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Bijoux éthiques, yoga, divinités indiennes et appropriation culturelle

L’article du jour est un peu particulier. Je souhaite parler avec vous d’un cas d’appropriation culturelle par une marque de bijoux française qui se décrit comme étant engagée en proposant des collections fabriquées en France, avec des matériaux traçables et en reversant une partie de ses revenus à différentes associations. C’est une marque dont je possède quelques bijoux et que j’ai déjà mentionnée sur le blog et Instagram. En faisant un tour sur son site au début de l’été, je suis tombée sur une de ses nouvelles collections, décrite comme étant « inspirée du monde du yoga, de l’Inde et de ses divinités qui sont essentiels au quotidien d’X » et réalisée en collaboration avec une influenceuse blanche.

Particulièrement sensible à l’exploitation du yoga et, en particulier, de certains éléments des cultures de l’Inde dans les sociétés occidentales, j’ai ressenti énormément de colère à la découverte de cette collection. Afin de rester objective,  j’ai partagé une capture d’écran du site de la marque, avec la description ci-dessus ainsi qu’un aperçu des bijoux, et demandé à mes abonné·es ce que leur inspirait cette collection (la question était donc tout à fait neutre) : à l’exception d’une personne qui a répondu « Jolie », toutes les réponses se rejoignaient pour dire qu’il s’agissait là d’appropriation culturelle et d’une approche purement marketing (pas d’appréciation culturelle, donc). Je précise que la grande majorité de mes abonné·es n’ont aucun lien avec la culture indienne et sont blanc·hes – détail qui a son importance à une époque où l’on accuse les minorités et personnes racisées de manière défavorables de voir le mal partout !

Ces réponses ayant conforté la légitimité de ma colère, j’ai décidé d’envoyer le mail suivant à la marque pour lui dire ce que je pensais de cette collaboration :

Bonjour,

Cliente d’XX depuis quelques années, je consulte régulièrement votre site pour découvrir vos nouveautés.

L’une de vos dernières collections, issue d’une collaboration avec X, « inspirée du monde du yoga, de l’Inde et de ses divinités qui sont essentiels au quotidien d’X », pour reprendre les mots de votre site, est la raison qui me pousse à vous écrire aujourd’hui.

En tant que française d’origine indienne née à Grenoble, je suis témoin depuis mon plus jeune âge de la manière dont les personnes racisées de manière défavorable sont discriminées au quotidien en France, pendant que certains éléments de nos cultures sont exploités par des personnes blanches n’ayant aucun lien intime et direct avec elles.

Cette exploitation, le plus souvent présentée comme étant un moyen de « célébrer » notre culture ne fait, en réalité, qu’invisibiliser les personnes issues de ces cultures et détourner voire marchandiser leurs connaissances et leur savoir-faire pendant que d’autres en tirent des bénéfices (gain de popularité et/ou d’argent). C’est ce qu’on appelle l’appropriation culturelle – un phénomène qui touche en particulier les cultures et groupes ethniques victimes du colonialisme hier et bien souvent de néo-colonisation aujourd’hui.

Je ne sais pas grand-chose d’X, ni de sa pratique du yoga, ni de ses liens avec l’Inde et ses divinités mais comment peut-on se permettre d’exploiter le yoga, l’Inde et ses divinités dans la création d’une collection de bijoux lorsqu’on sait de quoi il en retourne ? Ni le yoga ni l’Inde ni ses divinités ne sont des objets marketing. Il s’agit-là d’une pratique ancestrale et spirituelle, d’un pays aux multiples facettes et cultures et d’objets de cultes.

Bien entendu, s’inspirer des symboles d’autres cultures que la nôtre n’est pas un mal en soi mais il me semble qu’il y a trois impératifs à cela pour éviter les écueils de l’appropriation culturelle au sein d’entreprises occidentales fondées par des personnes racisées de manière favorable :

1) Questionner la raison pour laquelle on souhaite exploiter, à des fins commerciales, les symboles de cultures minoritaires et de peuples racisés défavorablement

2) Si cette motivation s’inscrit au-delà d’une tendance ou d’un intérêt marketing, il convient de travailler main dans la main avec des personnes directement issues de ces cultures (la diaspora indienne compte plusieurs milliers de personnes à travers la France, dont des professeur·es de Yoga qualifié·es et expérimenté·es)

3) S’assurer qu’une partie des bénéfices des ventes des produits/services issus de ce type de collaboration revienne directement aux personnes issues de ces cultures.

Être une entreprise éthique ne devrait pas se limiter à s’assurer des bonnes conditions dans lesquelles sont produites, sourcées et transformées les matières premières. L’éthique implique le respect de tous·tes et une attention particulière au respect et soutien des personnes oppressées par la société capitaliste, patriarcale et néo-coloniale dans laquelle nous vivons.

Je vous remercie par avance de l’attention que vous porterez à mon message et espère qu’il fera l’objet d’une discussion au sein de votre équipe afin d’élargir et d’approfondir votre vision de l’entreprenariat éthique. Je serais en tout cas reconnaissante d’avoir un retour de votre part afin de connaître le positionnement d’X sur ce cas d’appropriation culturelle.

Bien cordialement,

N.T.


Sachez qu’à ce jour, ce mail envoyé le 26-06-22 est demeuré sans réponse. Peut-être aurais-je dû inclure l’influenceuse dans les destinataires du mail et l’envoyer depuis ma boîte mail pro (Échos verts) plutôt que ma boîte perso… Ceci étant dit, une marque véritablement soucieuse de son éthique qui dit vouloir servir ses client·es avec « l’excellence comme ambition » ne devrait pas avoir besoin de se sentir sous pression pour daigner répondre à un tel mail et se remettre en question.

Si je partage cette problématique avec vous aujourd’hui, c’est pour rappeler deux faits :

  1. Comme évoqué dans mon article « Une marque vraiment responsable, c’est quoi ? », l’éthique d’une marque ne se mesure pas seulement à ses lieux et méthodes d’approvisionnement et de production. Sa communication, son inclusivité et sa réaction face aux remises en question de ses pratiques en disent long sur ses priorités.
  2. L’appropriation culturelle est, au même titre que d’autres formes d’oppressions et de discriminations, une pratique intimement liée au racisme, au (néo)colonialisme et au capitalisme, face à laquelle nous devons réagir. Interpeller les marques sur les failles de leurs engagements, collectivement dans l’idéal, est donc indispensable pour lutter contre ce type de dérives au sein d’entreprises dites éthiques ou pas.

Je suis bien évidemment déçue que mon mail soit resté sans réponse et même si je porte encore les bijoux de cette marque, de toute évidence, je n’en achèterai plus et ne risque pas d’en faire la promotion. Leurs bijoux apparaissaient parfois sur mes posts Instagram mais je veillerai désormais à les retirer avant de prendre des photos où ils seraient visibles. Je ne partage pas le nom de la marque ni de l’influenceuse concernée car je ne pense pas que cela soit nécessaire pour faire passer mon message ainsi que pour vous donner envie d’agir à votre tour.

L’appropriation culturelle est un sujet qui me préoccupe depuis longtemps. En effet, j’ai découvert ce concept lors de mes premiers cours d’anthropologie en 2000 et je l’explore en profondeur ces dernières années. Jusqu’à présent, à chaque fois que j’ai évoqué des exemples de tels cas, j’ai fait face à l’incompréhension, voire à l’indignation de certains·es à cause de mon positionnement. N’ayant que très peu de patience face à celleux qui sont incapables de remettre leurs privilèges, biais et croyances en question, je ne perds plus mon énergie à dialoguer, à me justifier. En revanche, je reste bien évidemment ouverte aux échanges constructifs, réfléchis et sans fausse bienveillance.

L’appropriation culturelle, est-ce une problématique à laquelle vous êtes sensibilisé·es ? Auriez-vous d’autres exemples d’appropriation culturelle par des marques éthiques à partager ?
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