Site icon Échos verts

Mes petits pas et bonheurs verts du mois #36

Je m’étais dit qu’une fois mon congé parental terminé, que notre enfant serait à la crèche, que j’aurais retrouvé des créneaux de plusieurs heures d’affilée pour travailler, que mon livre serait sorti en librairie, je m’étais dit que je pourrais alors enfin, après une année particulièrement éprouvante, retrouver un rythme quotidien un peu plus équilibré, le plaisir de travailler sans pression, du temps pour me ressourcer et une certaine sérénité.

J’ai repris le travail le 18 février et entre une enfant malade, la préparation des cours, les mauvaises surprises de la reprise, le lancement de mon livre à Paris, les préparatifs qui ont précédé l’événement et l’angoisse grandissante autour de la pandémie, les semaines précédant le confinement ont été particulièrement tendues. Mais je tenais bon, pensant qu’à mon retour de Paris, le 14 mars, tout serait plus calme, plus simple, plus équilibré…

J’ai pendant plusieurs semaines suivi l’évolution de la pandémie sans pour autant me sentir concernée ni préoccupée. Pourtant, dès la mi-février, mon mari me demandait si mon éditeur avait envisagé l’annulation des événements prévus à Paris les 11 et 12 mars pour le lancement de mon livre. Et plus la date du lancement approchait, plus il appréhendait l’idée de nous rendre dans la capitale avec nos mamans frôlant les soixante-dix ans et/ou ayant des problèmes pulmonaires. Nous sommes finalement parti·es à Paris comme prévu et nos mamans aussi… J. n’était pas très serein alors que moi j’étais encore dans le déni – je n’avais qu’une chose en tête : pouvoir célébrer comme il se devait la sortie de mon livre, fruit d’un travail de longue haleine ! Ce n’est qu’une fois sur place, alors que certain·es évitaient de se faire la bise et que d’autres annulaient leur venue à La Recyclerie et ou au Comptoir des Lettres que j’ai commencé à prendre conscience que nous étions tou·tes au cœur de la pandémie…

De retour à Freiburg le 14 mars, nous nous sommes toustes les deux retrouvé·es surbmergé·es par le travail à gérer avec un bébé à nos côtés. Les deux semaines qui ont suivi furent particulièrement stressantes. J. devant faire face à un tas d’urgences travaillait presque sans répit et moi je travaillais dès que notre enfant dormait ou que J. pouvait se permettre de faire une pause… Nous étions toustes les deux exténué·es et tellement accaparé·es par les urgences de notre quotidien que j’ai mis du temps avant de me tourner vers l’extérieur et de prendre réellement conscience de la gravité de la situation.

Dans ma tête, tout a basculé la semaine dernière, dans la nuit de vendredi à samedi. Je me suis allongée dans notre lit, aux côtés de notre fille et j’ai été prise d’une quinte de toux – celle-ci fut l’élément déclencheur d’une série de scénarios catastrophistes aussi insoutenables que réalistes qui habitent mon esprit depuis… Les yeux grands ouverts, le ventre noué, la gorge serrée, je contemplais avec stupeur la noirceur de la nuit qui m’enveloppait, du présent qui m’oppressait et de l’avenir que je m’étais imaginé. Durant cette nuit quasi blanche, les réveils de notre enfant, qui me tirent douloureusement de mon sommeil habituellement, furent, l’espace de quelques secondes, une source de réconfort, un point d’ancrage en terre connue.

Mais pendant qu’elle tétait, apaisée, les yeux clos, l’oreille de son doudou glissant entre ses doigts, moi je pensais aux personnes vulnérables qui seraient davantage fragilisées par ce confinement. Je pensais à ces enfants maltraité·es et ces femmes victimes de violences conjugales, désormais confiné·es 24 h/24 entre les mains de leurs bourreaux. Je pensais aux personnes confinées dans un espace restreint et/ou insalubre. Je pensais aux personnes pauvres n’ayant plus aucune source de revenus en cette période. Je pensais aux personnes dépendantes, pour leur survie, du soutien moral et matériel d’associations dont les services sont suspendus. Je pensais aux personnes souffrant de solitude, de dépression, de maladies graves.

Je pensais aux personnes continuant de quitter leur domicile pour travailler. Pour assister, soigner, sauver, sécuriser, réparer, nourrir, transporter, nettoyer, ravitailler. Je pensais à ces personnes dont le travail n’est pas considéré comme étant essentiel en cette période, mais qui doivent, contre leur gré, continuer de se rendre sur leur lieu de travail.

Je pensais aux miens. À ma maman et à ses poumons fragiles, à ma cousine propriétaire d’un restaurant, à ma cousine dont le mari vit dans un EHPAD, à ma cousine dont la grossesse arrive à terme ce mois-ci.

Je pensais au fossé des inégalités qui se creuse un peu plus chaque jour, aux souffrances exacerbées, aux peines naissantes, aux ravages que cause la pandémie sur son passage. Je pensais à l’après et je réalisai alors que rien – absolument rien – ne serait jamais plus comme avant. Pour personne. Il y aura celleux qui se relèveront plus fort·es, plus engagé·es, plus solidaires. Il y aura celleux qui seront déboussolé·es, fragilisé·es, vidé·es, esseulé·es, endeuillé·es, essoufflé·es. Il y aura la vie avant et la vie après COVID-19. Il y aura la vie avant et la vie après le confinement.

Depuis cette nuit-là, mon moral est en oscillation permanente.

Alors que les deux semaines précédentes, je me sentais trop submergée par mes impératifs professionnels et personnels pour me soucier d’autre chose que de mon équilibre et ma santé mentale, aujourd’hui je me préoccupe aussi et surtout de la société post-confinement… D’innombrables questions se bousculent dans ma tête, certaines trouvant des réponses dans les scénarios – tantôt utopiques tantôt dystopiques – qui animent parfois mon esprit. Heureusement, ce dernier est, le plus souvent, accaparé par le travail, les tâches domestiques ou ma fille. Alors que les deux semaines précédentes, j’enviais celleux qui n’avaient ni impératifs professionnels ni impératifs familiaux en cette période, aujourd’hui je réalise que même si je vis assez mal le rythme effréné qui caractérise mon quotidien de prof et maman confinée, il est certainement préférable que mon esprit soit ainsi accaparé…

Dans tous les cas, quelle que soit notre situation personnelle, force est de constater que le confinement n’est évident pour personne. Même si certain·es d’entre nous sommes davantage sous pression et/ou plus vulnérables que d’autres, nous avons toustes notre lot d’angoisses, de stress et/ou de préoccupations, pour le présent et/ou l’avenir… J’espère donc que quelle que soit votre situation personnelle, vous vous sentez suffisamment bien entouré·es – physiquement ou virtuellement – et que vous avez en vous et autour de vous une ou plusieurs sources d’espoir, de réconfort et d’apaisement.

Pour me préserver, autant que faire se peut, j’ai personnellement décidé de me couper des réseaux sociaux dès la mi-mars. D’une part parce que je ne sais plus du tout quoi publier. Je manque d’inspiration pour parler des sujets qui me passionnent habituellement et je n’ai pas envie de vous embêter avec mes réflexions personnelles. Et d’autre part parce que l’afflux de publications, stories et live « spécial confinement » et/ou débordant d’émotions négatives n’arrangeaient en rien mon moral. Paradoxalement, je ressens plus que jamais le besoin d’écrire et d’être en relation avec d’autres personnes engagées, de savoir comment chacun·e vit cette période et appréhende la suite ; c’est pourquoi que je suis heureuse de pouvoir continuer d’échanger avec certaines d’entre vous sur Tipeee. J’aimerais avoir davantage de temps pour écrire par ici, mais je suis actuellement obligée de consacrer les 2 ou 3 heures que j’ai pour travailler dans la journée à mon post de professeure. La reprise des activités normales du blog devra donc se faire attendre un peu. En tout cas, sachez que je n’ai pas perdu l’envie d’écrire – bien au contraire – et que j’attends impatiemment de vous retrouver de manière plus régulière et d’échanger avec vous sur une diversité de sujets…

En attendant, j’avais à cœur de partager avec vous mes petits pas et bonheurs verts des trois derniers mois. Prendre le temps de repenser au meilleur de l’avant-confinement et même de ce début de confinement m’a fait du bien et m’a aidée à me rappeler que de jours meilleurs reviendront – forcément.

En janvier…

En février…

En mars…

Comment allez-vous en ce moment ? Quels ont été vos petits pas et bonheurs verts des derniers mois ?
Quitter la version mobile