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Mieux vivre le post-partum

Le post-partum, j’en avais vaguement entendu parler avant et pendant ma grossesse mais pas suffisamment pour m’y arrêter, pour vouloir approfondir le sujet et ressentir le besoin de m’y préparer dûment comme j’avais pu le faire pour l’accouchement, l’allaitement et la diversification alimentaire – les trois seuls aspects liés à la grossesse et à la maternité auxquels je m’étais préparée. Pour le reste, j’ai appris sur le tas, souvent à mes dépends, une fois notre bébé dans les bras.

Pourtant, comme l’explique très bien Illana Weizman dans son livre Ceci est notre post-partum, il s’agit-là d’une période bien à part durant laquelle les personnes venant d’accoucher ont besoin d’une prise en charge globale et d’être entourées sur une durée de quelques semaines, mois ou années. De fait, un soutien est indispensable pour faire face aux nombreux bouleversements physiques, physiologiques et psychologiques pouvant caractériser cette période. Or, de nos jours et dans bien des sociétés, la plupart des parents de nouveaux·elles né·es sont livré·es à elleux-mêmes et de cet isolement, de ce manque de ressources et de connaissances découlent de nombreuses souffrances, en particulier pour les post-parturient·es [1].

Mon post-partum a duré deux longues années mais trois ans après mon accouchement, les séquelles de cette période sont encore présentes. Bien qu’aujourd’hui je me sente mieux et suffisamment forte pour affronter mon quotidien sans trop de peine, les souffrances ressenties durant les deux premières années de ma vie de maman ont eu des conséquences non-négligeables et parfois irréversibles sur ma santé, notre équilibre familial et nos projets. Au-delà des bouleversements d’ordre physique dont je peine encore à me remettre, c’est surtout mentalement que je me sens plus fragile. Je suis plus angoissée, plus effacée, pleine d’amertume et tellement effrayée à l’idée de revivre une telle épreuve et de ne pas y résister une seconde fois que j’ai fini par renoncer, non sans douleur, à l’idée d’avoir un jour un·e autre enfant. Je ne suis pas du genre à avoir des regrets mais combien de fois ai-je souhaité pouvoir tout recommencer à zéro afin que notre couple soit mieux préparé au post-partum et ainsi nous éviter bien des tourments ?

Grâce au recul que j’ai pu prendre sur mon expérience et celles des mamans avec qui j’ai échangé ces dernières années, je reviens à travers cet article sur certaines des complications du post-partum et sur tout ce qui, je pense, pourrait permettre aux post-parturient·es de traverser cette épreuve avec moins de difficultés. Le post-partum est une étape inévitable pour les parents qui mettent un·e ou des enfant(s) au monde mais les souffrances qui la caractérisent ne sont pas une fatalité. Bien des choses peuvent être mises en place avant, pendant et après la grossesse pour nous permettre d’affronter les complications immuables du post-partum et vivre les premiers mois/années de notre (nos) bébé(s) avec plus de confiance, de joie et de sérénité que de peine.

Il ne s’agit pas ici de conseils pratiques à mettre en place à l’échelle individuelle mais plutôt de solutions nécessitant des changements idéologiques et structurels importants. En effet, les obstacles rencontrés par la plupart des parents après l’accouchement ne sont pas nécessairement liés à leur approche personnelle mais plutôt à des manquements d’ordre socio-culturels et politiques. Néanmoins, quelques-unes de ces suggestions pour mieux vivre son post-partum sont d’ores et déjà accessibles ou applicables suivant les contextes. Pour le reste, j’espère qu’il ne faudra pas attendre l’abolition du patriarcat…

Et si l’on donnait plus de visibilité aux post-parturient·es ?

Avant de devenir maman et d’être frappée de plein fouet par le post-partum, je n’avais aucune idée du degré de difficultés que pouvaient rencontrer des parents durant cette période. Pourtant, la plupart de mes amies proches avaient déjà un·e ou plusieurs enfants mais aucune ne m’avait fait part de ses tourments. Ce n’est qu’à partir du moment où je leur confiais les miens qu’à leur tour, elles me parlaient des leurs. Par ailleurs, à chaque fois que j’abordais le sujet sur Instagram, je recevais de nombreux messages de mamans me remerciant de parler ouvertement de mon mal-être face à ma maternité… Petit à petit, au fil de ces échanges, j’ai pris conscience que je n’étais pas seule à avoir l’effrayante sensation de (sur)vivre au bord d’un gouffre depuis la naissance de mon enfant et que les souffrances liées au post-partum étaient socialement et culturellement largement perçues comme des tabous. On idéalise tellement les nouvelle·aux né·es qu’on ne conçoit pas que le bonheur associé à leur venue au monde ne puisse surpasser les éventuelles difficultés du post-partum. Ainsi, ces dernières sont tues, dénigrées, voire niées et leur invisibilisation participe à l’isolement, à la culpabilisation et au sentiment d’incompétence des parents en plein post-partum.

Heureusement, ces dernières années, ce sujet a considérablement gagné en visibilité dans l’espace public, notamment grâce au hashtag #MonPostPartum sur les réseaux sociaux (co-créé par Ilana Weizman), à des comptes Instagram (Postpartum_tamere, Le post partum), des podcasts (Mon post-partum, Bliss stories, La Matrescence) et des livres (Nouvelle Mère, Ceci est notre post-partum) et à toustes celleux qui ont osé parlé ouvertement de leurs peines présentes ou passées. Le fait que les langues se délient à ce propos permet non seulement de normaliser nos souffrances mais aussi d’attirer l’attention de la société dans son ensemble sur cette épreuve et d’encourager de nouvelles politiques pour que l’arrivée d’un·e nouvel·le enfant au sein d’un·e famille puisse se faire dans les meilleures conditions possibles, pour le bien-être de toustes.

Et si l’on rendait certaines informations et ressources sur le post-partum accessibles en amont ?

Afin d’accueillir au mieux notre enfant, je m’étais préparée à l’accouchement, renseignée sur l’allaitement et la diversification alimentaire ; j’avais réuni le matériel nécessaire pour répondre à ses besoins physiques et même congelé quelques repas d’avance. Rien de tout ce que j’avais lu et entendu ne m’avait laissé penser qu’au-delà d’assurer le bien-être de notre bébé, il serait tout aussi important de prendre soin de moi et de mon corps qui, après avoir porté la vie, allaité, été privé de sommeil, sujet à d’importants bouleversement hormonaux, etc., aurait grandement besoin de soutien pour garder des forces et retrouver un certain équilibre. On ne m’avait pas non plus parlé de l’impact du post-partum sur la santé mentale, de dépression post-partum, des phobies d’impulsion ou encore de l’importance de déconstruire quelques mythes sur la maternité pour ne pas aggraver les sentiments de culpabilité et d’incompétence qui me rongeaient déjà.

Ainsi, avoir des informations en amont sur les bouleversements et difficultés possibles après la naissance de notre bébé m’aurait aidée à éviter bien des écueils. Sans forcément rentrer dans les détails sur les défis de la parentalité avant-même d’y être plongée, j’aurais souhaité être consciente des complications plus ou moins courantes et avoir à ma portée des ressources fiables pour m’y référer en cas de besoin. Il aurait pu s’agir, par exemple, d’un annuaire d’organismes et de professionnel·les mis à ma disposition par ma gynécologue, ma sage-femme ou la maternité. Car quand on se retrouve submergé·e, il est, d’après mon expérience, extrêmement difficile de puiser l’énergie et d’avoir la disponibilité mentale nécessaire pour chercher de l’aide. Ainsi, on finit par s’enfoncer un peu plus chaque jour et ce même en sachant qu’il existe des sorties de secours.

À titre personnel, j’aurais notamment souhaité être davantage informée sur les besoins des bébés concernant leur sommeil et suivre une formation comme celle proposée par Fée Dodo pour aider les futur·es parent à créer un environnement (au sens large du terme) favorable à un sommeil autonome et suffisant pour les bébés, suivant leur âge. Si l’accompagnement que nous avons suivi avec une consultante spécialiste du sommeil des bébés – après 16 mois de nuits hachées et écourtées – nous a permis d’éponger la dette de sommeil de notre nourrisson, je regrette d’avoir tant souffert (et notre petit bout aussi) alors que des informations sur le sommeil, en amont, nous auraient permis de prendre de bonnes habitudes dès sa naissance.

Et si l’on bénéficiait d’un accompagnement post-partum professionel ?

Au-delà des informations fournies en amont, un suivi par un·e professionnel·le ayant les connaissances et compétences nécessaires pour accompagner les post-parturient·es, au fil des semaines et des mois suivant leur accouchement, me semble indispensable. Les parents sont bien souvent tellement accaparé·es par les soins à prodiguer à leur progéniture qu’iels s’oublient et s’effacent, au détriment de leur propre santé physique et mentale. Dans bien des cas, la présence régulière d’une personne à leur écoute, sensible à leurs besoins et difficultés, capable de les conseiller et les diriger vers des personnes compétentes – si nécessaire – serait un précieux soutien. Il pourrait s’agir de visites journalières, hebdomadaires ou mensuelles dont la fréquence évoluerait suivant l’état physique et mental et les besoins des parents. Personnellement, j’ai eu la chance d’être accompagnée par une sage-femme qui m’a rendu visite jusqu’aux 6 mois de notre enfant mais cela n’a pas été suffisant pour m’éviter de sombrer. En effet, malgré son écoute et son empathie, son rôle et ses connaissances ne lui ont pas permis de m’apporter tout le soutien dont j’avais besoin.

Et si l’on créait davantage de structures publiques adaptées à l’accueil des parents et des jeunes enfants ?

Étant de nature assez solitaire, de manière générale, j’apprécie de passer la plupart de mon temps libre en tête à tête avec moi-même. Néanmoins, l’arrivée de notre bébé m’a plongée dans un isolement et une solitude imposés. Sans la présence de famille aux environs et avec des ami·es accaparé·es par leur vie familiale et professionnelle, les interactions sociales de qualité furent beaucoup moins nombreuses que je ne l’aurais aimé durant mon année de congé parental. J’ai souvent entendu dire qu’il était important de limiter les visites les premiers jours/semaines suivant l’accouchement mais personnellement, je n’attendais que ça ! Les premières semaines furent les moins solitaires – toustes nos proches se sont précipité·es pour rencontrer notre bébé et prendre de nos nouvelles mais assez vite les « Quand est-ce que je peux passer ? » se sont raréfiés. Une fois le bébé rencontré, le cadeau déposé, l’intérêt de se revoir et même de prendre de nos nouvelles semblait s’être estompé. Sans parler des ex-amies qui, certainement lassent de mon mal-être, ont tout simplement fini par couper les ponts.

Par chance, quelques-un·es de mes fidèles ami·es étant en congé parental en même temps que moi, je pouvais les voir plus facilement et fréquemment qu’en temps normal. Néanmoins, les journées où je ne voyais personne d’autre que mon bébé (et mon mari à son retour du travail) étaient bien plus nombreuses que celles où, en compagnie d’une amie, je pouvais m’aérer l’esprit, penser à autre chose que mes tracas de maman, sortir de chez moi et d’une routine pesante. Ces rendez-vous étaient pour moi de véritables bouffées d’oxygène et je m’y raccrochais comme à une bouée de sauvetage afin d’éviter de me noyer dans le flot d’idées noires qui me submergeaient quasi-quotidiennement. Les jours où mes amies n’étaient pas disponibles, je m’efforçais de sortir pour me poser dans un café avec mon petit bout, histoire de me sentir un peu moins seule parmi les autres client·es et d’échanger quelques mots, aussi banals soient-ils, avec le·la serveur·se — mais je n’y restais jamais bien longtemps car l’espace était généralement inadapté aux jeunes enfants. Nous nous rendions également à un atelier d’éveil musical une fois par semaine, ce qui me permettait de croiser d’autres parents et de me sentir, l’espace d’une heure, pas complètement en charge de mon enfant : même si j’étais bien évidemment à ses côtés tout au long de l’atelier, une autre personne lui proposait de quoi s’occuper pendant que moi je me contentais de suivre le rythme.

J’aurais aimé avoir accès à davantage d’activités comme celle-ci où s’offrait à moi la possibilité de côtoyer d’autres parents et où quelqu’un·e ou quelque chose pouvait distraire mon bébé. En plus d’activités pensées pour les jeunes enfants, il y aurait besoin d’espaces aménagés de manière à ce que petit·es et grand·es puissent venir de manière spontanée, interagir librement, faire de nouvelles rencontres, boire, manger et jouer ensemble. Il existe déjà de telles structures comme, par exemple, Le café des enfants à Grenoble. Dans tous les cas, offrir aux parents qui se sentent isolé·es des opportunités de sortir de chez elleux et de rencontrer d’autres parents peut être extrêmement salutaire.

Photo by La-Rel Easter on Unsplash

Et si les discours sur la parentalité étaient plus inclusifs ?

Enceinte, j’ai commencé à constater que la majorité des discours autour de la grossesse, de l’accouchement et de la parentalité était, le plus souvent, adressés aux femmes – comme si les pères, dans les couples hétérosexuels, n’étaient pas eux aussi, indirectement ou pas, concernés. Que mon mari soit présent à chaque rendez-vous chez la gynécologue, au stage de préparation à l’accouchement et qu’il prenne une part du congé parental n’était pas seulement une évidence pour nous, c’était aussi une possibilité. En effet, la flexibilité de notre employeur lui permettait de m’accompagner lors de mes rendez-vous de suivi mensuels. Par ailleurs, le stage de préparation à l’accouchement avait lieu le week-end et le système allemand permet aux parents de se répartir 11 mois (sur 14) du congé parental comme iels le souhaitent (les 3 premiers mois étant réservés à la personne ayant accouché). Même si j’étais celle qui portait notre enfant, cette grossesse était la nôtre et même si ce serait à moi d’accoucher, l’accompagnement de mon mari serait crucial le jour J.

Malgré tout, c’est moi qui me suis informée sur la grossesse, les différentes manières de se préparer à l’accouchement et tout ce qu’il nous faudrait pour accueillir, vêtir, nourrir, etc., notre bébé. Très rapidement, je me suis sentie entièrement responsable de tout cela et comme je bénéficiais de 6 semaines de congé prénatal, j’étais également davantage disponible pour m’informer, gérer l’aspect pratique, prendre mes marques. Même si j’en informais mon mari qui prenait des initiatives et gérait un tas de choses de A à Z de son côté, contrairement à moi, il n’a pas eu de temps véritablement dédié aux préparatifs de l’arrivée de notre enfant.

Au-delà de ce manque de temps, il faut reconnaître que l’exclusion de l’autre parent et des pères en particulier des discours sur la parentalité ne font que renforcer l’idée selon laquelle les mères sont, par défaut, les responsables principales du bien-être, de l’alimentation, de l’habillement, des divertissements, des soins, etc., des jeunes enfants. Ainsi, le père serait là pour aider la mère – à condition d’être guidé par cette dernière à qui incombe une double charge mentale : celle d’acquérir les connaissances et les compétences nécessaires pour prendre soin de leur(s) nourrisson(s) puis celle de les transmettre à son conjoint. À cette charge s’ajoute le poids de la culpabilité des mères qui — ayant internalisé l’idée selon laquelle elles sont entièrement responsables du bien-être de leur progéniture — prennent tout sur elles au moindre souci. Dans mon entourage, nombre de mamans m’ont confié se sentir coupables de ne pas avoir vu/senti que leur enfant avait un problème ou de ne pas avoir pris une décision adaptée ses besoins… comme si cette charge-là reposait entièrement sur leurs épaules.

Pour dédouaner les pères de leurs responsabilités, on entend souvent qu’ils sont « fatigués » après une journée de travail. Mais qu’en est-il des mères en congé parental qui ont passé la leur à prendre soin d’un petit être complètement dépendant d’elles, en plus d’assurer diverses tâches domestiques, malgré une privation de sommeil souvent importante ? Les mères aussi sont épuisées, physiquement et émotionnellement, et remplissent une variété de tâches que d’autres effectuent dans le cadre d’emplois rémunérés (la dévalorisation du travail non rémunéré est un vrai sujet, mais je digresse !). « L’instinct maternel » est un autre mythe qu’on peine à défaire et qui renforce l’idée selon laquelle les femmes auraient, contrairement aux hommes, des capacités innées pour s’occuper de leurs enfants. Le capitalisme patriarcal a encore de beaux jours devant lui…

Sous-estimer le rôle des pères dans la parentalité ainsi que la charge mentale, émotionnelle et de travail reposant sur les mères peut avoir des conséquences non-négligeables sur l’équilibre familial et la capacité des post-parturient·es à bénéficier du repos dont elles peuvent avoir besoin après leur accouchement et bien au-delà. C’est pourquoi il me semble indispensable de parler de parentalité comme d’une responsabilité entièrement partagée par les deux parents, de donner aux pères les clés et la confiance dont ils peuvent manquer pour jouer pleinement leur rôle et de cesser de prêter aux mères des qualités intrinsèques qui ne font qu’augmenter leur charge maternelle et renforcer les inégalités de genre.

Et si les parents avaient la possibilité de prendre un congé parental équitable ?

Concrètement, durant le post-partum, les conjoint·es ne peuvent être aussi impliqué·es que les post-parturient·es, à moins de bénéficier d’un congé parental de plus de quelques jours ou semaines. La parentalité est un apprentissage de tous les jours et de tous les instants ­­— on se familiarise avec son enfant au fil des pleurs, des changes, des câlins, des tétées/biberons, etc., et l’on parvient à déchiffrer ses signaux à force d’observation, de patience et d’essais. Comment celleux qui doivent reprendre le travail au bout de si peu de temps peuvent-iels prendre pleinement conscience de leur rôle de parent et pleinement confiance pour faire leur part ? Comment les deux membres d’un couple peuvent-iels instaurer un nouvel équilibre, répartir les tâches de manière équitable et se soutenir mutuellement si l’un·e d’entre elleux doit travailler durant une période où les post-parturient·es sont particulièrement vulnérables – et leur bébé aussi ?

L’idée n’est pas d’imposer à toustes de prendre un congé parental de X mois mais d’offrir aux deux parents la possibilité de bénéficier d’un nombre de mois minimum équivalent. Par exemple, en Allemagne, la personne ayant accouché doit obligatoirement prendre 8 semaines de congé maternité après la naissance de son bébé. Le congé parental offre ensuite aux deux parents la possibilité de se répartir les 12 mois suivants comme iels le souhaitent. Lorsque le congé n’est pas réparti entre elleux, la mère bénéficie d’un maximum de 10 mois de congé parental, en plus des 8 semaines de congé maternité. Les 2 mois supplémentaires reviennent donc d’office au second parent. Dans la plupart des cas, la mère prend la plus longue part du congé alors que l’autre parent profite des 2 mois qui lui sont réservés durant le post-partum, offrant ainsi aux deux parents 2 mois complets ensemble, auprès de leur enfant. Parfois, les parents prennent 6 mois chacun simultanément ou séparément. Plus rarement, la personne ayant accouché reprend le travail au bout de 2 mois tandis que l’autre parent s’occupe de leur(s) enfant(s) à temps plein pendant les 10 mois suivants. Bien que ce système ne soit pas sans imperfections, il a l’avantage d’offrir aux couples la possibilité de choisir la répartition du congé parental et d’être ensemble durant les premiers mois du post-partum.

Et si l’on faisait partie d’un village ?

J’ai longtemps cru qu’on disait qu’ « il faut tout un village pour élever un·e enfant » uniquement dans l’intérêt des petit·es. En effet, je pensais que ce proverbe [2] mettait surtout en lumière l’importance pour les enfants d’être entouré·es de personnes de générations différentes, aux personnalités, passions et points de vue variés, afin d’élargir leurs horizons et d’enrichir leur parcours éducatif. Ce n’est qu’une fois devenue maman que j’y ai vu un autre sens : l’intérêt de ce village est aussi dans celui des parents, non seulement durant le post-partum, mais également bien au-delà.

Je viens d’une famille indienne où il est tout à fait normal que plusieurs générations vivent sous le même toit et/ou à proximité les un·es des autres. J’ai moi-même passé les premières années de ma vie dans le même foyer que ma maman, mes grands-parents maternels, mon oncle, ma tante, mon cousin et ma cousine (toustes deux déjà adultes à ma naissance) et même une fois que ma maman eut déménagé, j’ai continué à passer énormément de temps avec le reste de ma famille les week-ends, les mercredis, en vacances, etc. Il ne fait aucun doute que pour ma maman qui traversait une période extrêmement éprouvante et avait des soucis considérables, pouvoir se reposer au quotidien sur ses proches les jours, semaines, mois et années suivants ma naissance lui a été salvateur. Ainsi entourée, elle n’avait pas besoin de se préoccuper de certains aspects du quotidien et pouvait ainsi se reconstruire certainement un peu plus vite et facilement que si elle n’avait pas eu à sa portée d’autres paires de bras pour s’occuper de moi.

Sans aller jusqu’à habiter sous le même toit que ses proches – je conçois que ce mode de cohabitation soit inenvisageable pour bien des raisons – il me semble indispensable de vivre à proximité d’une diversité de personnes sur qui l’on peut compter à la naissance de ses enfants. Il peut s’agir de membres de sa famille, mais pas uniquement : notre village peut être constitué d’ami·es, de voisin·es mais également de collègues et connaissances qui reconnaissent l’importance d’entourer les jeunes parents, et ce indépendamment des liens les unissant à elleux. En effet, je crois qu’on peut tout à fait faire preuve d’entraide et de générosité envers des personnes dont on n’est pas forcément proches : apporter son soutien, quelle qu’en soit la forme, à des personnes vulnérables, demande juste un peu de bon sens et d’empathie.

Idéalement, dans les mois suivant la naissance de leur(s) enfant(s), les jeunes parents devraient être entouré·es de personnes à même de prendre des initiatives pour les soulager dans leurs tâches ménagères, s’occuper physiquement de leur(s) enfant(s) ou tout simplement prendre régulièrement de leurs nouvelles. Soit des personnes de confiance, à l’écoute et désireuses d’alléger et d’apaiser la vie des jeunes parents.

Or, nous vivons dans des sociétés et à une époque où il est de moins en moins commun de vivre dans la même ville, la même région, voire le même pays que sa famille et où il n’est pas toujours évident de tisser des liens avec ses voisin·es ni courant d’aller proposer ni demander de l’aide à des personnes dont on n’est pas particulièrement proches. L’évolution des modes d’habitations, plus individualistes que collectifs, nécessite la réinvention de structures permettant la création de villages de formes différentes. Ce processus passe également par une évolution des mentalités afin que chacun·e se sente concerné·e par le bien-être des parents de leur entourage.

Photo by Vonecia Carswell on Unsplash

Et s’il y avait plus d’écoute, moins de conseils malvenus, de jugements et de questionnements ?

Bien souvent, quand j’évoquais mes difficultés, mes interlocuteurs.trices – qui n’étaient pas des professionnel.les de la santé ou de la petite enfance – se retrouvaient à tirer des conclusions sur ma situation et à me faire part de conseils non sollicités et peu avisés. Je déplore qu’on mette souvent le mal être des post-parturient·es sur le dos des hormones, empêchant ainsi toute remise en question des manquements de diverses structures sociales. Je veux bien croire que les changements hormonaux puissent fragiliser les post-parturient·es à bien des niveaux mais s’il n’y avait que ça, les plaies du post-partum ne seraient pas si nombreuses, douloureuses et profondes. Cessons donc de suggérer aux nouvelles mères en larmes que tout ira mieux une fois l’équilibre hormonal rétabli, essayons plutôt d’identifier les autres causes possibles de leur mal-être.

J’ai par ailleurs perdu le compte du nombre de fois où l’on a accusé l’allaitement de perturber le sommeil et l’alimentation de notre enfant : « Le lait maternel ne lui suffit pas » ; « Elle ne tète pas beaucoup, dis donc ! », « Tu devrais lui donner un biberon de lait infantile avant de la coucher pour mieux la caler » ; « Tu devrais arrêter de l’allaiter si tu veux qu’elle mange autre chose »… Autant d’avis malvenus que j’ai su rejeter sans pour autant garder confiance en ma capacité de prendre soin de de notre enfant. À force de voir mes choix parentaux questionnés et critiqués – de l’allaitement à l’habillement en passant par le sommeil et les activités – j’étais dans un état de remise en question quasi-permanent. Quand on est au bord du gouffre et que rien n’est fait dans la société pour soutenir les mères, reconnaître et valoriser leurs accomplissements, ces jugements ne font que remuer le couteau dans la plaie béante du post-partum.

Ainsi, j’ai compris assez tôt qu’il valait mieux – dans certains contextes et auprès de certaines personnes – taire mes difficultés plutôt que de m’exposer à des conclusions hâtives ou des critiques à des moments où j’aurais surtout eu besoin d’écoute, d’empathie et, éventuellement, d’être redirigée vers des professionnel·les à même d’évaluer nos difficultés, nos besoins et les solutions adaptées à notre situation. Pour moi qui suis habituée à parler ouvertement de mes maux et incapable de prétendre que tout va bien quand ce n’est pas le cas, être dans la retenue a été extrêmement éprouvant et n’a bien évidemment pas diminué mon mal-être.

Au-delà des jugements sur nos faits et gestes, je trouvais pesant d’être sans cesse questionnée sur l’évolution de notre enfant : « Elle marche ? », « Elle ne marche pas encore ? », « Elle mange mieux ? », « Elle ne mange toujours pas ? », « Elle fait ses nuits ? », « Elle ne fait toujours pas ses nuits ? », « Elle fait bien ses siestes ? »… Tant de questions me donnant l’impression d’être évaluée et de ne pas être à la hauteur à chaque fois que je répondais « Non ». J’aimais quand on me demandait simplement « Comment tu vas ? », « Comment va votre bébé ? », « Comment se passe votre quotidien ces temps-ci ? », « Qu’aime faire votre bébé en ce moment ? »… Des questions ouvertes qui me permettaient de livrer ce que j’avais à cœur de partager à l’instant, sans m’obliger à faire un compte-rendu détaillé sur la motricité, l’alimentation et le sommeil de notre bébé certains jours.

Ma sensibilité particulièrement accrue par la fatigue et mon profond mal-être tout au long de mon post-partum ont rendu certaines interactions sociales particulièrement éreintantes, m’obligeant à m’isoler à des moments où, au contraire, je n’aurais pu tenir debout sans le soutien d’autres êtres humains. Fort heureusement, l’écoute, l’empathie et la bienveillance de quelque-un·es de mes proches m’ont permis de tenir le coup.

Et si l’on déshéroïsait et l’on humanisait les mères ?

« Femmes fortes », « Femmes courageuses », « Superwomen », « Wonderwomen », « Reines », « Déesses », « Magiciennes »… Les expressions à caractère héroïque pour décrire les femmes de manière générale et les mères en particulier sont nombreuses ; elles sont utilisées couramment pour applaudir leurs exploits et l’efficacité avec laquelle elles jonglent entre charge mentale, charge morale, charge émotionnelle, charge parentale, charge éducative, charge domestique, charge professionnelle… sans jamais flancher.

J’ai commencé à questionner cette héroïsation des mères assez tôt dans ma maternité où, bien souvent, après avoir évoqué mes difficultés, on me renvoyait à cette image de femme et mère dotée de qualités et pouvoirs extraordinaires innés pour faire face à tout ça : « C’est extrêmement éprouvant et douloureux ce que tu vis, mais regarde comme tu es forte ! ». Mais avons-nous seulement d’autre choix que de résister face à un petit être dont le bien-être dépend de nous ? Et que dit ce genre d’étiquette faisant guise de compliment à propos des mères qui flanchent, des mères qui s’effondrent, des mères qui mettent fin à leurs jours ? Y aurait-il donc des mères « fortes » et des mères « faibles » ? Des mères « courageuses » et des mères « lâches » ? Des mères à couronner et d’autres à détrôner ?Personnellement, si je suis restée au bord du gouffre sans jamais y sombrer et que j’ai fini par trouver la sortie du tunnel du post-partum, ce n’est pas grâce à quelconque qualité héroïque mais plutôt grâce à certains de mes privilèges. En effet, j’ai plongé dans la maternité avec une bonne santé physique et mentale, je suis en couple avec une personne avec qui je me sens bien et en sécurité, j’ai des proches – amies et famille – à qui je peux me confier et qui peuvent m’apporter leur soutien, j’ai une situation de vie confortable et je n’avais aucune autre préoccupation durant mon post-partum. Toutes les mères ne bénéficiant pas de ces privilèges, certaines tombent forcément plus bas que d’autres mais cela ne dit rien de leur force ni de leur courage.

J’avais évoqué ce sujet avec Cécile Doherty-Bigara, suite à la publication de son livre Nouvelle Mère dans lequel elle décrit les mères comme des « Reines » et je lui avais posé la (longue) question suivante : « Dans le chapitre « La fierté d’être une nouvelle mère » tu expliques que les mamans sont des « reines » et qu’elles devraient être « vénérées ». Personnellement, je dois t’avouer que je n’ai pas envie qu’on me considère comme une reine ni qu’on me vénère, et ceci pour deux raisons. La première, c’est qu’en mettant les mamans sur un piédestal, j’ai l’impression que l’on crée une hiérarchie entre les femmes qui ont des enfants et celles qui n’en ont pas. La seconde, c’est qu’en élevant les mères au statut de « reine » […], j’ai l’impression qu’on participe à la minimisation/dissimulation de leurs souffrances et qu’on laisse croire que malgré leurs difficultés, elles s’en sortent très bien. Or, ailleurs dans ton livre, ton message me semble plutôt clair : les mères ont besoin d’être soutenues et le second parent a besoin de jouer son rôle à part égale. Pourtant, en les identifiant à des « reines », n’est-on pas en train de dire que du fait de leur statut de mères, elles sont déjà équipées pour faire face aux difficultés de la parentalité qui sont elles-mêmes exacerbées par les failles d’une société capitaliste et patriarcale ? Et mettre les mères sur un piédestal ne participerait-il pas à renforcer (voire justifier) la hiérarchie des rôles dans le couple hétérosexuel où, bien souvent, le père joue un « second rôle » ? ». (Je vous invite vivement à lire sa réponse très éclairante dans l’article que j’ai consacré à son livre Nouvelle Mère).

Pour conclure, sans dénigrer ni nier l’étendue du travail des mères et leurs accomplissements au quotidien, il me semble essentiel de reconnaître à quel prix elles parviennent à se soucier des repas de leurs bébés, de leur garde-robe, de leur hygiène, de leur sommeil, de leur développement affectif, moteur, social, etc., en plus de tout ce qu’elles font chaque jour pour maintenir leur vie de couple, familiale, domestique, professionnelle, etc., à flot. Rien de tout cela ne se fait grâce à quelconque pouvoir surnaturel, formule divinatoire ou coup de baguette magique. Tout cela s’accomplit au prix de notre énergie (limitée), de notre temps (24h par jour, comme tout un chacun), de compromis (pour ne pas dire sacrifices) et de notre santé mentale et physique. Les mères sont des humaines comme les autres. Il serait donc temps qu’on les traite comme telles et qu’on cesse de normaliser, voire naturaliser l’ampleur de leur investissement dans la parentalité. Elles ne se tuent pas à la tâche parce qu’elles sont faites pour ça mais parce qu’elles n’ont pas le choix.

Photo by Sydney Sims on Unsplash

[1] J’ai fait de mon mieux pour inclure les personnes non-binaires et les hommes transgenres lorsque je fais référence aux personnes enceintes et ayant accouché. Je parle toutefois des « mères » quand je fais référence à des injonctions qui pèsent précisément sur les femmes.  

[2] J’ai cherché, en vain, les origines exactes de ce proverbe parce que « africain », c’est si vague et réducteur. Si vous avez des informations à ce sujet, ça m’intéresse.


Pour aller plus loin :

Quelles ont été les difficultés principales de votre/vos post-partum ? Qu’est-ce qui a facilité votre/vos post-partum ? Qu’est-ce qui vous aurait permis de mieux vivre cette étape de votre parentalité ?
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