Je ne suis pas du genre à me fixer des objectifs de lecture mais en voyant ma pile personnelle de livres à lire s’agrandir, au même titre que ma frustration de ne lire plus que des ethnographies ou presque depuis quelques années, j’ai fini par sélectionner une douzaine de livres qu’il me tardait vraiment de découvrir en me promettant de m’offrir le temps de m’y plonger en 2021… Après avoir perdu l’habitude de me glisser sous la couette pour lire avant d’aller dormir, je suis heureuse d’avoir retrouvé, depuis le début de l’année, le doux plaisir d’ouvrir un bon livre pour terminer la journée et de jongler, suivant mon humeur, entre des BD, des romans ou des essais, pour m’évader, contempler de nouvelles perspectives et possibilités, nourrir mes réflexions ou m’instruire tout simplement. Malgré quelques (grosses) déceptions, j’ai jusqu’à présent lu une grande majorité de livres qui m’ont tour à tour enrichie, touchée, passionnée, offert de nouvelles clefs et dont j’ai très envie de vous parler.
J’inaugure donc aujourd’hui une nouvelle série d’articles (encore une !) dans laquelle je partagerai à chaque fois 5 de mes derniers coups de cœur lecture. S’il m’arrive encore de consacrer des articles entiers à la présentation d’un seul livre, force est de constater que je manque désormais cruellement de temps pour faire honneur à toutes mes lectures de cette manière… J’espère néanmoins que ces présentations et avis plus brefs vous donneront un assez bon aperçu de mes favoris lecture et vous donneront peut-être envie d’en découvrir certains.
ALGUES VERTES
Auteurices : Inès Léraud et Pierre Van Hove
Résumé : « Pas moins de 3 hommes et 40 animaux ont été retrouvés morts sur les plages bretonnes. L’identité du tueur est un secret de polichinelle : les algues vertes. Un demi-siècle de fabrique du silence raconté dans une enquête fleuve. Des échantillons qui disparaissent dans les laboratoires, des corps enterrés avant d’être autopsiés, des jeux d’influence, des pressions et un silence de plomb. L’intrigue a pour décor le littoral breton et elle se joue depuis des dizaines d’années. Inès Léraud et Pierre Van Hove proposent une enquête sans précédent, faisant intervenir lanceurs d’alerte, scientifiques, agriculteurs et politiques.«
Mon avis : cette bande-dessinée m’a ouvert les yeux sur un problème environnemental et sanitaire d’envergure majeure et dont je n’avais pourtant jamais entendu parler : les marées vertes, soit l’invasion annuelle des côtes bretonnes par des dizaines de milliers de tonnes d’algues vertes dont la décomposition libère du sulfure d’hydrogène, un gaz dont une concentration élevée peut entraîner la mort d’animaux humains et non-humains, en l’espace de quelques minutes. À travers l’enquête des auteurices de cette BD, j’ai découvert avec effroi le lien entre le développement de l’agriculture industrielle et la prolifération d’algues vertes ainsi que les efforts – souvent vains – des citoyen·nes pour combattre ce fléau face aux pouvoirs publics qui, comme toujours ou presque, préfèrent protéger leurs intérêts plutôt que l’environnement et la vie de leur concitoyen·nes. L’enquête minutieuse et de longue haleine menée par Inès Léraud et Pierre Van Hove est relatée avec clarté et pédagogie, permettant ainsi de comprendre « l’histoire interdite » des algues vertes sous différents angles et son évolution au fil des années.
Pour aller plus loin :
- Algues vertes : ça suffit ! La BD disponible en ligne de Stéphanie, alias Crevette Diplomate et Agathe de l’Atelier Sham Too
- La pétition « Réduire les algues vertes, c’est possible ».
LES COUILLES SUR LA TABLE
Autrice : Victoire Tuaillon
Résumé : « Qu’est-ce que ça veut dire d’être un homme, en France, au XXIe siècle ? Qu’est-ce que ça implique ? Pour dépasser les querelles d’opinion et ne pas laisser la réponse aux masculinistes qui prétendent que « le masculin est en crise », Victoire Tuaillon s’est emparée frontalement de la question, en s’appuyant sur les travaux les plus récents de chercheuses et de chercheurs en sciences sociales. Ensemble, au fil des épisodes de son podcast au titre percutant, elles et ils ont interrogé la masculinité et ses effets pourquoi, dans une immense majorité des cas, les harceleurs, les violeurs, les casseurs, sont-ils des hommes ? Pourquoi les petits garçons disent-ils tous que « l’amour c’est nul » ou encore que « l’amour c’est pour les filles » ? Comment la domination masculine affecte-t-elle aussi les hommes ? Réunissant les réponses à ces questions et à bien d’autres, ce livre démontre sans dogmatisme que la masculinité n’a rien de naturel, que c’est une construction sociale et qu’il faut la remettre en question si on veut atteindre une véritable égalité entre les femmes et les hommes.«
Mon avis : Parmi les croyances qui persistent et qui me démoralisent le plus, se trouve celle selon laquelle les personnes nées avec un pénis et celles nées avec un vagin auraient des qualités et des compétences bien différentes et prédéterminées suivant leur organe génital… Pourtant, nombre d’études menées par des neurologues, biologistes ou encore des sociologues démontrent que nos comportements et nos aptitudes ne sont en rien innés mais sont plutôt le fruit de notre socialisation en tant que « fille » ou « garçon ». Et c’est justement à la socialisation des personnes de sexe masculin que s’intéresse Victoire Tuaillon dans cet ouvrage. Reflet de son podcast « Les couilles sur la table », son livre éponynme décrypte bon nombre de comportements dits masculins en expliquant leur origine, leur normalisation, leur naturalisation, leur internalisation et, surtout, leurs conséquences sur le bien-être des femmes, des hommes eux-mêmes et la société de manière plus générale. De la construction de la masculinité à la sexualité en passant par les privilèges accordés aux hommes et les exploitations ainsi que la violence qui en découlent, Victoire Tuaillon passe en revue tout ce qui a trait à la masculinité, qui nourrit le système patriarcal et, in fine, maintient les inégalités entre les hommes et les femmes. C’est un ouvrage très dense, riche en références, en exemples et en suggestions de lectures, podcasts et documentaires pour approfondir certaines thématiques.
Pour aller plus loin :
- Les couilles sur la table, un podcast de Binge Audio.
- Le compte Instagram Les couilles sur la table
CLIT RÉVOLUTION, MANUEL D’ACTIVISME FÉMINISTE
Autrices : Sarah Constantin, Elvire Duvelle-Charles. Illustratrice : Alice Des
Résumé : « Je suis féministe, je voudrais faire quelque chose de concret mais je ne sais pas par où commencer. Vous avez des conseils ? » En voyant ce genre de message s’accumuler sur leurs réseaux sociaux, les activistes Sarah Constantin et Elvire Duvelle-Charles ont compris qu’il manquait un livre. Un manuel pratique pour guider la nouvelle génération de féministes dans l’activisme. Leur expliquer comment, chacune à leur niveau, seules ou en groupe, elles avaient les moyens de faire évoluer la société. Ce livre se présente comme une boîte à outils inspirée des techniques d’activisme féministe du monde entier. À mettre entre toutes les mains, de 12 à 121 ans. »
Mon avis : Si le début de mon cheminement féministe remonte à l’enfance, ma volonté de lutter activement contre le patriarcat à mon niveau et à l’échelle collective est, elle, bien plus récente et de plus en plus marquée… et grâce Clit Révolution, manuel d’activisme féministe j’ai découvert différentes manières de lutter, seule ou en groupe, en toute simplicité ou en mode « on planifie l’événement du siècle ». Après une introduction qui pose les bases et donne le ton – on peut défendre une cause grave et sérieuse sans perdre notre humour -, les autrices propose une dizaine d’idées d’actions à différentes échelles et dans différents contextes. Pour chacune d’elles sont présentées des exemples d’actions réussies et sont fournis des conseils pratiques et légaux afin que tout se déroule bien avant, pendant et après. Car si certaines actions sont faciles à mettre en place, aucune ne s’improvise et toutes nécessitent un minimum d’anticipation, voire de coordination et de moyens. Les exemples d’actions – du monde entier, de différentes époques et menées par des personnes de tous âges – sont extrêmement inspirants et montrent qu’il existe de nombreuses manières de faire entendre nos voix féministes.
Pour aller plus loin :
- La série documentaire Clit Révolution
- Le compte Instagram Clit Révolution
J’ACCOMPAGNE LES ÉMOTIONS DE MON ENFANT
Autrice : Soline Bourdeverre-Veyssière
Résumé : « Vous êtes parfois perturbé(e) par les crises de vos enfants ? Vous avez du mal à comprendre leurs sauts de joie ou leurs flots de larmes ? Cet ouvrage documenté vous permettra de l’aider à identifier ses émotions et à traduire ce qu’il ressent avec des mots, mais surtout de l’écouter et de l’accompagner pour les transformer en véritables alliées. En s’appuyant sur les neurosciences affectives et sociales (NAS), cet essai bienveillant vous embarquera pour un doux voyage ou pays des émotions, et bouleversera votre point de vue sur la question avec de pertinentes pistes de réflexions et de merveilleuses activités à partager à l’école comme à la maison. »
Mon avis : on m’avait offert ce livre durant ma grossesse et je l’ai finalement lu un peu avant les 2 ans de notre enfant, après une répétition de colères face auxquelles mon mari comme moi nous sentions assez démuni·es. Soucieuse d’être à l’écoute des émotions de notre petit bout et de l’accompagner au mieux afin qu’elle puisse les exprimer librement, les identifier, les accueillir et les comprendre, j’ai trouvé dans ce livre à la fois instructif et pratique de nombreuses clefs pour aller en ce sens. L’autrice décrypte différentes émotions, explique leur rôle et leur fonctionnement, et propose une cinquantaine d’activités permettant aux enfants de se familiariser avec leurs besoins et leurs émotions, de développer leur intelligence émotionnelle, d’exprimer ce qu’iels ressentent, etc. Les activités (appelées « outils ») sont généralement basées sur la communication et l’expression créative et nécessitent peu de ressources à part des objets du quotidien. Certaines sont recommandées dès la naissance, mais la plupart sont plutôt destinées à des enfants de 3-4 ans et plus. Je regrette qu’elles soient toutes dispersées à travers le livre et impossibles à retrouver selon les tranches d’âges. Autre bémol selon moi : la mise en page, avec de nombreux encadrés et citations mises en exergue, affecte la fluidité de la lecture. Le contenu de l’ouvrage n’est pas moins intéressant et utile pour autant et je pense que les différents outils proposés me serviront plusieurs années encore.
Pour aller plus loin :
- S’éveiller et s’épanouir de manière raisonnée, le blog de Soline
- Le compte Instagram de Soline
LÀ OÙ CHANTENT LES ÉCREVISSES
Autrice : Delia Owens
Résumé : « Les rumeurs les plus folles courent sur « la Fille des marais » de Barkley Cove, en Caroline du Nord. Pourtant Kya n’est pas cette créature sauvage et analphabète que tous imaginent et craignent. Abandonné à l’âge de dix ans par sa famille, c’est grâce au jeune Tate qu’elle apprend à lire et à écrire, découvre la science et la poésie. Mais Tate, appelé par ses études, doit partir à son tour. Et lorsque l’irréparable se produit, elle ne peut plus compter que sur elle-même… »
Mon avis : je termine cette sélection par un roman que j’aurais sans nul doute lu d’une traite si j’en avais eu la possibilité, tant il m’a happée et émue, tant pour son décor que pour ses personnages et leur histoire. À travers le personnage de Kya, l’autrice nous fait découvrir à la fois les richesses végétales et animales des marais, les conséquences du racisme et des préjugés et le poids des traumatismes familiaux. Au fil du récit on observe cette petite fille abandonnée devenir une adolescente puis une jeune femme solitaire et cultivée qui navigue à travers les méandres du marais et de sa vie avec agilité, prudence et résilience. Bien qu’une histoire d’amour se tisse au fil des pages, j’ai apprécié qu’elle n’en soit pas le point central ni qu’elle ne soit présentée comme l’issue des malheurs de Kya, donnant ainsi à ce personnage la possibilité d’être et de devenir qui elle le souhaite, indépendamment du reste et des autres. Sans vous la révéler, j’ajouterai que j’ai beaucoup aimé la fin, une « vraie » fin comme je les aime, où rien n’est laissé en suspens et où, après près de 500 pages de battements de cœur intenses – à ressentir de la peur et une peine immense pour Kya – j’étais heureuse de refermer mon livre avec un sentiment de joie et de soulagement.