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Le jour où j’ai quitté la campagne pour vivre en ville

À une époque où de nombreux citadins rêvent de quitter le bruit, la pollution et la foule des villes pour la quiétude, la verdure et les bienfaits de la campagne, J. et moi avons fait le chemin inverse : après 3 ans dans notre cocon au fin fond de la forêt britanno-colombienne, sur l’île de Vancouver, nous avons posé nos valises au coeur de Fribourg en Brisgau, au sud de l’Allemagne.

Comme j’en ai déjà témoigné, m’envoler du Canada, lieu auquel je suis tellement attachée, qui m’a tant apporté et inspiré, ne s’est pas fait sans peine. De tous les endroits où j’ai vécu, c’est bien le seul où je me sentais réellement chez moi,  où je me sentais en paix, aussi bien dans ma tête que dans mon corps. Il faut dire que la faune et la flore sauvages dominent sur cette île du Pacifique et je suis convaincue que cela a un effet notable sur l’état d’esprit et la mentalité des habitants ainsi que sur l’atmosphère qui y règne.

Chaque jour m’offrait d’innombrables raisons de m’émerveiller devant la beauté du monde. Ouvrir les rideaux de la fenêtre de sa chambre et se trouver devant des arbres si hauts qu’on ne peut en voir le sommet. Observer des biches sautiller devant la fenêtre de la cuisine au réveil. Être distraite au travail à cause des écureuils, des ratons-laveurs et des loutres qui gambadent devant les baies vitrées de ma salle de classe. Entendre, pour seul bruit à la nuit tombée, les cris des phoques nageant dans la baie. Faire les courses auprès des producteurs du coin. Faire de son lieu de vie, son terrain de loisirs, d’aventures, de repos. Ce sont autant de gestes, d’expériences et de moments de contemplation qui m’ont petit à petit éloignée de mes repères de citadine et m’ont permis de trouver de nouveaux points d’ancrage, à la fois plus robustes et porteurs, car plus en accord avec moi-même.

J’étais bien partie pour faire ma vie dans ce petit coin de paradis… et puis, il y a un an et demi, J. et moi avons pris la décision de revenir en Europe. Comme il le dit si bien, ce fut une décision de la raison, et non du coeur. La raison nous disait que de devoir prendre l’avion pour rendre visite à nos familles, que de dépendre d’une voiture pour tous nos déplacements, que de s’installer dans ce train de vie presque trop confortable alors que nous avions encore des projets plein la tête, que tout cela nous éloignait de nos aspirations éthiques et écologiques…

Arrivés à Fribourg, instinctivement nous avons cherché un logement en périphérie de la ville, au pied de la forêt noire… Et puis très vite nous avons réalisé que cela nous obligerait à acheter une voiture et restreindrait nos options au quotidien (pour les courses alimentaires, le travail, la vie sociale…). Alors une fois de plus, nous avons écouté notre raison et décidé de louer un appartement en ville.

Cela fait maintenant une quinzaine de mois que nous vivons au centre de Fribourg et même si mon quotidien canadien me manque terriblement, je m’efforce de voir les bons côtés de ma nouvelle vie de citadine…

Pour moi, le plus gros inconvénient de notre vie à la campagne était le fait que la voiture nous était indispensable, car le système de transports en commun n’était pas développé dans notre coin de forêt. À vélo, il nous aurait fallu faire près d’1h30 de trajet aller-retour pour faire nos courses à l’épicerie bio la plus proche… Cela n’est pas impossible en soi mais vu le nombre de pentes qu’il fallait gravir en route, cela était inconcevable pour mes cuisses ! En outre, même si beaucoup de nos amis vivaient aux alentours, certains vivaient à plusieurs (dizaines de) kilomètres de chez nous et il nous importait de pouvoir leur rendre visite quand bon nous semblait.

À Fribourg, nous n’avons pas de voiture et nous pouvons faire tous nos trajets du quotidien à pied ou à vélo. Il y a également plusieurs lignes de tram et de bus si besoin mais on ne s’en est servi qu’une fois (pour aller acheter nos vélos !). Pour le reste, nous prenons le train et vraiment si besoin (déménagements, balades dans des lieux inaccessibles via d’autres transports) nous réservons une voiture (et invitons nos amis à en profiter !) via le système d’auto-partage auquel nous avons souscrit. En un an, nous avons dû réserver une voiture une dizaine de fois.

Je trouve cela vraiment agréable et je dirais même libérateur de ne plus dépendre d’une voiture pour la majorité de nos déplacements… et bien évidemment c’est tellement plus économique et écologique !

L’un des plus gros avantages de vivre à la campagne pour nous était d’être entourés de nombreux petits producteurs bio (fruits, légumes, produits laitiers, viandes) et de pouvoir goûter au plaisir de se nourrir d’aliments on ne peut plus frais et locaux produits dans des conditions que nous connaissions, par des personnes qui nous étaient bien souvent familières. Néanmoins, les périodes de production, les points de vente, et les horaires d’ouverture restaient limitées pour beaucoup d’entre eux, donc on ne pouvait dépendre entièrement de leur stock. En outre, il nous fallait faire le tour de différents producteurs pour trouver la diversité d’aliments dont nous avions besoin.

À Fribourg, nous apprécions d’avoir accès à une multitude de produits frais, locaux et saisonniers au quotidien, grâce aux marchés des producteurs qui viennent de la périphérie de Fribourg ainsi que de l’Alsace. Celui du centre ville est ouvert du lundi au samedi et c’est vraiment pratique de pouvoir acheter tous nos produits frais à un seul et même endroit. En outre, même si on n’a pas le bonheur de voir le lieu où les légumes ont poussé, on peut facilement nouer des liens avec les maraîchers chez qui l’on retourne régulièrement, un peu comme à la campagne !

À la campagne j’appréciais beaucoup le fait que les gens ne vivent pas les uns sur les autres… Néanmoins, cela voulait également dire que les opportunités d’échanges et de partages étaient plus limitées ou moins accessibles. En ville, la proximité des habitants facilite la mise en place de systèmes collaboratifs leur permettant de s’entraider et de partager ressources et/ou connaissances. Étant donné que, à mon avis, l’avenir du monde dépend en grande partie de la capacité des êtres humains à communiquer, échanger et partager avec bienveillance, se familiariser avec les principes de ce genre de système est important pour moi.

Comme mentionné plus haut, nous sommes heureux de pouvoir profiter de l’un des systèmes d’auto-partages de Fribourg qui nous évite les contraintes pratiques et économiques liés à la possession d’une voiture personnelle et nous permet malgré tout de garder une certaine liberté dans nos déplacements. Fribourg fait également partie de ces villes où les logements coopératifs sont très populaires ; ainsi, nous avons pu choisir de vivre dans un appartement qui fait partie d’un immeuble auto-géré par sa quinzaine d’habitants. 

Tout cela me permet de me rappeler de l’importance de trouver un équilibre entre autonomie personnelle et partages communautaires.

Lorsque nous vivions sur l’Ile de Vancouver, participer à des ateliers, des expositions, des foires, des conférences ou faire du bénévolat nécessitaient une réelle organisation car chaque déplacement prenait du temps. De ce fait, nous laissions passer beaucoup d’occasions de nous informer sur des causes ou de nous former à de nouvelles compétences qui nous intéressaient.

Vivre en centre-ville nous permet de profiter pleinement des nombreuses opportunités de découvertes, d’échanges et de partages proposées ici-même ou de prendre les transports en commun pour voir ce qui se passe aux alentours. Aujourd’hui je suis convaincue que le meilleur investissement que l’on puisse faire est celui d’investir en soi, de créer les opportunités et de se donner les moyens d’apprendre ce qui nous est nécessaire pour cheminer vers le mode de vie auquel nous aspirons. La ville, ses milliers d’habitants, de projets et d’évènements est donc une sacrée source de savoirs à partager !

Personnellement, depuis le début de l’été je fais du bénévolat dans un jardin ce qui me permet d’une part de contribuer à la préservation d’un lieu historique et d’autre part d’en apprendre plus sur le monde végétal local afin de pouvoir développer mon propre potager… collaboratif, qui sait !

Dans mon petit coin de paradis campagnard canadien, au milieu des sapins de Douglas géants, des biches paisibles et des producteurs chaleureux, il m’était facile d’imaginer que la vie était parfaite. En fait, ma vie était parfaite et j’aurai certainement pu vivre ainsi plusieurs dizaines d’années sans me soucier du reste du monde. Bien évidemment, non seulement le contexte dans lequel je travaillais mais aussi mon intérêt personnel pour les causes sociales et environnementales faisait que ces problématiques me touchaient au quotidien. Néanmoins, elles ne me touchaient pas directement.

En ville, je vois tous les jours et de mes propres yeux la pauvreté, la discrimination, la pollution, le gaspillage, les déchets, la surconsommation etc. et leurs conséquences sur les gens et leur environnement. Ayant été si peu exposée à tout cela pendant mes 3 années au Canada, j’y suis maintenant beaucoup plus sensible. Ces problèmes me frappent en pleine face quand je traverse le centre-ville. Ils me font de la peine, ils me dégoutent, ils me tourmentent… mais surtout, ils me donnent envie d’agir et de réfléchir à des solutions ne visant pas seulement à améliorer mon mode de vie mais la vie de manière générale…

N’allez pas croire que toutes ces raisons me donnent envie de rester en ville. Ayant connu les bienfaits d’un quotidien au coeur de la nature et les méfaits de la ville sur moi, je suis persuadée que l’être humain a besoin d’être au contact de la nature un minimum chaque jour pour mener une vie saine, équilibrée et heureuse. Cependant, je suis aujourd’hui consciente que vivre à la campagne, à proximité ou au coeur de la nature, est un véritable privilège. C’est aussi un mode de vie qui, selon les contextes, et à une époque où il me semble plus important que jamais de nouer des liens les uns avec les autres et de réduire notre dépendance des énergies fossiles, n’est pas un idéal en soi.

Néanmoins, il ne tient qu’à moi de réaliser cet idéal. Et pour y arriver, je compte profiter au maximum de toutes les opportunités que m’offriront les années que je passerai ici en ville. En attendant, je ferai de mon mieux pour ne pas laisser tout ce béton et tous ces pots d’échappement me peser au quotidien… sans pour autant finir par « faire avec »…

Et vous, êtes-vous plutôt ville ou campagne ?
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