de bon sens et j’espère à présent moi aussi réussir à passer outre les moqueries et critiques auxquelles je risque de faire face à l’avenir et les surpasser en faisant preuve d’écoute, de compassion, de patience et de bienveillance.

Cela fait un moment que je questionne ma place dans le mouvement végane et que j’ai le sentiment d’en faire partie, à ma manière. Il existe mille et une manières louables de soutenir la cause animale et après avoir longuement hésité, j’ai décidé que pour ma part, ce serait en devant végane, en osant dire “je suis végane”. Même si mon mode de vie n’est pas et ne sera peut-être jamais 100% végane. Même si je n’aime pas les étiquettes sociales. Même si je trouve ce terme limitant. Même si je ne suis pas une militante. Même si cette affirmation peut donner lieu à des échanges non-constructifs. Parce que malgré mes imperfections et mes contradictions, je fais de mon mieux pour vivre végane au quotidien et je me sens à ma place dans ce mouvement qui me porte, m’enrichit, me stimule les neurones, m’ouvre le cœur et l’esprit un peu plus chaque jour. Peut-être qu’un jour, je n’y serai plus à ma place. Mais aujourd’hui, j’y suis bien et cela me fait du bien de pouvoir dire tout simplement « Je suis végane »

Un peu plus haut, je disais que j’avais peur de me sentir prisonnière en disant cela et paradoxalement, depuis que je le dis, je me sens envahie par un sentiment de libération. C’est certainement parce que je me sens enfin libérée du poids de mes peurs, que je vois désormais plus d’ouvertures que de limitations au véganisme et que je me sens portée par le sentiment de sérénité et de plénitude que ce mode de vie et que cette vision du monde m’apportent. C’est pourquoi je me retrouve beaucoup dans ces mots de Martin Page : “Devenir végane est une révolution mentale. C’est un bouleversement éthique et pratique qui demande forcément du travail et du courage. Mais il ne faut pas oublier que c’est un plaisir aussi. Nous ne sommes pas des acètes.”

Crédit photo : Sophie Seydel
Et vous, est-ce que vous êtes véganes ? Quel est votre rapport aux étiquettes ?
Quitter la version mobile