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Enfance et véganisme : nos priorités et nos compromis

En tant que parents, nous faisons pour nos enfants de nombreux choix au quotidien, mais certains s’imposent de manière tellement inconsciente qu’ils n’apparaissent pas comme tels. Pourtant, quand nous mettons de la chair animale dans leur assiette, nous choisissons pour nos enfants un régime omnivore. Quand nous ne leur lisons que des albums avec des personnages blancs, valides, cis, hétéro, etc., nous choisissons de leur montrer un monde sans minorités. Quand nous lui mettons une robe, nous choisissons pour notre nouvelle-née une tenue genrée. Consciemment ou pas, à travers chacun de nos choix, aussi banals puissent-ils sembler, nous façonnons la vision du monde et d’elleux-mêmes de nos enfants et, surtout, nous leur transmettons des valeurs particulières. 

Choisir l’alimentation de notre enfant

Quand je suis tombée enceinte, j’étais végane depuis 4 ans et mon mari végétarien depuis environ 2 ans. Nous nous sommes alors posé une question qui ne nous aurait certainement pas traversé l’esprit 5 ou 6 ans plus tôt : notre bébé serait-iel végétalien·nne, végétarien·ne ou omnivore ? Végane et responsable des repas à la maison, la réponse aurait pu être évidente. Pourtant, dans un foyer pas totalement végane – mon mari consommant du fromage au lait animal – et dans une société globalement pas vegan-friendly où le véganisme est un mode de vie hors-norme, la réponse n’était pas aussi simple que cela. Sachant qu’à partir d’un an, notre enfant serait en crèche et que, plus tard, elle serait certainement amenée à partager des goûters et des repas – sans nous – chez ses ami·es et nos familles aux régimes omnivore ou végétarien, nous nous sommes posé beaucoup de questions d’ordre pratique. 

Il faut dire qu’il existe une grande différence entre un·e adulte végétalien·ne ou végétarien·ne qui choisit ce régime alimentaire volontairement et qui a la capacité de contrôler le contenu de son assiette et un·e bébé/un·e jeune enfant qui dépend entièrement des adultes autour d’ellui pour être nourri.e. Si nous décidions que notre enfant serait végétalienne, comment pourrions-nous gérer ce choix pour elle dans des contextes et structures de garde qui ne proposeraient pas d’alternatives adaptées ? Et puis mon mari étant végétarien, serait-il justifié de refuser à notre enfant un morceau de fromage au moment où son papa en mangerait ?

Ni pureté ni perfection chez nous

Finalement, ces questions d’ordre pratique nous ont permis d’identifier ce qui nous importait le plus pour notre enfant : non pas de faire d’elle une « pure » végétarienne/végétalienne de naissance mais plutôt de lui offrir une alimentation la plus végétale possible tout en la sensibilisant, dès son plus jeune âge, aux raisons pour lesquelles nous sommes végane/végétarien. L’essentiel était qu’elle mange sciemment, contrairement à nous qui avions grandi avec beaucoup d’idées reçues sur l’alimentation de manière générale et sur la production et le rôle des produits d’origine animale en particulier. De la même manière que nous souhaitions la sensibiliser à l’intérêt des ingrédients locaux et des fruits et légumes de saison, nous voulions qu’elle sache que derrière chaque morceau de viande, chaque goutte de lait, chaque œuf, chaque cuillère de miel, chaque pull en laine, chaque chaussure en cuir, etc., des animaux étaient exploités et, le plus souvent, maltraités jusqu’à leur mort précoce. Ainsi, elle aurait à sa portée les connaissances nécessaires pour faire ses propres choix, en connaissance de cause, quand elle en aurait la capacité et la volonté. 

L’alimentation de notre enfant 

Notamment grâce aux livres Bébé Veggie d’Ophélie Véron et Nourrir son enfant autrement de Sandrine Costantino [1], j’ai pu développer mes connaissances en nutrition afin de proposer à notre fille une alimentation végétale équilibrée pouvant répondre à tous ses besoins nutritionnels dès le début de sa diversification alimentaire et au-delà [2]. Étant en congé parental durant sa première année, je l’ai allaitée jusqu’à ses 22 mois et je lui ai préparé tous ses repas. Notre enfant a donc eu une alimentation exclusivement végétalienne jusqu’à son entrée en crèche où lui ont alors été proposés un petit déjeuner, un déjeuner et un goûter végétariens à tendance végétale. Petit à petit, à la maison, elle a commencé à réclamer du fromage quand son papa en mangeait avec des pâtes ou en fin de repas. Depuis qu’elle a rejoint l’école maternelle, nous lui préparons des en-cas végétaliens, pour ses goûters du matin et de l’après-midi, et la cantine lui propose un repas végétarien à tendance végétale à midi. Dans nos familles, elle partage avec nous notre plat végétalien et mange occasionnellement certains des goûters et desserts végétariens qui lui sont proposés. Quand nous ne sommes pas là, nos familles lui préparent des plats et en-cas végétariens ou végétaliens. Globalement, je dirais qu’elle mange 95 % végétalien à la maison, 75 % végétalien à l’extérieur et végétarien le reste du temps. Aujourd’hui, à 5 ans, notre enfant qui se décrit comme végétarienne n’a jamais mangé de chair animale et n’en a jamais réclamé. Bien au contraire, elle exprime un dégoût assez profond à la vue de chair animale et ne supporte pas son odeur ! 

Sensibiliser notre enfant à la cause animale

Je pense que c’est à partir du moment où elle est entrée en crèche, à l’âge d’un an, qu’elle a réalisé que notre alimentation était différente de la majorité des gens autour de nous et dès lors, elle a commencé à nous poser des questions pour comprendre nos choix ainsi que les différences entre végétarisme, végétalisme et véganisme. Ne souhaitant bien évidemment pas lui raconter en détail l’horreur des élevages intensifs et des abattoirs, je mets l’emphase sur les besoins et sensibilités spécifiques des différents animaux en lui disant simplement que ceux qui sont élevés pour être mangés le sont dans des conditions ne leur permettant pas de se mouvoir, de socialiser, de s’occuper de leurs bébés, de se nourrir, de dormir, etc., comme ils le devraient, leur causant beaucoup de souffrances. Nous lui expliquons également que les élevages d’animaux polluent, nuisent à la biodiversité et contribuent au réchauffement climatique. Nous choisissons des mots et des exemples à sa portée et veillons à lui expliquer les faits sans chercher à la choquer mais sans lui cacher la réalité non plus afin qu’elle comprenne pourquoi le véganisme et le végétarisme sont des engagements qui nous tiennent à cœur.

Depuis sa naissance, nous la sensibilisons également à l’importance de respecter toute forme de vie autour d’elle, les plantes comme les animaux. De même que nous n’arrachons pas de fleurs, nous avons toujours réagi avec curiosité et fascination (plutôt que peur et dégoût) face aux insectes, aux araignées, aux vers, aux limaces, etc., que nous pouvons croiser dans notre quotidien. Ainsi, elle sait que ces petites bêtes inoffensives ont le droit d’être là où elles sont et qu’elles méritent notre protection. Cela ne l’empêche bien évidemment pas d’être effrayée face à certains animaux, mais les mots qu’elle emploie pour en parler en disent long sur la considération qu’elle a pour eux.  Un jour, par exemple, elle est arrivée en courant dans la cuisine en me disant « Maman, il y a quelqu’un dans ma chambre ! » … Heureusement, j’ai assez vite réalisé grâce à sa description que le « quelqu’un » en question n’était autre qu’un insecte volant ! Et s’il nous arrive d’écraser un petit être vivant par mégarde, elle réagit avec beaucoup de tristesse. Ces exemples sont la preuve que pour elle, les animaux non-humains sont des êtres sensibles et non pas des objets. 

Transmettre des valeurs, pas juste des habitudes

Au début de mon véganisme, il m’aurait certainement été très difficile d’envisager que mon enfant puisse consommer des produits d’origine animale, même en quantité minime, mais dix ans plus tard, ma vision du véganisme a évolué. Bien que mes convictions et mon mode de vie personnels restent inchangés, l’expérience m’a appris que seuls les changements et habitudes ancrés dans des valeurs et convictions profondes peuvent perdurer. Ainsi, ce n’est pas parce qu’on n’a jamais consommé de produit d’origine animale ou de chair animale qu’on devient forcément antispéciste. Être végétalien·ne par goût, habitude ou obligation est une chose, mais l’être pour des raisons d’ordre moral en est une autre. Bien évidemment, dans les deux cas, des animaux sont épargnés et c’est là le plus important. En revanche, une personne qui évite de se nourrir de produits d’origine animale sans conviction morale n’aura pas forcément à cœur de lutter contre l’exploitation animale au-delà de son assiette. Car n’oublions pas qu’en tant que véganes et antispécistes, nous nous opposons à l’exploitation des animaux dans tous les domaines : industries textiles (cuir, laine, soie, fourrure), divertissements (zoos et autres parcs animaliers, équitation, chasse, etc.), cosmétiques (lait animal, produits de la ruche, huiles et graisses animale, etc.), science (essais toxicologiques, utilisations expérimentales, etc.), etc. 

On ne naît pas antispéciste, on le devient

Élever un·e enfant végane dans une société spéciste nécessite une disponibilité et une énergie considérables et cela est d’autant plus complexe quand seul·e l’un·e des parents est végane, quand les deux travaillent à temps plein, quand nous avons des engagements bénévoles et tout le quotidien à gérer, sans soutien aucun. Or, si nous avions voulu que notre enfant ne porte jamais d’aliment d’origine animale à la bouche, il nous aurait fallu refuser certaines invitations de ses ami·es, lui préparer tous ses repas pour la crèche et la cantine ou encore cuisiner toute sa nourriture avant de la confier à nos familles – ou ne pas la leur confier du tout –, etc… Toutes ces tâches alourdiraient énormément ma charge domestique, mentale et émotionnelle et ne serait absolument pas durable dans notre situation. Même si je préfèrerais pouvoir offrir un mode de vie végane à notre enfant, j’estime faire de mon mieux, compte tenu de mes circonstances personnelles et des barrières sociétales, pour lui offrir une alimentation la plus végétale possible dans une société spéciste.

Alors non, notre enfant n’est pas végane mais pour moi, le véganisme est plus qu’un mode de vie : il s’agit d’un engagement et d’un positionnement éthiques qui doivent s’affirmer en pleine conscience. C’est pourquoi, en tant que parents végane/végétarien, nous nous efforçons de la sensibiliser aux problèmes sociaux, sanitaires, écologiques, etc., découlant des différentes formes d’exploitation animale et de lui offrir toutes les alternatives végétales et véganes à notre portée. En lui montrant à la fois l’importance de la cause animale et la possibilité de vivre pleinement sans exploiter d’animaux, nous faisons notre maximum au quotidien pour lui transmettre des valeurs antispécistes et lui donner envie de les incarner pleinement – un choix qui ne peut nous appartenir…


[1] La nouvelle édition de ce livre se trouve sous le titre La bible de l’alimentation de l’enfant et du bébé veggie.

[2] Je précise par ailleurs que le pédiatre de notre enfant étant informé de son régime alimentaire, nous pouvons bénéficier de son avis médical en cas de besoin.  

Quels choix alimentaires avez-vous fait pour vos enfants ? Avez-vous dû faire des compromis ? Quels choix alimentaires ont fait vos enfants en grandissant ?
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